-
Laure Lemaire- Les Chicago-Boys au Chili


Quand on pense au Chili, on pleure encore à cause des milliers de morts et de disparus, on chante encore avec Victor Jarra. Mais on connait moins l’acharnement macabre des USA pour y installer le néolibéralisme.Président du Chili sous le gouvernement d’Unité populaire, Salvador Allende (1908-1973) restera dans l’histoire comme le premier leader politique ayant dirigé une tentative de « transition pacifique » et dans la légalité vers le socialisme.
Issu d’une famille de la bourgeoisie de Valparaiso , il adhère à la franc-maçonnerie. Étudiant en médecine, il découvre de la misère dans les bidonvilles. En 1933, il est cofondateur du Parti socialiste chilien ; en 1938, élu député, il dirige la campagne du radical Aguirre Cerda, 1° président du Front populaire ; en 1942, ministre de la Santé, il administre la sécurité sociale ouvrière. À 3 reprises, il est candidat à la présidence de la République (1952, 1958 et 1964), avant de l’emporter le 4 septembre 1970 avec 36,3 % des voix, devant le conservateur Jorge Alessandri (34,98 %) et le démocrate-chrétien Radomiro Tomic (27,84 %). Soutenu par une coalition d’Unité populaire allant des communistes aux radicaux et aux chrétiens de gauche, Salvador Allende doit aussi son élection à son prestige auprès des masses populaires.
Son gouvernement se proposait de transformer dans la légalité les structures économiques et sociales du Chili et de le libérer de l’emprise économique des États-Unis.
La vigueur avec laquelle Allende soutint certaines mesures, comme la nationalisation des mines de cuivre en juillet 1971, ne l’empêcha pas d’adopter, sur le plan intérieur comme sur le plan international, une attitude modérée. Son propre parti qui prônait des mesures plus radicales, mais il s’appuyait sur les sociaux-démocrates et les communistes qui voulaient « consolider » les acquis avant « d’avancer ». Lorsque les difficultés économiques se multiplièrent à partir de 1972, Salvador Allende accorda une importance à l’armée. Malgré sa réputation de professionnalisme et d’apolitisme, un secteur militaire avait tenté, en 1970, d’empêcher soninstallation à la tête de l’État. Le président comptait sur ses relations personnelles avec des officiers, par le biais de la franc-maçonnerie. Après la démission, le 23 août 1973, du général Prats, son soutien le plus ferme à l’intérieur de l’armée, il fit une entière confiance au général Augusto Pinochet qui le remplaça comme commandant en chef.
Les désordres s’aggravèrent durant l’hiver 1973 (inflation galopante, émeutes, pressions du M.I.R.(Mouvement de la gauche révolutionnaire), du mouvement fasciste (Patrie et Liberté) et les partis de l’Unité populaire ne parvinrent pas à s’accorder ; Salvador Allende s’apprêtait à annoncer le 11 septembre un référendum concernant la politique de son gouvernement quand il fut pris de vitesse. L’armée entra en dissidence et il s’enferma avec une poignée de fidèles dans le palais présidentiel de la Moneda. Refusant les offres de la junte de quitter le pays, il en dirigea lui-même la défense pendant des heures. Le gouvernement militaire annonça le 12 septembre qu’il s’était suicidé.
Ce coup d’État eut lieu dans un contexte international marqué par la guerre froide. Sur le plan international, la politique chilienne du gouvernement de l’Unidad Popular a été marquée par le rapprochement avec Cuba et l’ouverture vers l’URSS provoquant le mécontentement des États-Unis.

La dictature militaire d’Augusto Pinochet gouverna le Chili pendant 16 ans, du coup d’État du 11 septembre 1973 jusqu’au référendum révocatoire qui permit la restauration d’une certaine démocratie en mars 1990.
Ce régime autoritaire et conservateur est connu pour ses multiples atteintes aux droits de l’homme (+ de 3 200 morts et « disparus », 38 000 personnes torturées, plusieurs centaines de milliers d’exilés)
Sa politique économique de privatisations – qualifiée de néolibérale – est menée par les « Chicago Boys », inspirés par les conceptions économiques développées par .Milton Friedman qui fut conseiller du président Richard Nixon à la fin des années 1960 puis dans les années 1980, conseiller officieux du candidat républicain Ronald Reagan, et rejoint son comité économique quand il est élu à la Maison-Blanche jusqu’en 1988.
Le régime militaire brésilien accorde d’importants prêts à la Banque centrale chilienne pour développer ses exportations. À partir de 1973–1975, pour relancer l’économie, les Chicago Boys maîtrisent relativement l’inflation et re-privatisent les industries (à l’exception des mines de cuivre), ce qui entraînent un fort accroissement du chômage, qui passe de 4,8 % en 1973 à 31 % en 1983, et une récession. Les salaires réels baissent très fortement et les inégalités s’accroissent significativement. La part du budget de la défense passe de 10 % en 1973 à 32 % en 1986 et la dette explose, passant de 5,6 milliards de dollars en 1977 à 15,6 milliards en 1981.

Pendant 5 ans, la croissance atteint 8 % par an alors que le taux d’analphabétisme régresse et que l’espérance de vie passe de 63,6 ans en 1975 à 74,4 ans en 1990 bien que la mortalité infantile ait fortement augmenté durant les 1° années du régime et que la malnutrition affecte 1/2 des enfants chiliens.
En 1981, les 1° symptômes d’une nouvelle crise économique commencent à se faire sentir. La balance des paiements atteignit un déficit de 20 % et les cours du cuivre chutèrent rapidement. Les banques étrangères cessèrent d’investir, mais le gouvernement déclare que tout cela faisait partie de la récession économique mondiale. La banque nationale et les entreprises chiliennes avaient approuvé plusieurs emprunts, basés un taux de change fixe du dollar américain pour 39 pesos chiliens.
L’État doit donc se monter plus dirigiste. En juin 1982, il dévalue le peso. Les emprunts atteignirent alors des intérêts exorbitants et de nombreuses banques et entreprises firent faillite. Le chômage s’éleva à 28,5 %. L’inflation atteignit 20 % et le PNB chuta de 14,3 % en 1982. Il s’agit de la pire récession au Chili depuis les années 1930. Les coupes drastiques dans les budgets sociaux et le programme de privatisations massives provoquent une hausse importante des inégalités. De nombreux employés du secteur public perdent leur emploi.
Face à cette situation les 1° protestations, pacifiques mais interdites furent violemment réprimées par les carabiniers et par l’armée. Le gouvernement déclara l’état de siège, et le moment fut mis à profit par diverses organisations, comme le Front Patriotique Manuel Rodríguez, qui décida de mettre sur pied l’« Operación Retorno » (opération Retour), nom donné à la tentative de mettre fin au Régime par la voie armée.
En 1980, la dictature militaire privatise le système de retraites. Elle favorise l’enseignement privé au détriment du public. En 1981, le régime réforme le système universitaire et élimine l’éducation supérieure gratuite. En 1990, la Loi réduit encore le rôle de l’État dans l’éducation au bénéfice des écoles privées qui reçoivent 60 % des élèves dans le primaire et le secondaire. L’État se désengage du financement des universités, qui se financent à 75 % par le biais des frais universitaires versés par les étudiants, rendant difficile leur accès aux jeunes issues des milieux modestes
À partir de 1985, le ministre des Finances, Hernán Büchi, allait arriver à produire le « Second Miracle », grâce à une embellie du prix du cuivre. Il met en œuvre un profond processus de privatisations d’entreprises publiques :LAN Chile, ENTEL (entreprise nationale de télécommunications), CTC (télécommunications), CAP (sidérurgie), et la réimplantation du modèle néolibéral qui avait été remplacé par le keynésianisme durant la crise. La réduction des dépenses sociales augmenta le fossé entre les riches et les pauvres, faisant du Chili un des pays ayant la plus grande inégalité de revenus, et les pensions de retraite allaient se réduire à des limites minimales, entre autres. D’autre part, le tremblement de terre de mars 1985, provoque de graves dommages aux immeubles de Santagio, Valparaíso et San Antonio. À partir de 1987, le pays repart pour 12 années de croissance économique ininterrompue mais les manifestations se poursuivent.
Si les classes aisées ont bénéficié de l’expansion économique, ce ne fut pas le cas des classes populaires. Ainsi, entre 1974 et 1989, les revenus des 10 % des ménages les plus riches ont augmenté 28 fois plus vite que les 10 % les plus pauvres. À la fin de la dictature, en 1990, la pauvreté touche 39 % des chiliens. Ce chiffre sera réduit de moitié durant les 13 années suivantes de gouvernement démocratique, mais le pays reste très inégalitaire : « la tranche des 20 % les plus pauvres de la population reçoit seulement 3,3 % des revenus totaux du pays, tandis que celle des 20 % les plus riches en reçoivent 62,6 % »
L’armée chilienne, qui s’était assurée le monopole de l’exploitation du cuivre, sources de revenus importants pour le pays, conservera ce privilège, à hauteur de 10 %, après le retour de la « démocratie ». Le mal est fait.
-
Laure Lemaire- Vous avez dit “Fascisme”?


Le fascisme se situe au stade impérialiste du capitalisme. Il est né dans les années 1920, en même temps que le communisme. Dans chacun des pays où il s’est installé, il a pris en compte son histoire, sa situation économique si bien que les régimes politiques paraissent différents, mais le but est le même: empêcher les victimes de la misère de se révolter et de prendre le pouvoir politique.
Etymologie : de l’italien fasci, (faisceau: emblème de l’autorité de la Rome antique, utilisé par les milices de Mussolini), avec le suffixe -isme , pour qualifier une attitude, un comportement, une doctrine, un dogme, une idéologie.
Au sens strict, le fascisme est le régime politique né de la crise qui a suivi la 1° Guerre Mondiale, établit par Benito Mussolini en Italie de 1922 à 1945, fondé sur la dictature d’un parti unique anticommuniste., l’exaltation nationaliste et le corporatisme. On trouve aussi: doctrine visant à installer un régime autoritaire qui affirme la supériorité de l’État sur l’individu et l’extension illimitée de son pouvoir. « Pour le fascisme, tout est dans l’État et rien d’humain ou de spirituel n’existe ou n’a de valeur en dehors de lui ».
Le régime fasciste entend faire de la nation une communauté unique, rassemblée derrière un seul homme (culte de la personnalité et importance de la hiérarchie), les individus devant s’effacer devant l’Etat. Ignorant les Droits de l’Homme, il s’accompagne d’un Etat policier fort et sécuritaire, d’une organisation verticale des métiers en corporation, d’une méfiance envers les étrangers et d’une politique réactionnaire.
Au-delà du régime mussolinien, le terme « fasciste » sert souvent à qualifier des régimes autoritaires, Outre les nationaux-socialistes (Nazis), le fascisme de Mussolini a influencé d’autres mouvements en Europe :Phalange en Espagne, Garde de fer de Codreanu en Roumanie, Oustachi de Pavelitch en Croatie, Croix-Fléchées de Szalasi en Hongrie..
A partir de la définition très simple du fascisme italien, on va reprendre les mots qui sont des « synonymes » ou qui sont en rapport étroit avec le concept.Le lexique autour du « fascisme »
- La dictature est un régime politique dans lequel une personne ou un groupe exercent tous les pouvoirs de façon absolue, sans qu’aucune
loi ou institution ne les limitent ; Au contraire, un régime autoritaire peut avoir des lois, des institutions, voire un parlement avec des
députés élus, mais pas librement donc pas de contre-pouvoir.
L’origine du terme remonte à Rome.
Le terme apparaît pour la 1° fois chez Cicéron dans De Republica, sous le terme de dictator, dérivé du verbe dictare « dire en répétant souvent, ordonner, commander » avec le suffixe d’agent -tor, pour désigner un magistrat par un mot au sens non-défini pour les formes spéciales de gouvernance de certaines villes du Latium.
A Rome, la dictature était un moment de la République où un magistrat (le dictateur) se voyait confier de manière temporaire et légale les pleins pouvoirs en cas de troubles graves, d’une situation de crise, nommé par le Sénat, et investi par les Consuls pour les remplacer. Il était muni des pleins pouvoirs, excepté le pouvoir financier qui demeurait sous la coupe du Sénat, pendant un mandat, qui ne pouvait, à l’origine excéder 6 mois, mais évoluera. 4 dictateurs se distinguent : Marius, Sylla, Pompée et César. Cette 1° forme de dictature tombe en désuétude à la fin du –iiie siècle; elle est abolie à la mort de César. Cette « magistrature républicaine extraordinaire » n’ est pas péjorative, au contraire, elle est valorisé par Tite-Live et Cicéron.
Le mot dictateur désigne pour la période contemporaine, ce que l’on appelait tyran dans l’Antiquité ou despote dans l’Ancien Régime.

La tyrannie est un régime où seul l’intérêt du tyran compte. Il se sert des sujets de façon abusive afin de satisfaire son propre intérêt, et non pour le bien commun, par la force, servitude, autocratie, absolutisme, despotisme, domination, oppression, hégémonie. Etymologie: : du grec turannos, maître, dominateur..Dans l’Antiquité grecque, la tyrannie est un pouvoir absolu conquis par la force et illégalement, après un coup d’Etat, usurpant l’autorité légale, souvent grâce à la faveur, la sympathie populaire.
Les historiens distinguent les tyrannies;- Des -VIIe et -VIe siècles, le tyran disposa du soutien des classes populaires qui cherchent à limiter la domination des riches propriétaires terriens. La tyrannie a pour but de lutter contre les excès de l’aristocratie, de l’oligarchie, Exemples : Phidon à Argos, Cypsélos à Corinthe et Pisistrate ( -600 à -527) à Athènes. Ayant souvent favorisé l’activité économique, ces tyrannies préparent la transition de la royauté vers la démocratie.
- Du -IVe siècle avec Denys l’Ancien (-430 à -367) et son fils Denys le Jeune à Syracuse qui établissent leur pouvoir par la menace des armes contre toute forme d’opposition démocratique. Par extension de celle-ci, la tyrannie désigne de nos jours, tout pouvoir injuste, cruel, ne respectant pas les lois.
Il est repris au xx° siècle, durant l’entre-deux-guerres, pour forger un nouveau concept avec l’apparition concomitante des régimes nazi et stalinien. Il signifie que le système s’exerce dans les sphères privées, quadrillant toute la société et tout le territoire, en imposant à tous les citoyens l’adhésion à une idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis.
Les caractéristiques retenues pour le définir sont :
* un monopole idéologique, une vérité qui ne tolère aucune critique, est imposée à tous et lutte contre les ennemis du régime,
* un parti unique qui contrôle la totalité de l’appareil étatique, qui dispose de tous les moyens de communication de masse utilisés comme des instruments de propagande,
*Ce parti crée des structures d’embrigadement de chaque catégorie de la société et dispose d’une direction centrale de l’économie. Le parti unique est dirigé par un chef charismatique, un guide autour duquel est formé un « culte».
* Un monopole de la force armée, un système policier qui a recours à la terreur avec un réseau omniprésent d’agents de surveillance des individus, basé sur la suspicion, la dénonciation et la délation ; et concentrationnaire afin de pouvoir se prémunir contre tout individu « suspect ». Il a recours à l’emprisonnement, la torture et l’élimination physique des opposants et à la déportation des groupes de citoyens jugés « inutiles » ou « nuisibles ».

Le potentat (du latin potentatus puissant) est un Souverain (roi) qui, dans un État, détient le pouvoir absolu. Il dispose de toute l’autorité importante en raison desa richesse et en use de façon despotique.
Le despote (du grec maître) est un chef d’État qui rassemble tous les pouvoirs pourgouverner entre ses mains. Il s’appuie sur la contrainte policière et la terreur. Aristote jugeait le despotisme comme une forme de gouvernement propre aux « sociétés serviles», où l’autorité règne avec le concours et la crainte de la loi religieuse. Dans sa forme classique, le despote est pour ses sujets, tel le père de famille pour ses enfants. Il œuvre pour leur bien. Despote était un titre légitime dans l’Empire byzantin, transmis à la descendance mâle de l’empereur, et à partir du xiiie siècle à des princes étrangers. Ils régnaient sur des parties de l’empire.
Le despotisme éclairé, dans l’Europe du xviiie siècle, désigne des chefs d’État qui passent outre les droits de débat, d’opposition ou de remontrance des pouvoirs constitués, pour imposer des réformes sur le système politique et/ou la société de leur pays. Frédéric II de Prusse, aidé par Voltaire, rédigea un ouvrage, inspiré par les idéaux des “Lumières”
Le mot « totalitarisme » a été inventé par Mussolini, qui lui donnait un sens positif. Il visait l’unité de la nation. Le totalitarisme est un régime et système politique dans lequel existe un parti unique, n’admettant aucune opposition organisée, et où l’ État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société. Un tel système restreint l’opposition à l’État qui exerce un contrôle important sur la vie publique et privée. Dans les États totalitaires, le pouvoir politique est souvent détenu par des autocrates (dictateurs, monarques) qui utilisent la propagande, diffusée par les médias de masse contrôlés, incarnée dans l’État.
Le terme de « totalitarisme » désigne aussi l’utilisation de « tous les moyens » pour parvenir au but que s’est assigné l’État. Dès lors, il implique d’assurer un despotisme politique, de contraindre des intérêts divergents à une politique économique définie par l’État, d’imposer des normes idéologiques uniformes. Il concerne tous les aspects de la vie, l’État et son idéologie, exerçant sa mainmise sur les individus.
Il est repris au xx° siècle, durant l’ entre-deux-guerres, pour forger un nouveau concept avec l’apparition concomitante des régimes nazi et « stalinien« . Il signifie que le système s’exerçe dans les sphères privées, quadrillant toute la société et tout le territoire, en imposant à tous les citoyens l’adhésion à une
idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis.
Les caractéristiques retenues pour le définir sont :*un monopole idéologique, une vérité qui ne tolère aucune critique, est imposée à tous et lutte contre les ennemis du régime,
*un parti unique qui contrôle la totalité de l’appareil étatique, qui dispose de tous les moyens de communication de masse utilisés comme des instruments de propagande,
*Ce parti crée des structures d’embrigadement de chaque catégorie de la société et dispose d’une direction centrale de l’économie. Le parti unique est dirigé par un chef charismatique, un guide autour duquel est formé un « culte».
*Un monopole de la force armée, un système policier qui a recours à la
terreur avec un réseau omniprésent d’agents de surveillance des individus, basé sur la suspicion, la dénonciation et la délation ; et concentrationnaire afin de pouvoir se prémunir contre tout individu « suspect ». Il a recours à l’
emprisonnement, la torture et l’élimination physique des opposants et à la
déportation des groupes de citoyens jugés « inutiles » ou « nuisibles ».5- L’autocratie est un régime politique où un seul individu détient le pouvoir, alors qualifié de pouvoir personnel et absolu, « qui tire son pouvoir (cratie) de lui-même (auto) ». L’autocrate n’a d’autre justification et légitimité que lui-même. Sans caractère officiel, une dictature peut être décrit comme une « dérive autocratique ». Ce mot est utilisé pour qualifier certains régimes africains: « la démesure autocratique et la cruauté d’un Idi Amin Dada en Ouganda (1971-1980), d’un Bokassa en Centrafrique (1965-1979). En Afrique « depuis le début des années 1990, 24 chefs d’État ont tenté de modifier les constitutions afin de se maintenir au pouvoir au-delà de leur double mandat ». Il s’agit de “coups d’État constitutionnels, qui s’accompagnent d’une répression contre ceux qui s’y opposent “.

6- Le populisme – Formé sur le radical populus ( peuple) , ce substantif est apparu, en français en 1912. Il désigne des mouvements politiques du xixe siècle, promus par les petits fermiers et ouvriers agricoles américains. Le Parti populiste voulait que le peuple se réapproprie ce que lui avait volé Wall Street et le capitalisme. En 2020, 5 éléments constituent le populisme :- une conception du peuple (le peuple-Uni) ;
- une théorie de la démocratie (préférence pour la démocratie directe, rejet des corps intermédiaires et expression spontanée de la volonté générale;
- une modalité de la représentation (mise en avant d’un homme-peuple) ;
- une politique et une philosophie de l’économie (national-protectionnisme dans une vision souverainiste attentive à la sécurité de la population) ;
- un régime de passions et d’émotions (sentiment d’abandon, d’invisibilité, besoin d’un monde plus lisible comblé par des récits complotistes, volonté d’agir par le dégagisme).
En 1995, Umberto Eco publiait dans la New York Review of Books un essai intitulé Ur-Fascism ( fascisme éternel )
Adapté d’un discours qu’il avait tenu à la Columbia University, il revenait sur son expérience personnelle du fascisme italien, et avançait une grille d’analyse des signes avant-coureurs du basculement d’un régime politique vers le fascisme.
Dans l’esprit d’Eco, ces attributs ne peuvent s’organiser en système, beaucoup sont contradictoires entre eux et sont aussi typiques d’autres formes de despotisme. Mais il suffit d’un seul pour que le fascisme puisse se concrétiser. Voici les 14 points
- La première caractéristique du fascisme éternel est le culte de la tradition. Il ne peut y avoir de progrès dans la connaissance. La vérité a été posée une fois pour toutes, et on se limite à interpréter toujours plus son message obscur.
- Le conservatisme implique le rejet du modernisme. Le rejet du monde moderne se dissimule sous un refus du mode de vie capitaliste, mais il a principalement consisté en un rejet de l’esprit de 1789 (et de 1776, bien évidemment [Déclaration d’indépendance des États-Unis]). La Renaissance, l’Âge de Raison sonnent le début de la dépravation moderne.
- Le fascisme éternel entretient le culte de l’action pour l’action. Réfléchir est une forme d’émasculation. En conséquence, la culture est suspecte en cela qu’elle est synonyme d’esprit critique. Les penseurs officiels fascistes ont consacré beaucoup d’énergie à attaquer la culture moderne et l’intelligentsia libérale coupables d’avoir trahi ces valeurs traditionnelles.
- Le fascisme éternel ne peut supporter une critique analytique. L’esprit critique opère des distinctions, et c’est un signe de modernité. Dans la culture moderne, c’est sur le désaccord que la communauté scientifique fonde les progrès de la connaissance. Pour le fascisme éternel, le désaccord est trahison.
- En outre, le désaccord est synonyme de diversité. Le fascisme éternel se déploie et recherche le consensus en exploitant la peur innée de la différence et en l’exacerbant. Le fascisme éternel est raciste par définition.
- Le fascisme éternel puise dans la frustration individuelle ou sociale. C’est pourquoi l’un des critères les plus typiques du fascisme historique a été la mobilisation d’une classe moyenne frustrée, une classe souffrant de la crise économique ou d’un sentiment d’humiliation politique, et effrayée par la pression qu’exerceraient des groupes sociaux inférieurs.
- Aux personnes privées d’une identité sociale claire, le fascisme éternel répond qu’elles ont pour seul privilège, plutôt commun, d’être nées dans un même pays. C’est l’origine du nationalisme. En outre, ceux qui vont absolument donner corps à l’identité de la nation sont ses ennemis. Ainsi y a-t-il à l’origine de la psychologie du fascisme éternel une obsession du complot, potentiellement international. Et ses auteurs doivent être poursuivis. La meilleure façon de contrer le complot est d’en appeler à la xénophobie. Mais le complot doit pouvoir aussi venir de l’intérieur.
- Les partisans du fascisme doivent se sentir humiliés par la richesse ostentatoire et la puissance de leurs ennemis. Les gouvernements fascistes se condamnent à perdre les guerres entreprises car ils sont foncièrement incapables d’évaluer objectivement les forces ennemies.
- Pour le fascisme éternel, il n’y a pas de lutte pour la vie mais plutôt une vie vouée à la lutte. Le pacifisme est une compromission avec l’ennemi et il est mauvais à partir du moment où la vie est un combat permanent.
- L’élitisme est un aspect caractéristique de toutes les idéologies réactionnaires. Le fascisme éternel ne peut promouvoir qu’un élitisme populaire. Chaque citoyen appartient au meilleur peuple du monde; les membres du parti comptent parmi les meilleurs citoyens; chaque citoyen peut ou doit devenir un membre du parti.
- Dans une telle perspective, chacun est invité à devenir un héros. Le héros du fascisme éternel rêve de mort héroïque, qui lui est vendue comme l’ultime récompense d’une vie héroïque.
- Le fasciste éternel transporte sa volonté de puissance sur le terrain sexuel. Il est machiste (ce qui implique à la fois le mépris des femmes et l’intolérance et la condamnation des mœurs sexuelles hors normes: chasteté comme homosexualité).
- Le fascisme éternel se fonde sur un populisme sélectif, ou populisme qualitatif pourrait-on dire. Le Peuple est perçu comme une qualité, une entité monolithique exprimant la Volonté Commune. Étant donné que des êtres humains en grand nombre ne peuvent porter une Volonté Commune, c’est le Chef qui peut alors se prétendre leur interprète. Ayant perdu leurs pouvoirs délégataires, les citoyens n’agissent pas; ils sont appelés à jouer le rôle du Peuple.
- Le fascisme éternel parle la Novlangue. La Novlangue, inventée par Orwell dans 1984, est la langue officielle de l’Angsoc, ou socialisme anglais. Elle se caractérise par un vocabulaire pauvre et une syntaxe rudimentaire de façon à limiter les instruments d’une raison critique et d’une pensée complexe.

Synthèse d’un siècle d’expérimentation du fascisme
Du premier fascisme en Italie en Europe à celui du Chili en Amérique du Sud, ces régimes ont les mêmes caractéristiques, plus ou moins marquées en fonction des circonstances qui les a instaurés.
- Des mesures draconiennes prises par une bourgeoisie effrayée par une potentielle révolution populaire “communiste”
- La Nation dénonce avec violence un ou des ennemis intérieurs et/ou extérieurs. Une propagande médiatique incite à la délation, voire aux passages à l’acte.
- Un peuple uni qui est guidé par un Etat fort de sa police et de son armée, avec à sa tête, un Chef. Le contrôle et la répressions sont sanguinaires.
- Le travail est divisé en corporations de métiers, comprenant les patrons jusqu’aux apprentis. Les richesses produites sont gérés par les patrons et l’état. Le mode de production suit les grandes phases du capitalisme par l’implantation du modèle américain.
- L’Eglise catholique est une aide précieuse. L’école lui est confiée. Les gouvernements des USA ferment les yeux officiellement, mais les soutiennent indirectement
- Des groupes armés font règner la terreur dans les rues.
Dans les articles suivants, nous examinerons les spécificités de quelques uns

- La dictature est un régime politique dans lequel une personne ou un groupe exercent tous les pouvoirs de façon absolue, sans qu’aucune
-
Philippe Tancelin – Ne nous laissons pas taire, (Pour la Palestine)

Ne nous laissons pas taire ,ce serait le naufrage…par le silence par Philippe Tancelin
Ne nous laissons pas taire,
ce serait le naufrage…par le silence
Tandis que les gouvernants « pantins » d’Europe, se bousculent pour grignoter quelques reliefs du banquet Pouti-Trumpien, espérant sauver leur crédibilité plutôt que la vie de jeunes générations soldatesques Russo-Ukrainiennes, ces mêmes « pantins » reconnaissent sans précipitation ni aucune définition territoriale un hypothétique état Palestinien, improbable voire impossible, compte-tenu de l’État colon qui le côtoie lequel,ne cesse de se déployer au mépris radical du droit international et laisse libre cours à sa politique d’extermination du peuple de Gaza et de Cisjordanie.
Qui ose encore suggérer qu’il faudrait peut-être ici juger de tout par les même règles et sans partialité ?
Les morts eux-mêmes n’ont pas le même poids semble-t-il… Et on peut fort bien le comprendre lorsqu’un vivant Gazaoui meurt de faim et,ou, de balles tirées sur lui par ce que c’est affamé par l’occupant et ventre vide, qu’il va vers les quelques rares sources de ravitaillement.
N’entend-on pas de plus en plus que tout ceci est tellement : « injuste et horrible qu’il n’y a pas de mots pour en parler et qu’il ne reste plus que le silence dans lequel se réfugier » ? Réfugier sa sale et petite mauvaise conscience si bien abritée par « la discrétion, voire la sidération devant l’horreur, la peine et se sentir déchiré de toutes parts… »
Le carnage qui se déroule à Gaza, les victimes et témoins directs peuvent et savent courageusement le décrire aussi longtemps qu’on ne les assassine pas. Leurs témoignages évoquent la cruauté, la persécution qui conduisent la mise à faim et la mise à mort de milliers d’êtres humains tous âges et sexes confondus.
Mais l’horreur, elle, n’est pas descriptible. Elle est un sentiment.
Il est inspiré par la connaissance et la reconnaissance d’actes monstrueux avérés et prouvés qui depuis très longtemps, sont accessibles à quiconque le veut bien.
Aux habités par un tel sentiment d’horreur, nous vous rappelons sœurs, frères humains que jamais les mots ne peuvent manquer pour exprimer notre ressenti, le crier, le hurler, en faire entendre la puissance de révolte, seuls ou à plusieurs, comme les manifestations à travers le monde en témoignent.
Qu’on ne nous réplique pas qu’« on ne sait pas bien écrire ou parler, exprimer ses sentiments. » Se rassembler peut exprimer un NON catégorique devant « l’horreur.»
Ce n’est pas le vocabulaire qui manque, ce n’est pas la langue qui serait lacunaire, et paraîtrait désuète, incapable de dominer « l’indicible, l’inexprimable.» Ce n’est pas non plus l’écriture y compris de la poésie qui serait devenue impossible devant les barbaries, mais ce sont la conscience, la connaissance qui font faillite, une faillite dont la déclaration souvent n’est pas sans intérêt idéologique, à moyen terme.
Nous le savons fort bien, c’est le nombre qui manque, le courage, la volonté, mais aussi et surtout l’amour pour y contribuer qui sont absents, soit en raison d’une complicité objective avec les assassins, soit encore au nom de certaines leçons critiques de l’histoire qui justifieraient une adhésion sourde au laisser-faire le temps, les autres, ne pas s’engager, ne pas se déplacer, se déranger,ne pas sortir sous peine de se perdre.
Le ressenti d’impuissance si largement partagé au regard des événements ici comme ailleurs, est souvent le fruit d’un propre manquement à soi-même, à la nourriture de son espérance, autant de manquements qui précipitent une humanité en sa perdition.
Comment autrement expliquer que confrontées à la violation, négation du droit international,toutes ces nombreuses consciences, ces belles connaissances civilisationnelles, fières des « Lumières », héritées par transmission directe ou importées, n’en appellent pas aux devoirs et obligations de l’Homme vis à vis de valeurs essentielles qui font que la vie fait sens et que nous lui donnons sens.
Lorsque l’Usurpateur détruit par des actes de barbarie ces valeurs qui ne sont pas seulement celles de la culture occidentale mais de la culture mondiale, humaine et du dialogue des cultures, il est impératif que chacun.e s’empare de sa langue et en elle, par elle, réalise les conditions sous lesquelles un appel universel à son obligation, son devoir, est de nouveau possible.
Si à cette fin, la langue poétique est satisfaisante et peut être suffisante, elle ne saurait s’affirmer comme indispensable. Le cri de l’affamé(e) de Gaza, ses lèvres figées dans l’in-prononcé du dernier souffle, parlent non pas l’impossible, mais l’interdit, le perdu : la nourriture, la vie…
Ce qui doit être entendu ce jour, c’est que toute langue qu’on appelle et prononce depuis le refus de l’inéluctable, de l’invincible, le combat qu’elle porte contre l’indicible, est non seulement possible mais indispensable par « ces temps de Gaza », pour neutraliser les bourreaux et leur langue massacrière.
On peut, on doit écrire nos ressentis profonds devant ce qui se déroule d’horrible. Il faut, on doit écrire de la poésie « pendant Gaza ». On pourra, il faudra écrire de la poésie « après Gaza ». Ces langues, ces écritures en seront d’autant plus différentes qu’elles auront mené la bataille du langage contre l’odieux.
Les poètes palestiniens de la diaspora comme ceux sur le terrain en témoignent quotidiennement.
Si le peuple Palestinien a urgemment besoin de pain, il n’a pas moins besoin d’espérance exprimée en sa langue comme en les nôtres, ici, ailleurs à travers la terre, ne serait-ce que pour contenir une heure, un jour de plus sa faim avant de s’éteindre, sans perdre son lumineux de vie et de résistance.
Le regard aimant de la mère se réfléchit dans les yeux de l’enfant de Gaza mourant par manque de nourriture et de soins, sa fin de vie en est différente, éclairée par l’amour.
Face à la négation du droit et des valeurs essentielles, fondatrices du sens universel de vivre,toutes langues portant refus d’abandon au silence, face aux affirmations d’un « indicible », ou d’un « innommable », doivent occuper maintenant toute la place de notre expression, que celle-ci soit poétique, ou non poétique, pourvu que toutes portent notre engagement à recouvrer pleinement le sens du devenir Homme qui nous est ôté par pantins et bourreaux associés.
A qui hésite au nom de son petit doigt… Qu’il y aille de toute son âme, l’amour l’y aidera
Philippe Tancelin
17 août 2025
-
Salvatore Bravo-La Chine peut-elle être notre modèle ?

La Chine peut-elle être notre modèle ? par Salvatore Bravo
17 août 2025

L’Occident, terme désignant une zone géographique qui s’étend des États-Unis à Israël, montre sans équivoque la « vérité » de son système. C’est une zone géographique, où les différences sociales et culturelles ont presque disparu, à leur place l’américanisme prévaut. Ce dernier se caractérise par un économisme fanatique qui met tout en vente afin de récolter de la plus-value. L’individualisme est le modèle qui règne et dévore l’histoire et l’être avec sa hiérarchie de valeurs. Le multi-nullisme est l’essence de l’américanisme.
Le génocide des Palestiniens a lieu en mondovision et, pendant que tout cela se produit, les commérages dominent et règnent. Israël n’est pas soumis à de véritables sanctions, au contraire, on demande à la puissance qui défend les intérêts occidentaux au Moyen-Orient de faire preuve de « retenue » en matière de trêves et on l’invite à laisser passer l’aide humanitaire. Une esthétique funéraire qui voudrait masquer la complicité substantielle de l’Occident. Dans ce climat de monstruosité pourrissante devenue banale et ordinaire, poser le problème de l’alternative à un système qui semble invincible et éternel, mais qui est en réalité assiégé par un monde qui change rapidement, est essentiel pour redonner espoir au désert du désespoir. On se dirige vers une révolution également en Occident, puisque les technologies et les ressources minières sont maintenant en pleine possession des peuples non occidentaux. Les siècles de parasitisme et de pillage sont terminés ou sont en train de se terminer. La population de l’Ouest diminue et vieillit fortement ; la culture des seuls droits individuels montre son vrai visage, c’est-à-dire que la famille disparaît et avec elle l’avenir, ne laissant que des individus consommateurs qui ne laissent aucune trace derrière eux. Il n’y a pas de souci de l’autre (de la famille au sens propre et étendu), donc l’Occidental moyen finit ses jours en appauvrissant ce qui l’humanise. Dans ce contexte, rechercher et la fonder l’alternative est inévitable.
Les colonisés sont ceux qui défendent le modèle américain. Ce sont les athées fervents qui, afin de renforcer le système, s’engagent à soutenir des réformes purement esthétiques qui peuvent fortement le légitimer.
La lutte contre les racismes sert à masquer la violence ordinaire d’un modèle capitaliste fondé sur la concurrence et le nihilisme de l’argent. Le nouveau racisme qui émerge est basé sur la distinction entre les gagnants (propriétaires de grands patrimoines) et les perdants (socialement non pertinents). L’américanisme, tel que l’a défini Costanzo Preve, est le serviteur qui défend le maître et contribue à son pouvoir :
« L’américanisme ne signifie absolument pas toujours soutenir servilement tout ce que les gouvernements américains décident de faire à chaque fois. Le véritable américanisme, au contraire, consiste à conseiller l’empereur sur ce qu’il doit faire pour être plus aimé de ses sujets, plus multilatéral, moins unilatéral, et généralement plus porteur de soft power. Le véritable américaniste conseille de fermer Guantanamo, de décourager le Ku Klux Klan, d’élire autant de Noirs, de femmes, d’homosexuels que possible à la direction, etc. Le véritable américaniste veut pouvoir se reconnaître dans la puissance impériale qui occupe son pays avec des bases militaires et des dépôts de bombes atomiques des décennies après la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945) et la dissolution de tout pacte militaire « communiste » (1991). Le véritable américaniste veut être le sujet d’un bon empire, et c’est pourquoi il regrette que l’empire soit parfois mauvais et exagère. En massacrant l’Irak, l’empire n’a pas commis un crime, mais une erreur. L’américaniste utilise deux registres linguistiques et axiologiques différents, le code du crime et le code de l’erreur. Nous pouvons tous faire des erreurs, que diable ! Hitler, Mussolini, les Japonais, les communistes, Milosevic, Mugabe, la junte militaire du Myanmar, les talibans, etc., ont commis et commettent des crimes. Churchill massacrant les Kurdes et les Indiens, Truman larguant la bombe atomique sur Hiroshima, Bush envahissant l’Irak en 2003, ils ne font que des erreurs désagréables. L’américaniste accuse d’anti-américanisme tous ceux qui prétendent que les États-Unis se comportent comme un empire, et ne devraient pas le faire, mais se comportent plutôt comme un État-nation normal, confiant le monde à un équilibre entre les puissances, sans ambitions messianiques impériales. Ici, l’américaniste atteint le comble de l’imposture, parce qu’il accuse paradoxalement la culture américaine elle-même d’anti-américanisme, qui affirme clairement qu’elle est un empire, qu’elle veut être un empire et qu’elle veut continuer à être un empire, et qu’elle n’est pas du tout disposée à renoncer à cet exceptionnalisme messianique. L’américanisme ne consiste donc pas en un ensemble variable d’opinions sur tel ou tel acte spécifique des États-Unis, mais en un présupposé d’une intériorité illimitée à ce monde, dans laquelle il faut ensuite négocier les modalités de l’adhésion spécifique1”.
L’américanisme occidental est le symptôme de la décadence. Si les identités des peuples européens sont annihilées par des décennies de colonialisme linguistique, culturel et économique, il ne reste plus que l’américanisme avec son économisme pour donner un «habit du néant» qui se cache derrière le rideau idéologique des seuls droits individuels, lesquels proclament le marché comme lieu et espace de liberté. Le marché est bien plus qu’une institution économique, c’est le sens pervers de l’Occident. La liberté s’achète et se vend sur le marché, c’est une valeur d’échange, donc la liberté est une image miroir de la marchandisation. Dans ce climat de crépuscule, les tensions ne peuvent que s’aiguiser. Il est inévitable, dans un état suffocant, de chercher un autre modèle au-delà des frontières de l’Occident que rien ne semble pouvoir céder dans un tel état.
La Chine, avec ses succès et sa politique de défense des intérêts souverains, semble être « le modèle » dont il faut s’inspirer, d’autant plus qu’elle est une « puissance communiste » qui submerge aujourd’hui les États-Unis. Maintenant, le vrai problème est de savoir si le communisme est en vigueur en Chine. Pour pouvoir évaluer, nous avons besoin d’un modèle objectif, d’un paradigme, même s’il est partiellement défini, et le paradigme nous est donné par Marx. Le communisme est la participation radicale des travailleurs à la planification politique et économique. La nationalisation des banques et des grandes industries ne qualifie pas un État de communiste, ce qui le définit est la participation et le renversement de chaque oligarchie. En Chine, le pouvoir est fermement entre les mains d’une nomenclature d’hommes et de femmes qui utilisent le capitalisme à des fins sociales, pour augmenter la richesse nationale et pour satisfaire les besoins fondamentaux et maintenant même les superflus. Tout cela est grand, d’autant plus que cela s’est produit en quelques décennies, mais ce n’est pas du communisme, puisque les ouvriers restent des sujets gardés de la nomenclature. Ce qui manque, comme l’affirme Costanzo Preve, c’est la réflexion théorique sur la Chine, sans cette praxis de pensée on se limite à admirer les résultats, mais on n’évalue pas les processus et les fins :
Il est dit qu’une « longue marche vers la prospérité » est en cours en Chine. Je n’ai aucun doute à ce sujet. Je suis d’accord qu’il n’est pratiquement pas important qu’un chat soit rouge ou noir, tant qu’il attrape des souris, mais ce sage dicton n’aide pas à clarifier la nature sociale de la Chine d’aujourd’hui. On parle de la diaspora chinoise (Casati), de l’affrontement autour des terres rares (Giannuli), de la Chine qui est maintenant au centre du monde (Ricaldone). D’accord, il ne manque qu’une réflexion inspirée de la théorie de Marx. Maintenant, je ne dis pas que c’est nécessaire, en fait c’est peut-être trompeur. Mais alors il faut le dire, et ne pas se déclarer à la fois « communistes » et admirateurs du « dépassement » sino-américain. Giovanni Arrighi, dans sa précieuse étude sur la succession des cycles d’accumulation Gênes-Hollande-Angleterre-USA-Chine (Adam Smith à Pékin), dit des choses très similaires, mais il ne rêve même pas de parler d’un modèle socialiste qui l’emporte sur un modèle capitaliste.
Le livre suggère que l’élément principal pour caractériser la Chine comme une « nation souveraine d’origine principalement socialiste » réside dans la prépondérance macroéconomique de la propriété étatique et coopérative sur la propriété privée. Mais s’il en est ainsi, il faut avoir le courage de dire que Lassalle avait raison contre Marx. Je n’ai rien contre, mais qu’on le dise. Si le socialisme est l’ IRI[1] écrit en idéogrammes chinois, c’est très bien. Dans son introduction, Losurdo parle de son voyage en Chine (j’imagine honoré en tant qu’invité étranger de marque) et parle de bien-être partout visible. Je le crois, même si de temps en temps nous lisons des articles sur les révoltes paysannes et ouvrières, mais même les visiteurs des États-Unis du passé l’ont dit2”.
L’intervention de l’État dans l’économie ne garantit pas le communisme ou les formes de socialisme. Le dirigisme et la propriété étatique de la terre ne sont pas une garantie du socialisme ou du communisme, mais c’est une forme de capitalisme contrôlé. La Chine semble avoir renoncé aux objectifs idéaux du communisme : la participation politique, l’égalité formelle et matérielle, le soutien aux associations de travailleurs auxquelles devraient appartenir les moyens de production, au lieu de tels idéaux politiques règnent en Chine. Les hommes et les femmes vivent dans une réalité dans laquelle les inégalités économiques sont de plus en plus évidentes et dans laquelle l’argent a un poids de plus en plus important, il est donc difficile d’émettre l’hypothèse que les Chinois puissent au fil du temps concevoir des formes de communisme ou de socialisme plus harmonieuses et conformes à la définition marxiste du communisme. Si la nature humaine est éthique et rationnelle et que la pratique de la solidarité est donc ce qui humanise, la Chine répond-elle à cette vérité ? La Chine fait également partie d’un développement historique et productif très différent de celui de l’Europe, de sorte que les catégories chinoises et son modèle ne sont pas applicables en Europe. La stabilité chinoise est certainement l’une des forces de la Chine, et après les décennies de maoïsme, elle peut atteindre des objectifs impensables d’un point de vue productif et assiéger l’Occident, ou plutôt ses oligarchies, mais ce n’est pas le communisme :
« Je vais maintenant résumer brièvement mon essai engagé sur « l’Eurasie », 1/2006. La Chine est issue d’un mode de production asiatique, et donc les catégories sociopolitiques occidentales, qui se sont plutôt développées à travers le processus esclavagiste-féodalisme-capitalisme jusqu’à nos jours, ne lui sont pas applicables. Tout chevauchement de catégories créées pour comprendre la Grèce, Rome, le Moyen Âge, l’État absolutiste moderne, les Lumières, etc., est trompeur. Philosophiquement parlant (p. 113), l’objet historique traditionnel de la philosophie chinoise n’a jamais été la vérité (théorique), mais l’harmonie (pratique). Platon n’est donc pas superposable à Confucius. L’approche maoïste de la théorie de la contradiction (l’un est toujours divisé en deux) remonte à une tradition anti-confucéenne vieille de deux mille ans, principalement légiste et taoïste. Je suis redevable à mon ami le sinologue allemand (oriental) Ralf Moritz. Après la mort de Mao, certes hostile à Confucius (pensons à la campagne contre Confucius-Lin Piao), le retour à Confucius marque la mise au premier plan de la « recherche de l’harmonie » après les bouleversements de la période de trente ans 1946-1976.
Personnellement, je vois cela très favorablement. Je n’ai jamais conçu le socialisme à la manière de Sartre (révolution permanente des groupes-en-fusion contre les pratiques-inertes sous l’emprise du paroxysme du projet-finalité), mais je l’ai toujours conçu à la manière de Lukacs (stabilisation d’une vie quotidienne non pas au sens de Bakounine, mais d’Aristote et de Hegel). Je n’ai donc aucune objection. Mais je ne vois pas pourquoi le développement capitaliste de la Chine, même avec la présence bénéfique d’un contrôle macroéconomique de l’État que les dissidents pro-américains imprudents voudraient abolir, devrait être considéré comme le socialisme du XXIe siècle. Si vous voulez le considérer comme une correction de cap bénéfique par rapport à l’extrémisme stalinien et/ou trotskyste, je suis d’accord. Mais je pense qu’en Italie, en Italie et en Occident, cela n’a plus de sens de retomber dans « l’État dirigeant », même si ce n’est que symbolique, sans le Komintern et le Kominform, mais il est beaucoup plus utile de reprendre une discussion sensée sur le socialisme, impossible tant que cette discussion est « détournée » par la jet-set de gauche comme « Manifesto », « Liberazione » et d’autres journaux sédimentés par la tradition anarchiste de 1968.
Mais c’est une autre histoire. La vraie histoire3”.
Nous ne pouvons comprendre la Chine que si nous considérons qu’elle fait partie d’une histoire qui a son fondement dans la propriété de la terre qui, dans le mode de production asiatique, appartenait à l’empereur et appartient maintenant à l’État, et c’est bien sûr le katechon aux formes d’individualisme propriétaire sans limites ni frontières :
Le mode de production asiatique, dont Marx parle longuement (cf. K. Marx – F. Engels, Inde Chine Russie, Il Saggiatore, Milan 1960), implique d’une part la propriété de l’État despotique sur la terre, et d’autre part l’autonomie productive réelle des collectivités paysannes subalternes. Comme nous pouvons le voir, cela n’a rien à voir avec l’esclavage gréco-romain antique et le féodalisme d’Europe occidentale, deux modèles historiques qui ont servi à Marx pour élaborer les deux types respectifs d’esclavage et de mode de production féodal. La propriété exclusive de l’État despotique sur la terre, combinée à l’autonomie productive réelle des collectivités majoritairement paysannes, configure un modèle social, économique, politique et culturel absolument non occidental (pour le meilleur ou pour le pire, c’est une autre question à discuter séparément), que l’on retrouve sous des formes différentes et spécifiques en Chine, en Inde, chez les Incas du Pérou, et ainsi de suite. Ce modèle, dit asiatique, ne doit pas être confondu avec deux autres modèles qui ne sont pas non plus occidentaux, mais qualitativement différents, tels que l’antique-oriental (l’Égypte ancienne, l’ancienne Mésopotamie, la Chine et l’Inde anciennes des premières civilisations fluviales et hydrauliques, etc.) et comme l’africain, basé sur le rôle productif et structurel des langues des familles élargies et la division du travail social entre les sexes et les générations qui s’organisent toutes deux de manière autonome dans un sens de culturel et politique. La Chine a été le plus grand modèle historique du mode de production asiatique. C’est pourquoi ceux qui veulent parler de Mao comme d’un simple admirateur de Staline et d’un ennemi de Khrouchtchev doivent être invités, poliment mais aussi résolument, à approfondir l’étude4.
Le fait inévitable est le suivant : un dirigisme fort n’implique pas le socialisme. L’IRI n’a pas conduit au socialisme en Italie. L’intervention de l’État dans l’économie n’est pas une garantie du socialisme, au contraire, l’État a souvent été et est sous les ordres des oligarchies. L’argent a un pouvoir d’infiltration et de corruption remarquable. Ceux qui détiennent les moyens de production et l’argent peuvent percer les filtres et les limites institutionnelles.
Le socialisme et le communisme ne sont pas réductibles à des succès matériels et à des stratégies de contrôle de l’économie pour mettre en œuvre la production. Le socialisme et le communisme avec des densités différentes ont pour but de fonder et de concevoir une communauté d’État conforme à la nature humaine. Les critiques de Costanzo Preve ont eu pour but d’éclaircir avec l’art de la définition, qui ne doit jamais manquer à tout philosophe de race, le communisme à partir de ce qui peut sembler tel pour ne pas tomber dans des erreurs qui ont souvent leur cause dans le vide politique de nos terribles années. Il n’en reste pas moins un fait, la Chine nous enseigne l’autonomie et la défense des intérêts souverains, donc nous, Européens aussi, si nous retrouvons notre identité et notre indépendance, nous pourrions développer un modèle économique et social cohérent avec notre histoire et avec la tradition communiste européenne et, peut-être, si nous nous engagions sur cette voie difficile, nous pourrions être les catalyseurs populaires d’un nouveau projet sur mesure. On reste colonisé dans l’esprit, si pour échapper à un État colonialiste (les États-Unis), on cherche la solution dans un autre État. Se débarrasser des toxines du colonialisme est un chemin long et difficile. L’habitude de la dépendance est le mal qui sévit en Europe, et en particulier en Italie, occupée par plus d’une centaine de bases de l’OTAN et encline à imiter le monde anglo-saxon dans tous les domaines et toujours prête à détruire la langue, la culture, l’histoire et son paysage pour se transformer en une copie sinistre du dirigeant. Peut-être, de manière inconsciente, cette attitude répandue cache-t-elle le désir de cacher l’humiliation quotidienne en se démarquant de son identité et en s’identifiant aux dominateurs. Nous devons sortir de ce piège.
Salvatore Bravo
Notes
1 Costanzo Preve, Elements of Political Correctness Étude préliminaire d’un phénomène idéologique destiné à devenir de plus en plus envahissant et important à l’avenir, paragraphe XVII
2 Costanzo Preve, Lettre ouverte à Domenico Losurdo, dans Communisme et communauté, paragraphe VIII, oct. 2011
3 Ibid., paragraphe X
4 Costanzo Preve, Sur le maoïsme et Mao, Kelebek, paragraphe IV
[1] – IRI (Institut de Reconstruction Industrielle) Institution créée en 1933 et liquidée en 2002. Elle a été fondée pour acquérir les propriétés industrielles déjà détenues par les 3 grandes banques italiennes, Banca Commerciale Italiana, Credito Italiano et Banco di Roma, qui ont fait faillite à la suite de la grande crise de 1929 et ont ensuite été définies comme des banques d’intérêt national.
Après la 2ème Guerre mondiale, l’IRI a joué un rôle central dans le miracle économique italien. -
الطّاهر المعز – الفقر في أوروبا: نماذج من فرنسا وألمانيا

الفقر في أوروبا: نماذج من فرنسا وألمانيا : الطّاهر المعز
واقع الفقر
تكشف البيانات الرسمية الواردة في دراسة نشرتها منصّة « كل أوروبا » ( تموز/يوليو 2024) إن نحو 20% من سكان الإتحاد الأوروبي مهددون بالفقر أو الإقصاء الاجتماعي، ونشرت شركة ستاتيستا الألمانية المتخصصة في بيانات السوق والمستهلكين تقريرًا قَدَّرَ « إن نحو مائة مليون شخص أو 20% من سُكّان دول الإتحاد الأوروبي معرضون لخطر الفقر أو الاستبعاد الاجتماعي »، بفعل انحسار دَوْر الدّولة أو انسحابها من احتواء التفاوتات بواسطة أنظمة الدّعم الإجتماعي، مما رَفَعَ من عدد الأفراد الذين يعيشون على هامش المجتمعات الأوروبية، أو العاجزين عن مواجهة مصاريف الحياة الأساسية كالسكن والطّاقة والرعاية الصحية والتعليم والنّقل، وتُخفي هذه النسب تفاوتًا بين فنلندا التي بلغ معدّل الفقر بها أقل من 6%، وفرنسا ( 9,2% ) وبلغاريا (16% ) وإسبانيا ( 13,7% ) وإيطاليا ( 13% ) في إسبانيا، ولم يعد العمل يُمثل حماية أو « تأمينًا » ضدّ الفَقْر، إذْ قدّرت البيانات الرسمية للإتحاد الأوروبي ( يوروستات) إن نحو 10% من العاملين في الاتحاد الأوروبي يعيشون تحت خط الفقر، سنة 2023.
خلل هيكلي
تعتمد الدّوَل والمُؤسسات الدّولية على حجم الناتج المحلي الإجمالي لقياس قوة الإقتصاد وعلى نسبة نمو الناتج المحلي الإجمالي، وهي معايير كَمِّيّة، ومعدّلات ( مثل حصّة الفرد من الناتج المحلّي الإجمالي) لا شأنَ لها بالتّنمية ولا بتوزيع الثروات، ولذلك فإن ارتفاع حجم الإقتصاد ( الناتج المحلي الإجمالي) لا يعني تحسُّنًا في ظروف عيش الأغلبية أو انخفاض نسبة الفقر أو ارتفاع الرواتب وقد يعني ارتفاع ثروة الأثرياء بشكل غير متناسب مع عددهم ومع الجُهْد الذي قد يبذلونه لتعظيم ثرواتهم، وأظهرت البيانات في أمريكا الشمالية والإتحاد الأوروبي ارتفاع عدد العقود والوظائف الهشّة مقابل انخفاض الوظائف الثابتة، وازدياد احتمالات التّهديد بالفقر لفئة كبيرة من السّكّان العاملين ( في المناطق الحَضَرية أو في الأرياف) وغير العاملين، بسبب خفض الإنفاق الإجتماعي وبسبب سوء توزيع الثروة، مما جعل فئات عديدة من السّكّان عاجزة عن توفير الضّروريات، وارتفع عدد الفُقراء والمُهمّشين – بمن فيهم العاملون – بشكل لافت في ألمانيا وفرنسا، أكبر اقتِصادَيْن أوروبِّيّيْن، إذا اعتبرنا الفقير هو من لا يحصل على دخل يكفي لتلبية الحاجيات الأساسية كإيجار السّكن والطاقة والدّواء وتعليم الأبناء، ولو كان عاملا بدوام كامل، وفق مؤشّر الإتحاد الأوروبي للفقر ومرصد اللّامُساواة (فرنسا 2024 ) الذي يُركّز على ارتفاع عدد العاملين الفقراء (وهي ظاهرة تتجاوز فرنسا وتُؤَشِّرُ إلى خلل هيكلي في الرأسمالية النيوليبرالية) وعلى اتساع الفجوة في الدّخل والرواتب، بين المدير التنفيذي والعامل أو الموظف في أدنى درجات السّلّم الوظيفي، مما يُعرقل طموح أغلبية العاملين في تحسين مستوى عيشهم، ولذا وجب دراسة الجوانب المُتعدّدة ( أو الأبْعاد المتعدّدة) لمسألة الفَقْر في أوروبا التي تتضمن فُرص العمل المحدودة وهشاشة عُقود العمل وانخفاض قيمة الدّخل الحقيقي وانزلاق بعض الفئات الوُسْطى نحو الأسفل، وإلغاء منظومة الدّعم الإجتماعي، ويُشير المرصد الفرنسي إلى « الفَقْر غيْر الظاهر » للمواطنين الفُقراء الذين لا تشملهم عمليات الإحصاءات الرّسمية وهذا حال الكثير من فقراء أوروبا الذين لا يُحسبون ضمن الإحصاءات الرسمية، ويُشير موقع « يوروستات » ( مكتب الإحصاء الأوروبي) بنهاية حزيران/يونيو 2025 إلى ارتفاع حجم دُيُون الأفراد والأُسَر، مما يُشير إلى اتّساع دائرة الفَقْر غير المَرْئي أو المُقَنّع في بلدان الإتحاد الأوروبي، بسبب تضخم أسعار السكن والطاقة والغذاء، وثبات أو ضعف نمو الأجور التي أصبحت لا تكفي لتغطية النفقات الأساسية،وبسبب انعدام الأمان الوظيفي، وتجميد التوظيف الحكومي ( باستثناء قطاع الأمن) ونشرت شبكة يورونيوز تقريرًا يوم 13 حزيران/يونيو 2025 يُشير إلى ارتفاع نسبة الأطفال المعرّضين لخطر الفقر أو الإقصاء الاجتماعي داخل الاتحاد الأوروبي بنهاية سنة 2024، ليصل عدد هؤلاء الأطفال إلى نحو 19,5 مليونًا، أي ما يُعادِلُ 24,2% من مجموع الأطفال، مقابل 20,3% من الأوروبيين البالغين، وتُظهر بيانات مكتب الإحصاء الأوروبي (يوروستات) ارتفاع فَقْر الأطفال في العديد من بلدان أوروبا ( فرنسا وبلجيكا وإسبانيا ورومانيا ومالطا ) فيما تتصدر بلغاريا الدول الأوروبية من حيث خطر الفقر والإقصاء الاجتماعي لدى الأطفال بنسبة 35,1%، تليها إسبانيا (34,6%) ورومانيا (33,8%)، إلى جانب الدول التي سجلت انخفاض أو ضُعْفَ الحماية الاجتماعية، مقابل حُصُول الأُسَر الثّرية على إعفاءات ضريبية هامّة…
فرنسا – نموذج أزمة الفئات الوُسْطى
تُعد فرنسا نموذجا معبّرا عن أزمة الفئة الوسطى من المجتمعات الأوروبية التي فقدت « نعمة الإستقرار » الذي كان يُميّزها، وفق دراسة نشرها « معهد مونتين » (Institut Montaigne ) سنة 2024، تحت عنوان « الطبقة الوسطى: التوازن المفقود »، وفي الواقع تُعدّ عبارة « الفئات الوسطى » ( أو الطّبقة الوُسطى كما يُشاع) فضفاضة وغير دقيقة، وتفتقد إلى التّجانس لأن أفرادها غير مُتساوِين في الدّخل والوضع الاجتماعي وأنماط الاستهلاك، ولكن العديد من الأُجَراء والتّجّار والفلاحين يَشْعرون اليوم بعدم الأمان بفعل تراجع مستوى عيشهم وتدهور ظروف حياتهم وضبابية مُستقبل أبنائهم، لأن التعليم لم يعد يُشكل ضمانًا للوظيفة والدّخل المُحْتَرَمَيْن، واقتصر الإرتقاء في درجات السُّلّم الإجتماعي على أبناء الأثرياء، وأصبحت هذه الفئة تُعاني من جمود أو انخفاض الدّخل الحقيقي ومن تقلبات السوق وسياسات التقشف أو الضرائب غير المتوازنة، ومن تدهور مكانتها في المجتمع الذي تخلّى عن اعتماد الكفاءة كمقياس للترقِّي الإجتماعي، ومن ارتفاع احتمال التّعرّض للهشاشة والإقصاء، ولا يقتصر هذا التّوْصِيف على فرنسا لوحدها، بل يشمل العديد من دول الاتحاد الأوروبي، حيث تتجلّى ظاهرة ارتفاع ثروة الأثرياء ليزدادوا ثراءً بشكل استفزازي، وازدياد فقر الفُقراء، مما أحدث خلَلا في بُنية المجتمعات الأوروبية ( وكافة الدّول الرأسمالية المتطورة)، مما يُقوّض « النموذج الديمقراطي » الذي تبجّحت به أوروبا، حيث استفاد اليمين المتطرف من تراجع ثقة المواطنين في المؤسسات التقليدية، وفق دراسة معهد مونتاني المذكورة التي لاحظ مُعِدُّوها « انهيار العقد الإجتماعي ومفهوم المُواطنة الذي ساد منذ نهاية الحرب العالمية الثانية »، مما يُهَدّد المجتمعات الأوروبية بفقدان توازنها الداخلي، جراء انهيار الفئات الوسطى، وإقصاء الفقراء والمُهَمَّشِين والكادحين نحو الأحياء الطَّرَفِيّة وضواحي المُدن الكبرى التي أصبحت رمزًا حيًّا لسوء الخدمات وغياب التنمية الإجتماعية وصعوبة الحصول على سَكَن لائق وفُرص عمل ورعاية صحية ملائمة، ورمزًا للتفاوت الاجتماعي وفق تقرير أصدرته المفوضية الأوروبية سنة 2024، يُشير ( استنادًا إلى البيانات الرسمية للدول الأعضاء في الإتحاد الأوروبي) إلى ارتفاع معدلات الفقر والإقصاء وصعوبة الخروج من دائرة الفقر في هذه الأحياء الطَّرَفِيّة التي لم يعد يُؤمن سكانها ب »تكافؤ الفُرَص »، ولا تقتصر آثار هذا التهميش على المؤشرات الاقتصادية، بل تمتد إلى البنية النفسية والاجتماعية للسكان، إذ يولّد الفقر المتوارث شعورا باللاجدوى، ويُعزز من ضعف الثقة في الدولة ومؤسساتها مما يُشكّل مُؤشّرًا للخلل الاجتماعي البنيوي. (تقرير المفوضية الأوروبية بعنوان « شروط الحياة في أوروبا.. الفقر والإقصاء الاجتماعي » – 2024 )
ألمانيا
تُعَدّ ألمانيا قاطرة الإقتصاد الأوروبي، غير إن هذه القُوّة الظّاهرة تُخفي تفاوتات مُجحفة وأقَّرت الحكومة الألمانية ( بداية شهر نيسان/ابريل 2025) إنشاء صندوق استثماري بقيمة 1,1 تريليون يورو لتحديث البنية التحتية، وتعزيز قطاعات الصحة والتعليم، ودعم الاقتصاد الذي يواجه تحديات متزايدة، وقد اضطر البرلمان الألماني لتعديل الدّستور وإقرار الخطة، المناقضة لسياسة (كبح الديون)، ما أتاح للحكومة إمكانية الاقتراض الضخم، بعد أن حظي القرار بموافقة أكثر من ثلثي أعضاء البوندستاغ ( البرلمان الإتحادي) كشرط دستوري…
يأتي الاستثمار في ظل ظروف اقتصادية وسياسية صعبة؛ فمنذ اندلاع الحرب الروسية الأوكرانية، تكبد الاقتصاد الألماني خسائر فاقت 280 مليار يورو (310 مليارات دولار) خلال السنوات الثلاث الماضية، إلى جانب تقديم أكثر من 40 مليار يورو (44,27 مليار دولار) كمساعدات عسكرية لأوكرانيا، كما شهدت ألمانيا ركودًا اقتصاديًا للعام الثالث على التوالي، مما دفع أكثر من 55 ألف شركة إلى إعلان إفلاسها منذ بدء الحرب الأوكرانية، وفق معهد إيفو لأبحاث الاقتصاد الذي يُشير إلى تراجع « تَنافُسِيّة » اقتصاد ألمانيا وتراجع دورها الذي كان جاذبًا للإستثمارات واعتبرت حكومة الإئتلاف بزعامة الحزب الدّيمقراطي الإجتماعي ( مع الخُضْر) أو بزعامة الحزب الدّيمقراطي المسيحي إن حل معضلة تراجع القوة الاقتصادية الألمانية يتمثل في « تنفيذ إصلاحات تشمل تخفيض الضرائب عن الشركات وتقليص البيروقراطية، و زيادة الاستثمار في البنية التحتية العامة وتعزيز أمن الطاقة وتقديم حوافز أكبر للعمالة، والتّركيز على مجالات التكنولوجيا المتقدمة كالرقمنة والأقمار الصناعية للاستطلاع، والاتصالات الآمنة والطائرات من دون طيار وتعزيز الصناعات الدفاعية الأوروبية ( بقيادة ألمانيا)، وتقليل الاعتماد على سلاسل التوريد الخارجية، خاصة في مجالات المواد الخام والطاقة، وتقليل التبعية الأوروبية للولايات المتحدة… » وفق معهد إيفو لأبحاث الاقتصاد…
رحبت اتحادات الصناعة والمستثمرون بخطة الحكومة الألمانية إنشاء صندوق استثماري وتشمل الخطّة استثمارات ضخمة مثل 500 مليار يورو (553,5 مليار دولار ) لتطوير البنية التحتية ( الطرقات والسكك الحديدية ) ومائة مليار يورو (110 مليارات دولار) لدعم البيئة والمناخ، وأصْدَرَ اتحاد الصناعات الألمانية بيانًا يُثَمِّنُ « أهمّيّة دعم الإبتكار والشّركات النّاشئة (…) إن هذه الاستثمارات ستكون حاسمة في تحفيز النمو، ومن الضروري تعزيز رقمنة الدولة لتكون أكثر دعمًا للشركات، إذ يجب أن تصبح البنية التحتية الرقمية والتنظيم المشجع للابتكار ودعم الصناعات الإستراتيجية مثل أشباه المواصلات والبطاريات، في صدارة الأولويات لتبقى ألمانيا رائدة الإقتصاد الأوروبي… «
تُشير هذه التّعليقات إلى ضرورة دعم رأس المال من قِبَل الدّولة ( أي من المال العام والدُّيُون) « وتقديم إعفاءات ضريبية لدعم الاستثمار وتعزيز التوظيف »، فيما تُشير بعض الدّراسات الأكاديمية إلى « توجيه الأموال نحو تطوير البُنْيَة التّحتيّة والمدارس والجامعات وتحسين مستوى الرعاية الصحية ودعم الرَّقْمَنَة والتكنولوجيا، لإعادة إحياء الاقتصاد المتباطئ… » وأهملت هذه الدّراسات رواتب العاملين وتحسين ظروف عيش السّكّان، وخصوصًا المُتقاعدين، وارتفاع نِسب الفقر…
ارتفاع الإنفاق العسكري زمن الأزمة
أدّى قرار رصد ميزانية مفتوحة للجيش والصناعات العسكرية واستثمار مبالغ ضخمة لتطوير الجيش وقوات الأمن، إلى صفرة غير مسبوقة لقطاع صناعة الأسلحة، وتهدف الحكومة الألمانية جعل الجيش الألماني الأقوى في أوروبا، وانتعاش الإقتصاد بواسطة عَسْكَرَتِهِ، بعد عامين من الركود، واقتراض 465 مليار دولار ( 400 مليار يورو) لتحسين البنية التحتية المتهالكة والتعليم والصحة، و116 مليار دولارا ( مائة مليار يورو) لحماية المناخ، وتمثل الميزانية المفتوحة ( بدون سَقَف) للصناعات العسكرية عودة إلى فترة الحكومة النّازية التي جعلت من القوة العسكرية والأمن ( القمع ) أساسًا لسياستها، وبرّر معهد أبحاث الاقتصاد الألماني زيادة الإستثمار العسكري بدَوْرِه في « الخروج من فترة الرُّكُود لأن المكاسب الإنتاجية الناجمة عن الإنتاج العسكري قد تكون كبيرة، خاصة تلك المرتبطة بالبحث والتطوير… »، ورحّبت ولاية بافاريا (جنوب ألمانيا) بزيادة الإنفاق العسكري، لأن الولاية تضم أهم مواقع التجهيز العسكري والمركبات والطائرات وغيرها من المعدات، حيث يعمل حوالي 45 ألف شخص في قطاع الدفاع والأمن في الولاية، وأدى رفع الميزانية الدفاعية في ألمانيا إلى ارتفاع أسهم الشركات المصنعة للأسلحة، وفق اتحاد الصناعة البافاري، غير إن الولايات المتحدة ربطت زيادة الإنفاق العسكري لأعضاء حلف شمال الأطلسي إلى 5% من الناتج المحلي الإجمالي بشراء السلاح والمعدّات من الولايات المتحدة الأميركية والكيان الصهيوني…
الوجه الخفي للقُوة الألمانية
تُعدّ ألمانيا أكبر اقتصاد أوروبي وثالث أكبر اقتصاد عالمي، ومع ذلك أعلن مكتب الإحصاء الاتحادي يوم الأربعاء العاشر من نيسان/ أبريل 2024، استنادًا إلى النتائج الأولية لمسح حول الدخل والظروف المعيشية، أن 17,7 مليون شخص في ألمانيا كانوا تحت خط الفقر أو الإقصاء الاجتماعي خلال العام 2023، ما يعادل 21,2% من السكان، وبالمقارنة مع العام السابق ( 2022)، فقد بقيت النسبة تقريبًا دون تغيير، ويُعتَبَرُ الفرد مُعرّضًا لخطر الفقر أو الإقصاء الاجتماعي، وفق معايير الإتحاد الأوروبي، إذا كان دخله أقل من خط الفقر، أو أن تعاني أسرته من حرمان مادي واجتماعي شديد، أو أن يعيش في أسرة تشارك بشكل محدود في سوق العمل ويمكن تحديد نسبة المتضررين بناءً على كل من هذه الحالات، وتنطبق هذه المعايير على 20% من المتقاعدين أو حوالي 3,4 مليون شخص فقير تفوق أعمارهم 65 سنة، من إجمالي حوالي 17 مليون مواطن مُسِنّ في ألمانيا، من أجمالي 83,5 مليون نسمة، وبدأ فقر المُسِنِّين يطول الفئات المتوسطة، فيما تعاني ألمانيا من احتمال انخفاض عدد سُكّانها وانخفاض حجم الفئة القادرة على العمل، بينما ارتفع عدد المُشرّدين وعدد المُصْطَفِّين في الطوابير للحصول على مواد غذائية مجانية، وعدد المتقاعدين الذين يبحثون عن زجاجات فارغة لإعادتها إلى المتاجر مقابل بعض السّنْتَات، في العاصمة برلين كما في معظم المدن الألمانية، وهذا هو الوجه الآخر الخَفِي لارتفاع الثروة وارتفاع أجور الكوادر والمُديرين خلال السنوات القليلة الماضية، وتشير الإحصائيات إلى أن أكثر من 21,3% من السكان (أكثر من 25,5 مليون شخص) يعيشون تحت خط الفقر أو مهددون بالإقصاء الاجتماعي سنة 2024، وفقا للمكتب الاتحادي الألماني للإحصاء الذي تُشير بياناته إن 14,4% من سكان ألمانيا مهددون بخطر الفقر ( فضلا عَمّن يعيشون تحت خط الفقر أو هم فُقراء حاليا)، ويتم تعريف الشخص كفقير في الاتحاد الأوروبي إذا كان دخله أقل من 60% من متوسط الدخل الشهري للفرد في بلده، ويُقاس مستوى الفقر في ألمانيا بدخل شهري صافي يقل عن 1200 يورو (1250 دولارا) شهريا للفرد أو أقل من 2410 يورو (2510 دولارات) لعائلة مكونة من أبوين وطفلين، وتتمثل زيادة الفقر الظّاهر في ألمانيا بطول الطوابير أمام بنوك الطعام، وخصوصًا من المُسنّين، أما ما هو غير ظاهر فيتمثل في التفاوت في توزيع الثروة ووجود فئات تعاني من صعوبات اقتصادية، وأخرى متخمة، في ظل غياب سياسات اجتماعية واقتصادية تعزز تكافؤ الفرص وتقديم الدعم للفئات المحتاجة، وصرّح متحدث باسم بنك الطعام « تافل » ( قرابة أَلْف فَرع في ألمانيا)، إن التضخم وارتفاع الأسعار جعلا معاشات التقاعد غير كافية لتغطية الاحتياجات الأساسية، وإن الناس يواجهون أوضاعا صعبة أكثر من أي وقت مضى، لتفسير ارتفاع أعداد المتقاعدين المترددين على بنوك الطعام للحصول على مواد غذائية، جمعتها بنوك الطعام من المتاجر الكبرى والمخابز، واضطرت بنوك الطعام إلى تقليص كميات الطعام الموزعة لكل شخص لضمان استفادة أكبر عدد ممكن، بسبب ارتفاع أعداد المحتاجين منذ ثلاث أو أربع سنوات…
يُمثّل الفَقْرُ في ألمانيا مشكلة تعود بعض أسبابها إلى الارتفاع المستمر في تكاليف المعيشة، مقابل ثبات الأجور وعدم كفاية معاشات التقاعد، رغم النظام الاجتماعي الذي يوفر الحد الأدنى من الحماية، لكنه لا يكفي للقضاء على الفقر ( لأن) مكافحة الفقر مسؤولية سياسية ولا يمكن تركها بالكامل للمنظمات الخيرية مثل « تافل أو كاريتاس الخَيْرِية، وأشار المتحدّثان باسم هاتَيْن المُؤسّسَتَيْن « إن الفقراء غالبا ما يعيشون في شقق غير ملائمة أو صغيرة، بعيدا عن مواقع العمل والمدارس، وينفق معظمهم أكثر من نصف دخلهم على تكاليف السكن، ومن المؤسف إن نحو 70% من الأشخاص الذين عانوا من الفقر خلال السنوات الخمس الماضية سيستمرون في هذه الحالة خلال السنوات الخمس المقبلة، ما يعكس قلة الفرص المتاحة وندرة الوظائف ذات الأجر الكافي لتأمين حياة كريمة، حيث يحتاج الفرد في ألمانيا إلى ما لا يقل عن 650 يورو (677 دولارا) شهريا للحصول على غذاء صحي، في ظل ارتفاع نسبة البطالة إلى 6% وفق المكتب الاتحادي للإحصاء، ولا يتجاوز الدّخل الشهري للعاطلين عن العمل 560 يورو، وبشكل عام لا يحمي نظام الضمان الاجتماعي الأساسي من الفقر، ولم تُقدّم برامج الأحزاب المُمثّلة في البرلمان الإتحادي حلولا جذرية لمشكلة الفقر في ألمانيا…
بين خطاب « تكافؤ الفُرَص » وممارسة الإقصاء
وُلِدت الثورة الصّناعية والرّأسمالية في أوروبا، واستعمرت الدّوَلُ الأوروبية العالم، منذ القرن الخامس عشر، ولا تزال أوروبا تنهب ثروات البلدان الفقيرة التي تُهيمن عليها وُطْلق الحروب من أجل السيطرة على الأرض والموارد، وترفض هجرة ضحايا هذه الحروب وهذا النّهب من المُعَطّلين عن العمل والمُفَقَّرِين من إفريقيا وآسيا، الذين لازالوا يحملون أوهامًا عن أوروبا بعد تغْيِير شكل الإستعمار من عَسْكَرِي مُباشر إلى استعمار اقتصادي وثقافي وأشكال أخرى من الهيمنة « النّاعمة » و »الخشنة » ( كالإنقلابات)، وتتم هذه الهيمنة بتواطؤ من الأنظمة الوَكِيلة للإمبريالية التي تُفرّط في الثروات المعدنية والأرض والبشر…
لا زال ملايين البشر من بلدان « الأطراف » يعتبرون دول الإتحاد الأوروبي ملاذًا ومعقلا لحقوق الإنسان ورَمْزًا « للّرّفاه والحضارة والرُّقِي »، لكن مبدأ الرأسمالية يتلخّص في التّوزيع غير المتكافئ للثروات، في أي بلد رأسمالي، بل إن الفجوة الطّبقية ما فتِئَتْ تتوسّع وتتعمّق بين رأس المال والعَمل أو بين الأثرياء ( الذين لا يحصلون على المال من كَدّهم وعَرقِهم، بل بالوراثة أو بالمُضاربة واستغلال البشر فضلا عن الدّعم الحكومي) والكادحين الذي لا ثروة لهم سوى جُهْدِهم أو قُوّة عملهم، وكذلك الفُقراء الذين تم تهميشهم أو تشغيلهم بدوام جُزْئي مَفْرُوض وبعقود قصيرة الأمد وغير ثابتة، واتّسعت رُقعة الفقر بعد خصخصة المرافق العامة وخفض الإنفاق الحكومي في المجالات الحيوية كالرعاية الصحية والتعليم والنقل والسّكن، بموازاة ارتفاع حجم البطالة الكُلِّيّة أو الجُزْئِيّة، فارتفعت نسبة المُشرّدين وفاقدي المأْوَى جراء ارتفاع إيجار المَسْكن وزادت نسبة من يُعانون من سوء التغذية بسبب ارتفاع أسعار الغذاء، كما تخلّى ملايين المواطنين في الدّول الرأسمالية الغنية عن العلاج بسبب خصخصة قطاع الصحة وارتفاع أسعار الدواء وارتفاع أسعار الطّاقة، رغم انخفاضها في الأسواق العالمية، وتُساهم مجمل هذه العوامل وغيرها في تقويض أُسُسَ الدّيمقراطية التّمثيلية وانخفاض عدد المُشاركين في التصويت في الإنتخابات الدّوْرِية بسبب عدم تمثيل القوى السياسية لمصلحة أغلبية المواطنين…
لذا فإن الصُّورة البَرّاقة لأوروبا ( أو أمريكا الشّمالية) هي مُجرّد قِناع أو غلاف أو مَظْهَر خارجي يُخْفِي الفوارق الطّبقية المُجْحِفَة ويَطْمس الواقع اليومي للكادحين ومَحْدُودِي الدّخل والمُهاجرين الذين يتم استغلالهم بشكل فاحش وتشغيلهم في المِهن الشاقة وغير المُجْزِيَة، وتُخفي الفوارق بين المناطق وأحياء المدن الغنية والضواحي التي يسمنها الفقراء، وبين السكان الأصليين والمهاجرين، كما تدهورَ وضع الفئات الوُسطى التي كان أفرادها يطمحون الإرتقاء في درجات السُّلَّم الطبقي ليلتحقوا بطبقة الأثرياء…
وردت أهم المعلومات من وكالة رويترز 15 شباط/فبراير و 20 تموز/يوليو 2025 + أسوشيتد برس 16 تشرين الثاني/نوفمبر 2024 + مرصد اللاّمُساواة (فرنسا) أرقام سنة 2024، بالإضافة إلى مكاتب الإحصاء الوطنية والأوروبية.
الطّاهر المعز
-
Benoît Pelopidas -Armes nucléaires 2025 : parier sur la chance pour la survie de l’humanité


D’ après la lecture d’ Olivier Berruyer pour Élucid publié le 01/03/2025
Benoît Pelopidas est docteur en science politique, fondateur du programme d’étude des savoirs nucléaires de Sciences-Po et auteur de « Repenser les choix nucléaires ». Il est un des grands spécialistes mondiaux des armes nucléaires, des catastrophes potentielles qu’elles peuvent causer.
Il dévoile la triste vérité de ce sujet étrangement très peu abordé dans les grands médias, en dépit de son importance vitale : les armes nucléaires, loin de contribuer à notre sécurité, sont un danger à tous les niveaux. Leur existence fait peser sur l’humanité une menace hors de contrôle, a fortiori dans les temps troublés que nous traversons.
La première bombe atomique a rasé Hiroshima il y a 80 ans, tuant près de 150 000 personnes. Depuis lors, l’arme nucléaire est largement présentée par les gouvernements et la propagande médiatique comme une invention magique qui « dissuaderait » les grandes puissances de recourir à la guerre. En réalité, ce véritable « démon », a simplement reporté les guerres sur des pays secondaires où elle est réalisée depuis lors par procuration. Et durant tout ce temps, les dangers se sont accumulés : accroissement délirant du nombre de têtes nucléaires par les États-Unis et l’URSS, accidents dramatiques qui auraient pu dégénérer, mauvaises informations qui auraient pu conduire à des lancements d’ogives… L’arme nucléaire reste une menace existentielle pour l’Humanité, mais elle a pourtant disparu des écrans radars des médias.
La guerre est aussi vieille que les sociétés humaines. Elle a connu 2 révolutions historiques, qui ont démultiplié son pouvoir destructeur. La première a été l’invention des explosifs chimiques qui ont permis l’industrialisation de la mort, depuis la poudre noire découverte en Chine durant le 1° millénaire jusqu’au fameux TNT (trinitrotoluène découvert en 1863) devenu l’explosif standard de la 1° Guerre mondiale. La deuxième a été le passage à une échelle de destruction sans commune mesure, avec la découverte des explosifs nucléaires au début du XXe siècle, qui ont été utilisés sous la forme de bombes atomiques sur les villes d’Hiroshima et Nagasaki, tuant plus de 200 000 personnes.
La course à l’atome : la prolifération horizontale est tout sauf inéluctable
Ignorant les appels à la paix, les États se sont lancés dans une véritable course aux armements, dés la fin de la 2° Guerre mondiale avec les États-Unis : mi-1946, ils détenaient déjà 9 bombes atomiques et ils n’ont cessé de faire croître leur arsenal durant les 4 années de leur monopole atomique. Le mouvement s’est accéléré avec l’explosion de la 1° bombe A soviétique en 1949.
Durant la Guerre froide, les pays dotés de la bombe se sont multipliés : Royaume-Uni (1952), France (1960), Chine (1964), Israël (vers 1967), Inde (1974), Afrique du Sud (vers 1979) et Pakistan (1990), la Corée du Nord (vers 2005). On parle de « prolifération (horizontale) ». Il s’agit d’un terme de propagande, pour mettre l’accent sur le nouveau pays qui se dote de l’arme, malgré la responsabilité écrasante des 5 membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU déjà équipés qui ont aidé d’autres pays dans leurs recherches.
Ces dernières décennies, le rythme de dissémination s’est considérablement ralenti. Et en 1993, l’Afrique du Sud a été le premier et seul pays à ce jour à renoncer à l’arme nucléaire. Il y a donc actuellement 9 pays dotés de l’arme nucléaire. On dénombre également 6 pays qui hébergent des bombes américaines (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie) ou russes (Biélorussie), sans en avoir le contrôle. Ce nombre est à un niveau historiquement bas. Désormais, seul un pays, l’Iran, est suspecté de chercher à obtenir cette arme. La prolifération horizontale reste donc un danger potentiel, atténué avec la fin de la Guerre froide.Paradoxe : posséder l’arme nucléaire diminue souvent à long terme sa sécurité
En 2009, la secrétaire d’État Hillary Clinton déclarait : « Nous allons nous retrouver dans un monde avec un nombre croissant d’États dotés d’armes nucléaires ». C’est un exemple classique de la propagande tenace qui présente la prolifération comme une « fatalité » savamment entretenue par les dirigeants politiques, mais, 80 % des pays soit 154 n’ont jamais entamé de programme nucléaire et ne souhaite pas s’en doter.
Mais 40 pays ont entamé des recherches nucléaires militaires dont la Suisse, dont les chefs militaires ont demandé dès le 15 août 1945, soit 10 jours après Hiroshima, « que l’on étudie sans tarder la possibilité d’utiliser l’arme atomique pour la défense de la Suisse ». En 1958, le gouvernement suisse a confirmé sa volonté d’obtenir l’arme atomique « pour préserver [son] indépendance et protéger [sa] neutralité ». Puis le programme fut abandonné comme dans 75 % des cas. Ainsi, au moins 40 États sont aujourd’hui parfaitement capables de se doter de l’arme nucléaire (Italie, Égypte, Brésil, Turquie…). Cependant, ils ont choisi de ne pas le faire. La méconnaissance de ces quelques faits s’inscrit dans un mode de pensée dépourvu de toute vision politique de l’Histoire nucléaire, alors que celle-ci est évidemment centrale.Plusieurs raisons expliquent ce manque d’intérêt des États pour l’arme nucléaire, en 1° lieu, le manque de moyens financiers et/ou de compétences scientifiques; ou bien, l’absence de perception d’un danger qui pourrait le justifier. Dans d’autres cas, les militaires (qui, contrairement à une idée reçue, ne défendent pas tous l’arme nucléaire) ont pu estimer que le coût de développement de la Bombe allait détourner des moyens qui seraient beaucoup plus utiles pour des matériels conventionnels. Ce fut par exemple le cas en Suède ou en Afrique du Sud.
D’autre part, les « parapluies » nucléaires peuvent également constituer un danger, avec un risque pour les États alliés d’être pris dans un engrenage. La Norvège a combattu tout déploiement américain sur son sol, ses responsables militaires ayant considéré que « la menace prioritaire pour la sécurité de la Norvège venait du risque d’être entraîné dans un conflit nucléaire entre les 2 grands », car « l’offre d’aide militaire américaine consistait davantage à établir une tête de pont pour menacer l’Union soviétique qu’à protéger la Norvège, ce qui mettait cette dernière en danger ». Enfin, des questions de sécurité nationale conduisent à l’abandon des recherches en matière nucléaire. Contrairement à ce qu’affirme la propagande, l’arme nucléaire n’est pas « la garantie ultime de sécurité des États ». Bien au contraire, plus un État accroît sa puissance militaire pour garantir sa sécurité, et plus sa sécurité diminue, car cela incite ses adversaires à augmenter la leur.
C’est l’un des nombreux paradoxes de l’arme nucléaire. Prenons l’exemple de l’Inde. Craignant des conflits avec la Chine et le Pakistan, elle obtient la bombe en 1974. En conséquence, le Pakistan lance un programme et acquiert la sienne. Le fait que l’Inde ait la Bombe ne dissuade en rien le Pakistan d’attaquer l’Inde en 1999. Résultat pour l’Inde : non seulement les conflits limités sont toujours possibles, mais elle risque d’être détruite par des bombes nucléaires. Au final, sa sécurité a diminué.
Si un jour le pire advenait et que les États-Unis se retrouvaient vitrifiés par des centaines de bombes thermonucléaires, cela serait la preuve définitive que leurs armes nucléaires ne garantissaient pas du tout leur sécurité, et qu’ils auraient mieux fait d’abandonner les leurs et de réaliser d’énormes pressions pour que les autres pays en fassent autant. Hélas, le gouvernement américain et le Pentagone ont fait exactement le contraire.
Des bombes toujours plus puissantes : le danger de la délirante prolifération verticale
« Toujours plus gros » : c’est ainsi que les États-Unis ont répondu à la bombe A soviétique de 1949. L’explosion de Ivy Mike, la1° bombe à hydrogène, en 1952, avait pourtant été combattue par Oppenheimer au motif qu’elle ne pouvait être qu’un « gigantesque désastre humain ».
Ces bombes nucléaires de 2° génération, appelées bombes thermonucléaires ou bombes H, fonctionnent sur un principe inverse aux bombes A : si les premières libèrent leur terrifiante énergie en cassant de gros atomes par fission, les bombes H libèrent la leur en fusionnant de tout petits atomes, exactement comme dans le soleil. Ce phénomène nécessite cependant une énorme température de 300 millions de degrés pour s’enclencher, cette dernière étant atteinte par l’explosion préalable d’une bombe A, placée à l’intérieur de la bombe H.
L’explosion d’une bombe H se déroule dans un temps très court : 600 ns (1 nanoseconde = 1 milliardième de seconde) pour la réaction de fission et seulement 50 ns pour la fusion. Ces bombes disposent d’une puissance terrifiante, au moins 1 000 fois celle de la bombe à fission de 15 kt larguée sur Hiroshima. Par exemple, Ivy Mike, la première bombe à fusion américaine, a dégagé une énergie d’environ 10 000 kt (soit 10 Mt) et l’explosion la plus puissante de l’Histoire est celle de la Tsar bomba soviétique de 57 000 kt de puissance (pour un poids de 27 tonnes et 8 m de longueur, c’est la plus grosse bombe de l’histoire nucléaire), qui devait servir de test à des bombes de 100 000 kt. La France a emboîté le pas en développant des bombes thermonucléaires dès 1968.
Signalons enfin que d’autres types de bombes découlent de ces grands types d’armes nucléaires. La bombe à neutrons ou Bombe N, une toute petite bombe H rendue 10 fois moins efficiente, de façon à maximiser, au lieu de minimiser, les émissions de neutrons (x 10). Le résultat est une bombe de 1 à 10 kt, qui fait de gros dégâts explosifs sur quelques centaines de mètres, mais émet surtout un flux de rayonnements mortels sur un bon km. Le but principal était de disposer d’une arme nucléaire tactique destinée à tuer les équipages de chars (soviétiques), en limitant les contaminations locales des retombées radioactives. A contrario, la bombe salée est une bombe H dont l’enveloppe est choisie pour créer des isotopes radioactifs dans le but de maximiser la pollution radioactive du site et le rendre inhabitable pour au moins un siècle (contre quelques mois pour une bombe à fission type Hiroshima). La bombe au cobalt ou « Bombe de l’apocalypse » est une bombe salée. Il ne faut pas les confondre avec ce qu’on appelle une « bombe sale », qui a des explosifs classiques contenant des substances radioactives, qui n’entraine aucune réaction nucléaire ; l’explosion, classique, se contente de disperser ces substances sur la zone, la rendant inhabitable. Ainsi, on a assisté à une prolifération verticale : les États-Unis et l’URSS ont construit des armes de plus en plus puissantes, jusqu’à la démesure. Une tendance naturelle a poussé à améliorer la conception et l’efficacité de ces bombes, pour les rendre plus petites. Les bombes de la puissance d’Hiroshima sont passées de 4 000 kg à 90 kg. Les « améliorations » ont aussi concerné la partie nucléaire, et elles ont pu devenir beaucoup plus puissantes.
Le poids des têtes nucléaires a tellement diminué qu’il est devenu possible de les insérer dans des missiles, plutôt que dans de gros avions, ce qui facilite les frappes en territoire ennemi. Il est désormais possible de mettre plusieurs bombes H dans la tête d’un seul missile balistique pour les délivrer à l’autre bout de la Planète, où elles suivront des trajectoires indépendantes lors de leur entrée dans l’atmosphère ( le « mirvage », de MIRV : Multiple Independently targeted Reentry Vehicle) Les « progrès » techniques ont permis aux missiles nucléaires d’aller toujours plus loin (4 000 km pour les missiles de croisière, 25 000 pour les balistiques), toujours plus vite et en emportant toujours plus de têtes. Le missile balistique « Satan 2 », (200 tonnes), peut délivrer 15 têtes MIRV, soit 50 Mt au total, à 18 000 km de distance et à 25 000 km/h (soit 7 km /seconde).
Cette prolifération verticale est donc un immense danger pour l’Humanité. Malgré tout, les États-Unis prévoient de dépenser environ 1 700 Md$ entre 2020 et 2050 pour moderniser leur arsenal nucléaire, excédant les prévisions ; et la situation est identique dans tous les pays nucléarisés.
Cette autre prolifération est peu traitée par la grande presse, si on compare avec la prolifération horizontale de l’Iran, sujet traité par des experts à la fiabilité douteuse. Comme le rappelait en 2020 un ancien analyste sur le Moyen-Orient du ministère de la Défense, « à partir de 2003, chaque année au ministère de la Défense, on nous a annoncé une bombe iranienne dans les 2 ans ».La folie de la course aux armements nucléaires
Les limites du « toujours plus gros » ayant été atteintes dans les années 1960, les 2 « Grands » sont alors passés au simple « toujours plus », et ce jusqu’au pur délire, avec un stock mondial de près de 70 000 têtes nucléaires en 1986. Au total, ces États ont construit plus de 120 000 têtes nucléaires.
La taille actuelle des grands arsenaux est bien trop importante pour répondre à une seule logique de dissuasion. Que faut-il en déduire ? Que ces arsenaux démentiels incluent la possibilité de mener des frappes préventives. La fabrication d’armes tactiques de faible puissance est un signe de préparation de la « bataille nucléaire », qui n’est nulle part strictement prohibée.
Les essais nucléaires
On croit que la Bombe atomique a été utilisée 2 fois. C’est vrai sur des cibles civiles, mais en réalité, depuis 1945, il y a eu + 2 400 explosions nucléaires lors d’essais nucléaires, dont 543 dans l’atmosphère, tous les pays nucléarisés ayant procédé à des essais partout : dans l’atmosphère, dans le sol, dans l’eau et même dans l’espace. Les tests non souterrains ont largement contaminé l’environnement. Il y a même eu des accidents dramatiques, comme le test atmosphérique Castle Bravo de la plus grosse bombe H américaine, qui a détonné au sol en 1954 dans l’atoll de Bikini. Avec 1 000 fois Hiroshima, de très larges retombées ont fortement irradié et tué des pêcheurs à 130 km du point zéro. Le mois suivant, les retombées ont contaminé, certes faiblement, l’ensemble de la Planète. Ce désastre a entraîné de fortes protestations internationales (il est cité dans le manifeste pacifiste Russell-Einstein), qui ont abouti aux Traités d’interdiction de tous les essais nucléaires non souterrains en 1963 et de tous les essais en 1996. Il a également mis fin à la course à la puissance des armes américaines.
Signalons l’essai français Centaure, en Polynésie en juillet 1974, qui a contaminé plus de 90 000 Polynésiens au delà de ce qui leur donnerait droit à indemnités selon la loi Morin de 2010, comme le montre le livre Toxique (PUF, 2021) de Sébastien Philippe et Tomas Statius.Dévastation apocalyptique
S’il reste quelques doutes sur l’irresponsabilité totale des gouvernements, le travail obstiné de chercheurs américainsa mis à jour depuis quelques années,’un document déclassifié : un plan de guerre nucléaire américain datant de 1956. Il prévoyait l’utilisation de bombes et missiles nucléaires pour frapper 1 100 sites regroupant 4 500 cibles à détruire dans le bloc de l’Est et en Chine. Le plan identifiait 179 sites à détruire à Moscou, 145 à Saint-Pétersbourg, 91 à Berlin-Est, 23 à Pékin, et 12 à Varsovie. Les détails restent encore secrets, mais on parle d’au moins 5 000 bombes nucléaires de 50 à 10 000 kt. 8 ans auparavant, le 1° plan de guerre nucléaire américain de 1948, baptisé Halfmoon, prévoyait de « seulement » larguer 50 bombes atomiques sur l’Union soviétique soit 100 fois moins.
Au final ce « plan de protection de l’Europe de l’Ouest » aurait certainement entraîné au moins 100 millions de morts sur les 150 millions d’habitants « protégés » à l’Ouest du continent. Pourtant, comme le rappellent les universitaires américains, « les attaques contre des populations civiles violaient les normes juridiques internationales ».
Pour bien mesurer l’incroyable folie de tels bombardements, on peut représenter les dégâts d’une seule tête nucléaire lancée sur Paris, en fonction de sa puissance. Un seule bombe H standard actuelle tuerait entre 1 et 3 M de Franciliens, et brulerait tout sur un rayon de 3 à 8 km.
Hiver nucléaire : l’irresponsabilité de nos dirigeants
Le manifeste Russell-Einstein indiquait dès 1955 que « les personnalités les plus autorisées sont unanimes à dire qu’une guerre au cours de laquelle seraient utilisées des bombes H pourrait marquer la fin de la race humaine ». Les bombes H tuerait directement quantités de personnes dans les territoires visés, immédiatement ou suite aux radiations et les retombées radioactives se mettraient à circuler sur tout le globe, entraînant une contamination dont l’intensité dépendrait du nombre de bombes. Mais il y a pire. Toutes ces bombes vont déclencher de gigantesques incendies, dont la puissance va propulser d’énormes quantité de suies dans l’atmosphère, qui pourraient former un écran bloquant une grande partie des rayons solaires, pendant plusieurs trimestres ou années, soit une baisse des températures de -1°C à -16 °C et des récoltes de -10 % à -90 %. ( L’intensité et la durée d’un tel hiver nucléaire font l’objet de vifs débats scientifiques. Ce phénomène n’a rien de spécifiquement nucléaire, il se passe la même chose lors de chaque grosse éruption volcanique.)
Des dirigeants irresponsables
La guerre nucléaire est le risque majeur auquel on pense en premier. Un autre est celui d’ une explosion accidentelle. Le sujet fait partie des tabous, car il révulserait la population et mettrait à mal la dissuasion nucléaire. Le spécialiste Éric Schlosser explique:
« Le secret justifié par la nécessité d’empêcher l’espionnage étranger a été systématiquement utilisé pour dissimuler des problèmes de sécurité, dissimuler des accidents liés aux armes nucléaires et protéger les bureaucraties de la Défense de tout reproche. » En 1981, le ministère de la Défense américain a publié une liste très incomplète de 32 cas d’accidents graves liés aux armes nucléaires entre 1950 et 1980, dont certains auraient pu déclencher une explosion.
Une étude réalisée en 1970 par l’un des laboratoires américains d’armes nucléaires montrait que 1 200 armes nucléaires avaient été impliquées dans des accidents entre 1950 et 1968, dans l’immense majorité des cas, sans gravité. On ne connaît pas les accidents équivalents en URSS où le secret est resté absolu.
Enfin, dans certains pays, on peut craindre qu’un accident dégénère. Un gouvernement apprendrait qu’une de ses propres bombes a explosé en tuant ses citoyens. Responsables, témoins, preuves : tout est alors vaporisé. Il n’y aurait qu’une raison possible : un sabotage/attentat « de l’ennemi » car dans l’hypothèse de l’accident, on le tiendrait pour responsable, alors que le sabotage ne causerait qu’ une grave crise internationale…La crise de Cuba en 1962.
On salue souvent, à raison, la relative bonne gestion de la crise de Cuba par Kennedy (mais sans Arkhipov, cela se serait très mal fini), qui a résisté avec courage à son entourage qui le poussait à la guerre. Mais au tout début, il avait décidé l’escalade du conflit. Benoît Pelopidas explique pourquoi.
« Le Président a délibérément menti à sa population sur son évaluation de la menace lors de son allocution télévisée du 22 octobre, dans laquelle il affirme que les missiles soviétiques constituaient « une menace explicite pour la paix et la sécurité de toutes les Amériques ». Martin Sherwin conclut dans son étude magistrale : « le Président a choisi de risquer la guerre avec l’Union soviétique même si, ni lui ni son secrétaire à la Défense ne croyaient que les missiles de Khrouchtchev allaient altérer l’équilibre nucléaire ou mettre sérieusement en danger les États-Unis d’Amérique ».
La présence de missiles soviétiques à Cuba est détectée par un avion U2 le 14 octobre, le Secrétaire à la Défense McNamara affirme, dès le 16 au soir, que ces missiles soviétiques ne modifiaient pas significativement l’équilibre international. Le Président approuve, mais dira le contraire au peuple américain et au monde 6 jours plus tard. JFK a couru le risque, sciemment, le problème n’étant pas sécuritaire, mais politique, relatif à la gestion des alliances et aux élections du Congrès américain de novembre 1962. » En Allemagne, le chancelier allemand Adenauer, encourage les Américains, la sur-réaction et l’escalade emportant sur la prudence.
Propagande et tabous sur les armes nucléaires
Ce sujet du nucléaire militaire, eu égard aux risques démesurés qu’il fait courir, génère des tabous très puissants. Il y a celui du questionnement sur la moralité de posséder des armes aussi destructrices, puisque des experts prétendent qu’« en France, poser le débat moral, ce serait déjà perdre la foi dans l’efficacité de la dissuasion » ou encore « manifester notre scepticisme sur la crédibilité de la dissuasion, c’est faire le jeu de l’adversaire ». Le secret et le silence sont les 2 mamelles du nucléaire militaire en France.
Le bon « expert » ne parlera jamais « d’arsenal nucléaire » français, mais seulement de « notre force de dissuasion », ou du « nucléaire de défense ». Le remplacement du terme apparaît même (en 2025) sur Wikipédia, qui titrait depuis 20 ans la page « Force de dissuasion nucléaire », mais qui, pour les autres pays, emploie le terme de « Arsenal nucléaire ». Ce genre de questionnements vaudra à son auteur le qualificatif de « militant anti-nucléaire », les autres n’étant jamais des « militants pro-nucléaires ».
La propagande vise à convaincre la population de l’ efficacité des armes nucléaires. Et quoi de mieux que d’inventer une « efficacité démontrée » avec la fréquente affirmation officielle selon laquelle « les armes nucléaires ont empêché une guerre majeure pendant la guerre froide ». Mais la peur du nucléaire n’a pas incité à la prudence et à l’abandon de plans d’attaques. L’URSS déclenche le blocus de Berlin en 1950 face aux États-Unis, la Chine intervient en Corée face aux États-Unis, l’Égypte attaque Israël en 1973, le Vietnam attaque la Chine en 1979, l’Argentine envahit les îles Malouines britanniques en 1982. On a frôlé la guerre nucléaire en 2017 entre les États-Unis et la Corée du Nord. Le plan américain OPLAN 5027 prévoyait d’y déverser 80 armes nucléaires de 100 kilotonnes chacune si Pyongyang lançait un missile supplémentaire. Au plus fort de la crise, le Secrétaire américain à la Défense James Mattis dormit en tenue de sport pour être prêt en cas d’alerte.Le nucléaire est un business juteux
Les 9 pays dotés ont dépensé, entre 2010 et 2020, 1 000 Md$ pour leurs armes nucléaires. La France a prévu 37 Md€ entre 2019 et 2025. Évidemment, un lobby s’est organisé, rassemblant des militaires, des industriels de la défense. Des think tanks ont été créés, financés par le ministère des armées ou par des industriels. Ils œuvrent, à la diffusion de la « dissuasion-sans-risque-indispensable-à-notre-sécurité ». Cela rend donc nécessaire le soutien à la recherche indépendante, puisque les « experts » de plateaux ont des discours fortement biaisés. De plus, ces experts ne réalisent aucune évaluation critique de la (non) performance des systèmes d’armes. L’équipe du courageux Benoît Pelopidas a découvert dans ses recherches que le système d’armes nucléaires français déployé, n’était pas crédible au moins jusqu’en 1974, puisque les Mirage IV français n’avaient physiquement pas la capacité d’atteindre ses cibles en URSS, et les autres systèmes d’armes ne pouvaient y causer que de faibles dégâts. Bref, nous n’avions aucune dissuasion nucléaire jusqu’en 1974, et les Soviétiques le savaient bien. Cet élément fondamental n’a pas été communiqué aux Français ni à leurs représentants au cours des 30 dernières années, ce qui pose un grave problème démocratique.
Démocratie, désarmement et abolition
Pour arriver à ses fins, la propagande invente ainsi un « consensus » imaginaire de la population ce qui finit par poser un grave problème démocratique. Des sondages, réalisés par Benoît Pelopidas, nous éclairent sur ce que pensent les Français. Les responsables politiques le savent bien ; Christian Cambon, rapporte au Sénat sur la loi de programmation militaire en 2018 :
« Il ne me paraît pas forcément judicieux de le relancer [le débat], au risque de mettre ainsi à nouveau en lumière toutes les oppositions sur le sujet et de donner la parole à tous ceux qui souhaitent se manifester contre le nucléaire d’une manière générale. »
Bien plus grave : la 1/2 des gens pensent que leur avis n’a pas d’importance puisque seuls 39% des Français soutenaient la construction d’une bombe nucléaire, en 1964, 40 % étant contre. On n’a pas tenu compte de leur avis.
Enfin, près de 60 % des Français s’estiment mal informés. La chape de plomb qui recouvre le sujet prive les citoyens d’informations – d’où cet article. La chercheuse Isabelle Miclot rappelle :
« En 1950, une circulaire fut émise par le ministère de l’Éducation nationale portant « interdiction d’inspirer aux élèves l’horreur de la guerre atomique à l’aide de lecture, de dictées, d’énoncés de problèmes, de modèles de dessins, de démonstrations scientifiques, de cours d’instruction civique et de manifestations diverses ». Pris à partie, le ministre de l’Éducation nationale répondit : « Si l’on permettait aux maîtres de parler de la guerre atomique, certains ne manqueraient pas de faire la propagande communiste que l’on sait ».
Pendant ce temps, les États-Unis se souciaient plutôt de protéger leur population en sensibilisant les écoliers aux attaques nucléaires.
Pour 44 % de Français, « une fois qu’un pays a des armes nucléaires, il n’y renonce jamais » alors que l’Afrique du Sud l’a fait en 1993.
L’être humain a beaucoup de mal à concevoir la réalité d’une guerre nucléaire tellement cauchemardesque alors notre cerveau finit par se convaincre qu’elle ne pourra jamais arriver. Il préfère oublier ce risque. Durant la guerre froide, la culture populaire audiovisuelle jouait un rôle de sensibilisation de la population, avec la fin des « essais » qui avait rendu les armes nucléaires invisibles. Dans les films, les armes nucléaires étaient un grave danger, qui faisait très peur.
Ce phénomène s’est renversé depuis 20 ans. Aujourd’hui, les armes nucléaires sont LA solution à nos problèmes les plus graves ( contrer un astéroïde nous menaçant). Ainsi, on continue à invisibiliser 2 choses qui finissent par sembler impensables: les explosions non désirées, et le désarmement nucléaire.
Désarmement et abolition
Les États-Unis et l’URSS sont revenus ( pas complètement) de leur folie des grandeurs. La crise de Cuba en 1962 entraîne le Discours sur la Paix de Kennedy du 10 juin 1963:
« Les 2 pays partagent une humanité commune et un intérêt commun à éviter une catastrophe nucléaire et à construire une paix sincère ». Pour 15 ans, une détente dans la Guerre froide, se matérialise par la signature de plusieurs traités de désarmement.
Le plus fondamental est celui de Non-Prolifération (TNP) de 1968, qui prévoit un objectif de désarmement des États dotés : « chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace » (article 6).
De ce TNP découlent les Traités SALT, qui limitent les missiles les plus dangereux. Avec Gorbatchev, ils conduisent à une très forte réduction des armements, en fixant un plafond au nombre de têtes nucléaires déployées (beaucoup restant stockées). Ce plafond est abaissé de 6 000 à 1 500 au fil des accords. Le nombre total de têtes nucléaires sur la Planète a donc diminué de 85 % depuis 1986.La nouvelle guerre froide démarre crescendo depuis 2001

Elle a entraîné de graves reculs du désarmement. En 1972, en même temps que SALT, avait été signé le Traité ABM qui interdisait le déploiement d’un système de défense antimissile, Les États-Unis s’en sont retirés fin 2001, après le 11 Septembre, et ont développé des missiles, pour se protéger d’attaques « d’États-voyous ».
En 1987 a été signé le Traité sur les Forces Nucléaires à portée Intermédiaire (FNI) soit l’élimination de tous les missiles, à charge conventionnelle ou nucléaire, américains et soviétiques, lancés depuis le sol et ayant une portée se situant entre 500 et 5 500 km. C’est le1° traité à avoir éliminé une catégorie entière d’armement. Mais les États-Unis s’en sont retirés en 2019, en accusant la Russie de le violer. Comme l’indique le spécialiste Theodore Postol, c’est possible, mais ils le violaient aussi en développant leur système de missiles anti-missile.
En réaction à la fin de ces traités, la Russie a relancé une course technologique aux armements, pour disposer de missiles hypersoniques difficilement interceptables. Et en février 2023, elle a annoncé qu’elle suspendait, sans s’en retirer, sa participation au traité New START, le dernier de limitation des armes nucléaires avec les États-Unis, en vigueur. Elle a supprimé les autorisations d’inspection de ses installations nucléaires, tout en indiquant qu’elle continuerait à respecter les limites convenues. Le prétexte était le contexte de la guerre d’Ukraine et la non-participation de la France et du Royaume-Uni qui perfectionnent leurs arsenaux. Le 13 février 2025, le Président Trump a déclaré vouloir relancer les négociations sur le contrôle des armes nucléaires avec la Russie et la Chine :
« Il n’y a aucune raison pour que nous construisions de nouvelles armes nucléaires. Nous en avons déjà tellement que nous pourrions détruire le monde 50 fois, 100 fois. Et voilà que nous construisons de nouvelles armes nucléaires et que [la Russie et la Chine] construisent de nouvelles armes nucléaires, et dans 5 ou 6 ans la Chine nous aura rattrapés. Nous dépensons tous beaucoup d’argent que nous pourrions consacrer à d’autres choses qui sont en réalité, beaucoup plus productives. »
L’avenir nous dira si c’était une promesse en l’air ou si elle aura été suivie d’effets. Ce n’est pas impossible car on oublie de rappeler que les armes conventionnelles progressent beaucoup en précision et en vitesse, ce qui pourrait produire un effet dissuasif. Par ailleurs, la France et le Royaume-Uni ont également diminué leur arsenal, et, au final, il apparaît que le renoncement à la Bombe nucléaire constitue la stratégie de sécurité nationale volontairement choisie par la plupart des États.
Alors, pourquoi ne pas aller plus loin ? 94 États ont déjà signé le Traité d’interdiction des armes nucléaires de 2017. Le général Lee Butler, ancien commandant en chef du Strategic Air Command, a écrit dans ses mémoires en 2000 :
« J’en suis venu à une série de jugements profondément dérangeants. Depuis les tout premiers jours de l’ère nucléaire, les risques et conséquences de la guerre nucléaire n’ont jamais été adéquatement pesés par ceux qui les brandissaient. Les enjeux de la guerre nucléaire n’engagent pas seulement la survie des antagonistes, mais le sort de l’Humanité. […] Les conséquences probables de la guerre nucléaire n’ont pas de justification acceptable sur le plan politique, militaire, ou moral. […] Et dès lors, la menace d’emploi d’armes nucléaires est indéfendable. […] En tant que nation, nous n’avons pas de responsabilité plus grande que de mettre un terme à l’ère nucléaire. »
En 1996, 61 généraux à la retraite issus de 17 pays, dont 6 États dotés, ont exprimé ce message :
« Nous, militaires professionnels, qui avons voué nos vies à la sécurité nationale de nos pays et de nos peuples, sommes convaincus que l’existence continue d’armes nucléaires dans les arsenaux des puissances nucléaires […] constitue un péril pour la paix et la sécurité globale et pour la sûreté et la survie des peuples que nous nous sommes consacrés à protéger. […] La fin de la guerre froide rend [la création d’un monde exempt d’armes nucléaires] possible. Les dangers de la prolifération, du terrorisme, et d’une nouvelle course aux armements la rendent nécessaire. »
Enfin, en 2012, les rapporteurs de la Commission de la défense et de celle des Affaires étrangères ont écrit que : « S’il nous fallait dessiner aujourd’hui un format d’armées partant de zéro, il est fort probable que la nécessité d’acquérir une force de frappe nucléaire, avec de surcroît 2 composantes, ne ferait pas partie de nos ambitions de défense ». Si on n’avait pas la Bombe, on ne chercherait probablement pas à l’acquérir aujourd’hui et le chemin vers une très forte diminution des armes nucléaires est donc ouvert. L’emprunteront – ils ? Le « désarmement nucléaire général et complet », auquel les États dotés se sont engagés en signant le Traité de Non-Prolifération en 1968 (article VI) ? Tel est l’enjeu du XXIe siècle, pour qu’il y en ait un XXIIe. -
Frantz Fanon : l’éclat du métal

Frantz Fanon marchant sur une passerelle de navire. À la droite de Fanon se trouve Rheda Malek, un journaliste du journal du Front de libération nationale algérien El Moudjahid. Frantz Fanon Archives / IMEC
Trois affirmations factuelles dans ce texte sont discutables pour moi, notamment celles de la mort de Abane Ramdane, mais n'altèrent en rien sa valeur et sa grande richesse. Mohamed Bouhamidi.
Frantz Fanon : l’éclat du métal
20200228_Dossier-26_EN_Web.pdf – Frantz Fanon: The Brightness of Metal | Tricontinental: Institute for Social Research

Carte coloniale française de la Martinique tirée de l’Atlas nouveau de Covens & Mortier, 1942. Wikimedia Commons / Geographicus Cartes anciennes rares
« Sur cette terre, il y a ce qui mérite la vie. » Mahmoud Darwish
Frantz Fanon est né sur l’île caribéenne de la Martinique le 25 juillet 1925. Il meurt aux États-Unis, d’une leucémie, le 6 décembre 1961. Il avait trente-six ans. À trente-six ans, il avait été un protagoniste de deux guerres, un militant politique dans les Caraïbes, en Europe et en Afrique du Nord, un dramaturge, un psychiatre en exercice, l’auteur de nombreux articles dans des revues scientifiques, un enseignant, un diplomate, un journaliste, le rédacteur en chef d’un journal anticolonial, l’auteur de trois livres, et un panafricaniste et internationaliste majeur.
À l’instar d’Ernesto « Che » Guevara – un autre révolutionnaire qui valorisait la poétique et qui était un internationaliste engagé, un médecin, un soldat, un enseignant et un théoricien – la vie de Fanon a été marquée par un mouvement permanent, courageux et militant vers le présent, et vers la spécificité des situations dans lesquelles il se trouvait.
La pensée de Fanon porte, selon la phrase mémorable d’Ato Sekyi-Otu, une « irrépressible […] ouverture à l’universel ». Dans le domaine du politique, comme dans le domaine poétique, le chemin le plus vrai vers l’universel a toujours été celui d’un engagement intense avec le particulier dans ses manifestations concrètes dans l’espace et le temps : ce morceau de terre occupé dans les interstices de cette ville, ces femmes reconstruisant dans les ruines de la dernière attaque, le plastique brûlant dans ce brasero au fur et à mesure que la nuit avance, ces hommes qui sortent de l’ombre avec ces armes.
« Le courage », écrit Alain Badiou, « est une vertu locale. Il s’inscrit dans une morale locale ». C’est sur ce terrain que les penseurs radicaux, dont les œuvres nourrissent une capacité d’illumination et d’inspiration à travers l’espace et le temps, fondent leur intellect. Ce terrain peut être dangereux. Pour le militant, le prix à payer pour que, selon les mots de Fanon écrits en France en 1952, « deux ou trois vérités puissent jeter leur éclat éternel sur le monde », pourrait être le risque de « l’anéantissement ».
Pour l’intellectuel radical, la confrontation avec le particulier peut parfois exiger un travail solitaire, comme dans certaines formes d’écriture carcérale. Mais le fondement premier de la raison militante est, selon les mots de Karl Marx, « la participation à la politique, et donc aux luttes réelles ».
Et l’émancipation – le communisme, selon les mots de Marx – est « le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses » et non « un idéal auquel la réalité devra s’ajuster ».
Pour Marx, le monde ne sera façonné par les idées les plus précieuses de l’effort philosophique que lorsque la philosophie elle-même deviendra mondaine par la participation à la lutte. Cedric Robinson parle de cet impératif lorsqu’il écrit que, afin de « cimenter la douleur à l’objectif, l’expérience à l’attente, la conscience à l’action collective », il est nécessaire de s’assurer que « la pratique de la théorie est informée par la lutte ».
Pour Fanon, le développement de la raison radicale – c’est-à-dire de la raison émancipatrice – passe certainement par le dialogue avec la philosophie telle qu’elle est définie par Paulin Hountondji : « non pas un système mais une histoire ». Mais le plan du devenir sur lequel s’inscrit cette œuvre est, à l’instar de la philosophie de la praxis d’Antonio Gramsci, celui de la lutte – les luttes des damnés de la terre. Fanon est, selon les termes de Gramsci, un philosophe démocratique. « Ce philosophe, écrit Peter Thomas, n’est plus défini en termes de séparation d’avec la « vie du peuple », mais comme un élément expressif de cette vie qu’il vise à cultiver, en augmentant sa capacité de relations actives de connaissance et de pratique ».
Depuis sa mort à la fin de 1961, la pensée de Fanon a eu une vie extraordinaire, allant du maelström de la révolution algérienne à la prison américaine, en passant par la banlieue française, la favela brésilienne et bien au-delà. Parfois exprimée à travers une poétique puissante et toujours ancrée dans un humanisme radical – affirmation immédiate, universelle et militante de l’égalité et de la valeur de la vie humaine – sa vision politique s’oppose résolument à la logique manichéenne du colonialisme.
Le manichéisme est un concept central dans la pensée de Fanon. Le terme nous vient d’une religion fondée par Mani, connu par ses disciples sous le nom d’« Apôtre de la Lumière », en Babylonie au IIIe siècle. Mani a tissé un ensemble de religions diverses en une seule nouvelle foi qui proposait un dualisme absolu entre le bien et le mal représenté, en termes symboliques, par la lumière et l’obscurité. Introduit dans le discours contemporain sous forme de métaphore, le manichéisme parle d’une scission absolue entre toutes les choses légères et bonnes (et vraies, belles, propres, saines, prospères, etc.) et toutes les choses sombres et mauvaises (et fausses, laides, sales, malades, appauvries, etc.). C’est une orientation intrinsèquement paranoïaque du monde.
La pensée de Fanon est marquée par un engagement axiomatique en faveur d’un égalitarisme immédiat et radical – incluant la reconnaissance d’une capacité universelle de raisonnement. Il est façonné, dans sa structure profonde, par un sens profondément dialectique de la capacité de l’humain à être en mouvement. Sa pensée, prise dans son ensemble, n’a pas dévié de ce qu’Aimé Césaire, l’extraordinaire poète surréaliste, a décrit comme l’obligation « de voir clairement, de penser clairement – c’est-à-dire dangereusement ».
La libération doit, insiste Fanon, redonner « de la dignité à tous les citoyens, remplir leur esprit et régaler leurs yeux de choses humaines et créer une perspective qui est humaine parce que des personnes conscientes et souveraines y habitent ». Pour Fanon, la restauration de la dignité n’est pas une question de retour. Le voyage vers ce que, dans la dernière année de sa vie, il a appelé dans une lettre écrite à l’intellectuel iranien Ali Shariati « cette destination où l’humanité vit bien » est entrepris à travers un processus constant de devenir et d’élargissement de la sphère de la raison démocratique. Comme le note Lewis Gordon, pour Fanon, la légitimité n’est pas une question d’offrir une preuve d’authenticité raciale ou culturelle ; elle émerge plutôt « d’un engagement actif dans les luttes pour la transformation sociale et la construction d’institutions et d’idées qui nourrissent et libèrent les anciens colonisés ».
Pour l’intellectuel formé à l’université, Fanon pose une exigence simple, mais qui conserve sa charge radicale près de soixante ans plus tard : aller au-delà de l’ordonnancement ontologique et spatial de l’oppression et s’engager dans une forme de praxis insurgée et démocratique dans laquelle « un courant mutuel d’illumination et d’enrichissement » se développe entre des protagonistes de différentes positions sociales.

Frantz Fanon lors d’une conférence de presse d’écrivains à Tunis, 1959. Frantz Fanon Archives / IMEC
(Mauvaises) lectures
Le dernier livre de Fanon, Les Damnés de la Terre, est venu au monde peu de temps après qu’il l’ait quitté. En 1963, il a été mal traduit en anglais sous le titre Les Damnés de la Terre The Wretched of the Earth. Certains érudits préfèrent s’y référer comme Les Damnés de la Terre, ce qui est une meilleure traduction. D’emblée, Jean-Paul Sartre, intellectuel anticolonial engagé, a dévié de nombreux lecteurs avec une introduction qui, bien que sympathique, interprétait à tort Fanon comme un penseur manichéen. En 1970, Hannah Arendt, une penseuse qui a acquis une position importante dans le milieu universitaire nord-américain et au-delà malgré ses positions constamment anti-noires, a aggravé le problème avec une erreur d’interprétation influente qui a réduit la pensée complexe de Fanon à son soutien à la lutte armée contre le colonialisme.
Cependant, il y a un ensemble d’intellectuels qui ont lu Fanon comme un penseur sophistiqué plutôt que comme un archétype racial. Paulo Freire a été l’un des premiers intellectuels majeurs à comprendre la théorie de la praxis de Fanon. En 1968, Freire terminait le manuscrit de son deuxième livre, Pédagogie de l’opprimé, à Santiago alors qu’il vivait en exil de la dictature militaire au Brésil. Dans une interview en Californie en 1987, il se souvient : « Un jeune homme qui était à Santiago pour une tâche politique m’a donné le livre Les Damnés de la Terre. J’étais en train d’écrire Pédagogie des opprimés, et le livre était presque terminé quand j’ai lu Fanon. J’ai dû réécrire le livre ».
Après avoir lu Fanon, Freire a développé un humanisme radical engagé dans la reconnaissance immédiate de la personnalité pleine et égale des opprimés comme condition préalable à l’action émancipatrice. À l’instar de Fanon, sa forme de praxis est fondée sur une éthique de la réciprocité entre l’intellectuel autorisé et les personnes qui n’ont pas eu accès à beaucoup d’éducation formelle.
Pedagogy of the Oppressed a été publié plus tard cette année-là et, en 1972, il a été repris par l’Organisation des étudiants sud-africains (SASO) qui avait été formée par Steve Biko, Barney Pityana, Rubin Phillip et d’autres, en 1968. À partir de Durban, les idées freiriennes sont devenues centrales à une forme d’action radicalement démocratique qui visait à travailler vers la conscience critique en tant que projet partagé, plutôt qu’à annoncer au peuple de nouvelles versions de ce que Marx avait appelé « l’abstraction dogmatique ».
À la fin des années 1970 et tout au long des années 1980, les idées freiriennes sur la praxis – largement façonnées par Fanon, et souvent lues en parallèle avec lui – étaient au cœur du travail politique mené dans les luttes sociales et communautaires en Afrique du Sud. La théorie freirienne de la praxis a permis l’émergence de certaines des forces sociales les plus impressionnantes et les plus puissantes de la planète à l’époque, où les citoyens ordinaires sont devenus des protagonistes centraux des luttes et de la construction du sens, du contre-pouvoir et de l’histoire par la base.
Si l’on considère Fanon comme un théoricien de la praxis, la réaction rapide, mais extraordinaire et durable de Sylvia Wynter aux émeutes de Los Angeles de 1992 est exemplaire. Dans son approche explicitement fanonienne.
Dans sa conclusion explicitement fanonienne de « No Humans Involved: A Letter to My Colleagues », elle est allée au-delà de Los Angeles et vers « les vies jetables… de la grande majorité des populations qui habitent les “favelas/bidonvilles” du globe et leurs archipels sans emploi ». Wynter a soutenu que, pour les intellectuels formés à l’université – qu’elle considère comme des « grammairiens » formés de l’ordre constitué, un ordre qui ne considère pas tout le monde comme également humain – il est impératif de « marier notre pensée » à celle des opprimés.
En 1996, Sekyi-Otu a produit une lecture brillante et profondément dialectique, centrée sur l’Afrique, de Fanon, qui a placé la question de la praxis et, surtout, ce que Sekyi-Otu appelle « le sursis de la raison prodigue » au cœur de ce que Fanon appelait « le chemin fatigant vers la connaissance rationnelle ». Des chercheurs comme Nigel Gibson, Lewis Gordon et Tracy Sharpley-Whiting ont également considérablement enrichi les recherches sur Fanon.

Rencontre d’Abahlali base Mjondolo, le mouvement des habitants des bidonvilles d’Afrique du Sud, en février 2020. Rajesh Jantilal
Humanisme radical
Dans l’Afrique du Sud contemporaine, Fanon est lu et commenté depuis l’atelier d’éducation politique organisé autour d’une occupation foncière urbaine durement acquise jusqu’à l’école politique syndicale et au sein du monde universitaire, tant dans ses espaces dissidents que dans ses plus hautes sphères. La vie et l’œuvre de Fanon sont une source d’inspiration et d’acuité analytique pour tous ces publics. Achille Mbembe, écrivant depuis Johannesburg, explique :
« J’ai moi-même été attiré par le nom et la voix de Fanon car ils ont tous deux l’éclat du métal. Sa pensée est métamorphique, animée par une indestructible volonté de vivre. Ce qui donne à cette pensée métallique sa force et sa puissance, c’est l’air d’indestructibilité et, son corollaire, l’injonction à se lever. C’est le silo inépuisable d’humanité qu’il abrite et qui, hier, a donné sa force aux colonisés et qui, aujourd’hui, nous permet d’envisager l’avenir avec optimisme ».
De nombreux liens ouvrent de fructueuses perspectives de dialogue entre l’œuvre de Fanon et les formes contemporaines de lutte. Ceux-ci vont de son analyse de la centralité de la racialisation de l’espace et de la spatialisation de la race dans le projet colonial de peuplement, aux questions de langue, de maintien de l’ordre, d’inconscient racial et, bien sûr, aux réalités brutales de ce que l’on appelle désormais la postcolonie.
Dans le milieu universitaire métropolitain, l’humanisme de Fanon est, à quelques exceptions notables près – comme l’ouvrage précieux de Paul Gilroy – souvent ignoré ou traité comme dépassé, voire précritique. La condescendance méprisante de personnes dont l’humanité n’a jamais été remise en question n’est pas rare. Mais dans l’Afrique du Sud contemporaine, c’est la question de l’humain – comment se construit le compte de l’humain et comment s’affirme l’humanité – qui relie le plus étroitement le travail théorique de Fanon au travail intellectuel mené dans les luttes souvent périlleuses pour la terre et la dignité. Ici, la dignité est comprise comme la reconnaissance d’une humanité pleine et égale, y compris le droit de participer aux décisions publiques. Ces types de luttes – souvent menées contre la violence considérable de l’État et du parti au pouvoir, et le mépris de la société civile – sont profondément ancrées dans un humanisme insurgé qui légitime et soutient la résistance. L’important ouvrage de Nigel Gibson sur Fanon et l’Afrique du Sud en témoigne parfaitement.
La puissance politique contemporaine de l’humanisme radical n’est pas propre à l’Afrique du Sud. De Caracas à La Paz en passant par Port-au-Prince, les récits de politiques populaires et potentiellement émancipatrices mettent fréquemment en avant le quartier comme un lieu de lutte important, le blocus routier et l’occupation comme des tactiques essentielles, et l’affirmation de l’humanité des opprimés comme fondement de la force de résistance. Cette affirmation est souvent expliquée comme étant soutenue par des pratiques sociales où les femmes jouent un rôle de premier plan, et fréquemment évoquée en termes de reconquête de la dignité. Il n’est pas rare d’entendre des gens parler d’indignité comme d’une conséquence de l’expropriation du droit de participer à la prise de décisions concernant les affaires publiques, ainsi que du droit à la terre, au travail et à l’autonomie corporelle.
La question de l’humain est, en partie, celle de la manière dont l’oppression cherche à répartir l’attribution de la capacité de raisonner et à reconnaître certains discours comme tels tout en rejetant d’autres discours comme de simples bruits – bruits résultant de la déraison. Il s’agit de déterminer qui est honoré et qui est déshonoré, qui peut être calomnié en toute impunité et qui mérite le respect public, dont la vie est valorisée et qui ne l’est pas, dont la vie devrait normalement être régie par le droit et dont la vie devrait être systématiquement régie par la violence, et qui, dans la mort, devrait être pleuré et qui ne devrait pas l’être. Le déni d’une humanité pleine et égale permet à l’oppression de
tracer la frontière entre les formes d’organisation et de contestation qu’elle peut considérer comme politiques et celles qu’elle ne peut pas considérer, et entre la société civile et la sphère d’engagement qu’elle considère comme insensée, criminelle ou relevant d’un complot.
L’humanisme radical de Fanon, un humanisme fait – selon la célèbre formule de Césaire – « à la mesure du monde », permet de s’exprimer avec une réelle force sur les nombreuses façons dont la question de l’humain est posée et contestée au sein des formes contemporaines de militantisme populaire menées dans des zones d’exclusion et de domination sociales.
La porte ouverte de chaque conscience
Avant de venir en France à la fin de 1946 pour étudier la médecine, puis se spécialiser en psychiatrie, Fanon avait été soldat dans les Forces françaises libres, luttant contre le fascisme en Europe tout en affrontant le racisme constant au sein de l’armée française. En 1944, il est blessé lors de la bataille de Colmar, une ville française près de la frontière allemande, et reçoit la Croix de Guerre pour bravoure. En 1945, il rentre chez lui en Martinique, où il travaille pour la campagne victorieuse de Césaire pour être élu maire de Fort de France sur un programme communiste.
Dès le début, les écrits de Fanon en France se sont préoccupés de la manière dont le racisme produit ce que Michel-Rolph Trouillot appellera plus tard « une ontologie, une organisation implicite du monde et de ses habitants ». Dans Le syndrome nord-africain, un essai publié à l’âge de 26 ans, Fanon a examiné comment la science médicale française abordait le migrant nord-africain avec « une attitude a priori » qui, surtout, n’est pas dérivée « expérimentalement » mais, plutôt, « sur la base d’une tradition orale ». Il observe que « le Nord-Africain ne vient pas avec un substrat commun à sa race, mais sur une base construite par l’Européen. En d’autres termes, le Maghrébin, spontanément, par le simple fait d’apparaître sur la scène, entre dans un cadre préexistant. Dans ce cadre, le Maghrébin apparaît au médecin français comme « un simulateur, un menteur, un simulateur, un paresseux, un voleur ».

Stephen Biko (debout) lors de la conférence de 1971 de l’Organisation des étudiants sud-africains (SASO). La résidence Alan Taylor, où s’est tenu l’événement, était la résidence réservée aux étudiants en médecine de l’Université du Natal sous l’apartheid. Fondation Steve Biko
Fanon montre que dans la conscience du raciste, et dans l’intellect général des formations sociales racistes, la scission ontologique imaginée dont dépend l’idéologie raciste fait partie de ce qu’Emmanuel Kant appelait l’a priori – les catégories à travers lesquelles le sens est donné à l’expérience. Cette tromperie de la raison – ce que Gordon appelle la « rationalité raciste » – aboutit à ce que les sociétés racistes produisent des formes de connaissance qui, bien qu’autorisées comme les exemples les plus complets de la raison à l’œuvre, sont fondamentalement irrationnelles.
Le premier livre de Fanon, Peau noire, masques blancs, est publié à l’été 1952, quelques mois après Le Syndrome nord-africain, et la même année que L’Homme invisible de Richard Wright, avec lequel il a souvent été lu. Il a été traduit en anglais sous le titre Peau noire, masques blancs en 1967. Superbement analysé par Gordon, il s’agit à la fois d’une déclaration d’un engagement radical et affirmatif en faveur de la liberté humaine et d’une brillante critique du racisme dans les Caraïbes et dans la métropole qui aborde des questions allant de la langue à la culture populaire, en passant par la romance et le sexe, l’anthropologie et la psychologie. Il reste un texte fondamental pour les études critiques sur la race.
Peau noire, masques blancs a été dicté à Josie Dublé, une camarade et amante que Fanon épousera plus tard, alors qu’il faisait les cent pas dans sa chambre d’étudiant à Lyon. La prose porte un sens de la cadence de ce mouvement et est sculptée par une poésie fascinante avec des influences perceptibles de sa lecture de poètes comme Aimé Césaire et Jacques Roumain. Certaines parties du livre se lisent comme si elles étaient destinées à être déclamées.
Toute politique repose, consciemment ou non, sur une ontologie, sur une théorie de l’être humain. Pour Fanon, il y a deux faits marquants sur l’être humain, tous deux médiés par une disposition affirmative. La première est que l’être humain « est mouvement vers le monde ». Dans la tradition de la philosophie française qui s’étend de Sartre à Badiou, la perspective de ce que Fanon appelait la « mutation » de la conscience – la capacité de l’être humain à changer – resterait jusqu’à la fin un thème central de sa pensée. Dans son travail réalisé lors de son immersion dans la révolution algérienne, la mutation de la conscience sera explorée dans le contexte de la lutte collective.
Pour Fanon, la conscience n’est pas seulement dynamique. Le deuxième fait marquant à propos de l’être humain est que la conscience est libre de la même manière qu’elle l’est dans l’existentialisme de Sartre. Pour Fanon, « Dans le monde que je traverse, je me crée sans cesse. Je fais partie de l’Être dans la mesure où je le dépasse ». Mais Fanon ne partage pas le pessimisme de la vision de Sartre selon laquelle l’humain est « une passion inutile ». L’humanisme de Fanon porte un optimisme fondamental que l’on peut sans doute situer dans une tradition d’humanisme caribéen avec des antécédents africains et des parallèles qui va de Toussaint Louverture à Aimé Césaire, en passant par Sylvia Wynter et Jean-Bertrand Aristide. Il commence et termine son premier livre en insistant sur le fait que « l’homme est un oui ».
Son humanisme a aussi une dimension universelle : « L’antisémitisme me frappe de plein fouet : je suis enragé, je suis saigné à blanc par une bataille épouvantable, je suis privé de la possibilité d’être un homme ». Fanon affirme que « chaque fois qu’un homme a contribué à la victoire de la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’assujettissement de ses semblables, j’ai ressenti de la solidarité avec son acte ». Bien sûr, l’utilisation d’un langage genré qui est parfois (mais pas toujours) introduit dans la traduction est regrettable pour un intellectuel qui insistait sur le fait que « [nous] devons nous prémunir contre le danger de perpétuer la tradition féodale qui considère comme sacrée la supériorité de l’élément masculin sur l’élément féminin ».
Pour Fanon, l’impératif de reconnaître chaque conscience comme autonome et possédant la capacité de raisonner et d’exercer la liberté est éthique autant qu’empirique. Il conclut son premier livre, Peau noire, masques blancs, en insistant sur le fait qu’« à la fin de cette étude, je veux que le monde reconnaisse, avec moi, la porte ouverte de toute conscience ». L’engagement de Fanon pour la reconnaissance de toute conscience comme porte ouverte est un principe universel, un axiome militant, tout à fait opposé à la conception aristocratique de la philosophie qui, allant de Platon à Nietzsche, et jusqu’à leurs descendants contemporains, réserve la raison à une caste privilégiée. Plus tôt dans le livre, il écrit en tant que clinicien et en allusion à la théorie de la praxis qui sera plus tard élaborée dans le tourbillon de la guerre d’Algérie :
En examinant cette fermière de 73 ans, dont l’esprit n’a jamais été fort et qui est maintenant loin dans la démence, je me rends soudain compte de l’effondrement des antennes avec lesquelles je touche et par lesquelles je suis touché. Le fait que j’adopte un langage adapté à la démence, à la faiblesse d’esprit ; le fait que je « parle de haut » à cette pauvre femme de 73 ans ; le fait que je condescende à elle dans ma quête d’un diagnostic, sont les stigmates d’une déréliction dans mes relations avec les autres.

Réunion du Front démocratique uni (UDF), un organisme anti-apartheid de premier plan qui a été lancé en 1983 et a rejoint les luttes de nombreuses organisations sud-africaines. Wits Historical Papers
Délire manichéen
Peau noire, masques blancs est aussi une théorie sur la façon dont le racisme « enferme » l’être humain. Fanon décrit son désir de « venir jeune et agile dans un monde qui était le nôtre et d’aider à le construire ensemble », mais se trouve « enfermé dans un objet écrasant ». Il propose une théorie de l’idéologie raciste comme une forme de « délire manichéen » dans laquelle, dans l’imaginaire raciste qui structure tout, de la publicité au divertissement, en passant par la science et l’inconscient, la blancheur est associée à la beauté, à la raison, à la vertu, à la propreté, etc., et la noirceur à l’avers. Dans la mesure limitée où le progrès est possible dans la logique de ce schéma, « Du noir au blanc est le cours de la mutation. L’un est blanc comme l’on est riche, l’autre est beau, l’autre est intelligent ».
Fanon décrit l’échec inévitable des tentatives de trouver un moyen d’obtenir la reconnaissance nécessaire pour vivre librement contre le poids écrasant du racisme : « Chaque main était une main perdante pour moi ». L’une de ces mains perdantes était la raison. Le fanatisme avec lequel la raison était codée comme blanche dans l’imagination raciste était tel qu’il était impossible d’être reconnu comme étant à la fois raisonnable et noir : « Quand j’étais présent, ce n’était pas ; quand il était là, je n’étais plus ». Le résultat final est l’effondrement : « Hier, en m’éveillant au monde, j’ai vu le ciel tourner sur lui-même complètement et entièrement. Je voulais me lever, mais le silence éventré retomba sur moi, ses ailes paralysées. Sans responsabilité, à cheval sur le Néant et l’infini, je me suis mis à pleurer ».
Fanon conclut qu’il ne peut y avoir de solution personnelle au problème du racisme. Ce qu’il faut, c’est « une restructuration du monde ». Il termine Peau noire, masques blancs en affirmant que « Éduquer l’homme à l’action, en préservant dans toutes ses relations son respect pour les valeurs fondamentales qui constituent un monde humain, est la tâche première de celui qui, ayant réfléchi, se prépare à agir ». Il s’agit d’un engagement envers la praxis, un terme qui apparaît régulièrement dans les publications originales françaises de l’œuvre qu’il produira ensuite à Tunis, mais qui est largement éludé dans les traductions anglaises.
Mutations radicales
Après avoir terminé ses études en France, Fanon prend la direction de l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en Algérie, une institution coloniale dans laquelle il met en œuvre des réformes radicales. Alice Cherki, interne à l’hôpital, et plus tard biographe la plus sensible de Fanon, rappelle que son but en tant que clinicien n’était « pas de museler la folie mais de l’écouter ».
En 1956, décrivant la société coloniale comme « un tissu de mensonges, de lâcheté, de mépris de l’homme », il démissionne de son poste à l’hôpital pour rejoindre la révolution contre le colonialisme français depuis une base à Tunis. Il travaillera pour la révolution en tant que psychiatre, journaliste, éditeur et diplomate, entreprendra des travaux de reconnaissance et enseignera la philosophie – y compris la Critique de la raison dialectique de Jean-Paul Sartre – aux soldats sur le front. Au cours de ses années de révolutionnaire, il a rencontré des gens comme Simone de Beauvoir, Cheikh Anta Diop, Patrice Lumumba, Es’kia Mphahlele, Kwame Nkrumah et Jean-Paul Sartre.
En décembre 1957, Abane Ramdane, le plus proche camarade de Fanon dans le mouvement de libération nationale algérien, est assassiné par une faction de droite au sein du mouvement qui visait à subordonner le travail politique à l’autorité militaire. Le nom de Fanon a été placé sur une liste de personnes à surveiller et à subir un sort similaire s’il y avait une défiance ouverte au sein du mouvement en réponse à l’assassinat. À partir de ce moment, Fanon a vécu en sachant qu’il y avait un potentiel de risque important de la part des nationalistes autoritaires dans le mouvement, et une lutte vitale dans la lutte.
Le deuxième livre de Fanon, L’An V de la Révolution Algérienne, est publié en 1959 et traduit en anglais en 1965. En anglais, il est connu sous le nom de A Dying Colonialism depuis 1967. Le livre est, explique Fanon, un compte rendu de la façon dont la participation à la lutte « pour imposer la raison à … la déraison [coloniale] », pour s’opposer à « l’indignité, maintenue vivante et nourrie chaque matin », aboutit à ce qu’il appelle « des mutations essentielles dans la conscience du colonisé ».
Il s’agit, comme l’observe Cherki, d’un livre très délibérément consacré aux « hommes et aux femmes ordinaires » – les femmes et les hommes dans une société en mouvement, plutôt qu’aux personnalités et aux actions des élites révolutionnaires. Contrairement aux formes élitistes d’anticolonialisme qui visent à diriger « les masses » d’en haut, l’impératif de reconnaître la « porte ouverte de toute conscience » est étendu aux gens ordinaires.
Fanon exprime clairement sa position dès le début : « La puissance de la révolution algérienne […] réside dans la mutation radicale qu’a subie l’Algérien ». Dans le contexte de la lutte révolutionnaire, la mutation a échappé à l’emprise de l’idéologie raciste – qui ne peut comprendre le progrès que comme un mouvement du noir vers le blanc – et est maintenant un processus autonome et autodirigé.
Le livre propose cinq études de cas du type de « mutation radicale » – ou de changement de conscience – qui peut avoir lieu dans le tourbillon de la lutte, du mouvement collectif. Dans chaque cas, Fanon offre un compte rendu de la façon dont le manichéisme introduit par le colonialisme s’effondre dans la lutte. Le livre examine comment les technologies introduites par le colonialisme et initialement identifiées comme intrinsèquement coloniales – à savoir la radio et la médecine biomédicale – sont prises en compte dans la lutte, comment les relations entre les sexes changent dans la lutte et, dans le dernier chapitre, comment une partie de la minorité européenne choisit d’offrir son soutien à la révolution anticoloniale.

Frantz Fanon et son équipe médicale à l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville en Algérie, où il a travaillé de 1953 à 1956. Frantz Fanon Archives / IMEC
Ce n’est peut-être pas surprenant, compte tenu du contexte du tout ou rien de la guerre d’Algérie, que les études de cas de Fanon sur le développement de solidarités politiques radicales à travers les classes, les sexes et les races tracent toutes un mouvement unidirectionnel d’illumination progressiste. Par exemple, le médecin – autrefois considéré comme un agent du colonialisme, mais maintenant « dormant à même le sol avec les hommes et les femmes des mechtas, vivant le drame du peuple » – devient « notre docteur ».
Il est également démontré que les normes en matière de genre changent dans la lutte. Fanon décrit la femme algérienne, « qui a pris une place de plus en plus importante dans l’action révolutionnaire », comme « brisant les limites du monde étroit dans lequel elle avait vécu… [et] en même temps participer à la destruction du colonialisme et à la naissance d’une nouvelle femme ». Cet aspect de l’œuvre de Fanon, et son engagement plus large avec le genre, est très bien analysé par Sharpley-Whiting, qui conclut, dans une analyse féministe rigoureuse, qu’il est clair que « Fanon reconnaissait le droit de la femme algérienne à exister en tant qu’être social autonome et complet ».
Quiconque a participé à une lutte populaire soutenue reconnaîtra immédiatement la valeur et la validité du récit de Fanon sur les « mutations radicales » qui peuvent changer radicalement, et souvent rapidement, les capacités et la pensée des gens. Cependant, dans A Dying Colonialism, il n’y a pas de sentiment de lutte dans la lutte, ni de sentiment que le progrès dialectique peut être inversé, et c’est souvent le cas une fois que les luttes se sont apaisées.
Un rouge très dur
En juin 1959, Fanon est grièvement blessé lorsqu’une jeep dans laquelle il voyage explose à cause d’une mine près de la frontière tunisienne et algérienne. Il a été envoyé à Rome pour un traitement médical, où il a échappé de justesse à l’assassinat, très probablement aux mains d’une organisation de colons violente liée à l’État français.
En mars 1960, Fanon est envoyé à Accra pour devenir ambassadeur itinérant du gouvernement provisoire du mouvement de libération nationale algérien, le Front de libération nationale. Ses rencontres avec les États nouvellement indépendants étaient souvent décourageantes. En novembre 1960, il fait partie d’une équipe chargée d’une mission de reconnaissance visant à ouvrir un front sud à la frontière avec le Mali, avec des lignes d’approvisionnement allant de Bamako à travers le Sahara. À la dernière minute, soupçonnant un piège, ils abandonnent leur projet de voyager en avion et parcourent les deux mille kilomètres qui séparent Monrovia de Bamako. L’avion à bord duquel ils devaient voyager a été dérouté vers Abidjan, où il a été fouillé par l’armée française.
Dans son journal de bord, Fanon note sa préoccupation face aux limites des formes de politique qui ne vont pas au-delà du manichéisme introduit par le colonialisme et ne développent pas d’idées et de pratiques émancipatrices : « Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas, en fait, les ennemis actuels de l’Afrique. Dans peu de temps, ce continent sera libéré. Pour ma part, plus je m’enfonce dans les cultures et les milieux politiques, plus je suis sûr que le grand danger qui menace l’Afrique est l’absence d’idéologie.
Ému par les vastes panoramas du désert et revenant à la poésie de ses premières œuvres, Fanon écrit : « Il y a quelques jours, nous avons vu un coucher de soleil qui a transformé la robe du ciel en un violet éclatant. Aujourd’hui, c’est un rouge très dur que l’œil rencontre. Bien que le voyage à travers le désert l’ait laissé visiblement épuisé, il se rendit immédiatement à Accra pour écrire une contribution à une publication en anglais du gouvernement provisoire d’Algérie. Un examen effectué par un médecin à Accra a soulevé la possibilité d’une leucémie. Il est rentré à Tunis, a fait une prise de sang et s’est diagnostiqué une leucémie. Ce soir-là, il a annoncé sa résolution d’écrire un nouveau livre. Après avoir reçu un traitement dans une clinique à l’extérieur de Moscou, il a eu une brève fenêtre d’opportunité pour écrire alors que le cancer entrait en rémission.

Après la mort de Frantz Fanon en 1961, son corps a été transporté de l’autre côté de la frontière tunisienne pour être enterré en Algérie. Frantz Fanon Archives / IMEC
Le chemin fatigant vers la connaissance rationnelle
Des parties de la dernière œuvre de Fanon, Les Damnés de la Terre, ont été dictées depuis un matelas sur le sol d’un appartement à Tunis alors qu’il était mourant. Le livre offre un réquisitoire cinglant contre le colonialisme de peuplement, un compte rendu critique de la lutte contre le colonialisme, un compte rendu tout aussi brûlant du bourbier postcolonial et une vision radicalement démocratique de la praxis émancipatrice. Il se termine par un récit poignant des dommages causés par la violence de la guerre coloniale.
La critique de la ville coloniale dans les premières pages du livre est particulièrement puissante et continue de résonner dans le présent. L’idéologie manichéenne que Fanon critiquait en France a pris une forme matérielle concrète dans la colonie de peuplement, dont l’apartheid était un cas paradigmatique. Le monde colonial est divisé en différentes zones, destinées à différents types de personnes. C’est un monde « d’enchevêtrements de barbelés », « un monde divisé en compartiments », « un monde coupé en deux », « un monde étroit et parsemé de violence ». Pour Fanon, la décolonisation authentique exige une fin décisive à une situation dans laquelle « ce monde divisé en compartiments, ce monde coupé en deux, est habité par des espèces différentes ».
La description de la lutte anticoloniale poursuit l’exploration de la mutation collective développée dans A Dying Colonialism. Dans le récit de Fanon, la réponse initiale à l’oppression coloniale est fondamentalement façonnée par ce qu’elle oppose : « Le manichéisme du colonisateur produit un manichéisme du colonisé ». Fanon est clair sur les coûts de ce contre-manichéisme : « Au mensonge de la situation coloniale, le colonisé répond par un mensonge égal ». Dans la lutte, il y a, dit-il, une « brutalité de pensée initiale et une méfiance à l’égard de la subtilité ».
Mais, alors qu’il y a du mouvement le long de ce que Fanon appelle « le chemin fatigant vers la connaissance rationnelle », les paradigmes coloniaux sont transcendés plutôt que simplement inversés. Le peuple commence à « passer d’un nationalisme total et indiscriminé à une prise de conscience sociale et économique ». Fanon est clair sur le fait que ce processus exige que « le peuple abandonne également sa conception trop simple de ses suzerains » alors que « la norme de jugement raciale et raciste est transcendée ».
Sekyi-Otu, faisant valoir un point crucial pour permettre des lectures sérieuses de l’œuvre, montre qu’un ensemble de déclarations emphatiques présentées comme des déclarations définitives au début du livre sont ensuite remises en question au fur et à mesure que le récit de Fanon se déroule. Pour ne prendre qu’un exemple, au début, on affirme que : « La vérité est ce qui précipite l’effondrement du régime colonial ; C’est ce qui favorise l’émergence de la nation ; C’est tout ce qui protège les peuples indigènes et ruine ceux des étrangers. Plus loin, Fanon explique que, lorsqu’il devient clair que « l’exploitation peut revêtir un visage noir ou un visage arabe », les certitudes initiales se heurtent à des limites évidentes.
Fanon écrit que, alors que les certitudes manichéennes qui marquent le premier moment de la lutte commencent à s’effondrer, « la clarté idyllique et irréelle du début est suivie d’une demi-obscurité qui déconcerte la conscience ». Au fil du temps, au fur et à mesure que la lutte se développe, « la conscience se lève lentement sur des vérités qui ne sont que partielles, limitées et instables ». Les choses sont repensées à la lumière de l’expérience de la lutte, du mouvement collectif, contre le colonialisme. L’objectif fondamental du compte rendu de Fanon sur ce dépassement de la logique manichéenne du colonialisme est, selon Sekyi-Otu, « de mettre en scène la montée de modes de raisonnement, de jugement et d’action plus riches » que ceux immédiatement accessibles dans les limites de la pensée coloniale.

30 octobre 1974 : Anniversaire de la guerre d’indépendance algérienne de 1962. Alamy
( en réalité, cette photo a été prise dans mon quartier de Belcourt, raison pour laquelle je la reconnais, le 11 décembre pendant les manifestions de 1960 qui ont avorté le projet Gaullisite. J’étais présent à ce moment de la prise en photo. Mohamed Bouhamidi)
Fanon avait été témoin des premières années du Thermidor africain, le moment où, comme il l’explique, la « lave libératrice » des grandes luttes anticoloniales s’est refroidie alors que le peuple était expulsé de l’histoire, « renvoyé dans ses cavernes » par des dirigeants qui, « au lieu d’accueillir l’expression du mécontentement populaire » et la « libre circulation des idées », se sont donné l’initiative de « proclamer que la vocation de leur peuple est d’obéir et de continuer à obéir ». Dans son dernier livre, il était clair que s’en tenir aux principes signifiait entreprendre une lutte dans la lutte, ainsi qu’affronter l’ennemi colonial. Il avertit qu’« une bataille incessante doit être menée, une bataille pour empêcher le parti de devenir un jour un outil volontaire entre les mains d’un dirigeant ». Fanon soutient que, pour asseoir la rébellion sur une base rationnelle, il est nécessaire de résister à « ceux qui, à l’intérieur du mouvement, ont tendance à penser que les nuances de sens constituent des dangers » et aux dirigeants qui insistent sur le fait que « le seul dogme valable […] c’est l’unité de la nation contre le colonialisme ».
Sa critique de la bourgeoisie nationale, de la « bourgeoisie rapace », de son utilisation de l’État comme instrument pour s’attaquer à la société et de son utilisation abusive de l’histoire de la lutte collective pour consolider sa propre autorité est impitoyable. Fanon est clair sur le fait qu’il existe des formes de militantisme nationaliste qui portent « les mêmes jugements défavorables » sur les plus opprimés parmi les colonisés que ceux des colonisateurs. Il insiste sur le fait que la conscience nationale – « ce chant magnifique qui a fait se soulever le peuple contre ses oppresseurs » – doit être complétée par une conscience politique et sociale.
Fanon lance une mise en garde claire contre les partis qui visent à « ériger un cadre autour du peuple qui suit un calendrier a priori » et les intellectuels qui décident de « descendre dans les chemins communs de la vie réelle » avec des formules « stériles à l’extrême ». Pour Fanon, la vocation de l’intellectuel militant est d’être dans la « zone d’instabilité occulte où habitent les gens », dans la « marmite bouillonnante d’où sortira l’apprentissage de l’avenir », et, là, de « collaborer sur le plan physique ». Il est clair que l’intellectuel formé à l’université doit éviter à la fois l’incapacité de « mener une discussion à double sens », d’engager un véritable dialogue, et son revers, devenir « une sorte de béni-oui-oui qui hoche la tête à chaque mot venant du peuple ». Contre cela, il recommande « l’inclusion de l’intellectuel dans l’essor des masses » en vue d’atteindre, comme indiqué ci-dessus, « un courant mutuel d’illumination et d’enrichissement ».
Fanon affirme la pratique de la mutualité enracinée dans un engagement immédiat en faveur d’une égalité radicale, quelque chose comme la vision juvénile de Marx d’une « association d’êtres humains libres qui s’éduquent les uns les autres ». Son engagement constant pour la reconnaissance de « la porte ouverte de toute conscience » l’amène à une compréhension radicalement démocratique de la lutte enracinée dans des pratiques locales dans lesquelles la dignité est affirmée, la discussion menée et les décisions prises. Pour Fanon, la tâche première de l’éducation politique est de montrer qu’« il n’y a pas d’homme célèbre qui prendra la responsabilité de tout, mais que le démiurge est le peuple lui-même et que les mains magiques ne sont finalement que les mains du peuple ». Il affirme l’importance du « libre échange d’idées qui ont été élaborées en fonction des besoins réels de la masse du peuple ». Il y a des résonances évidentes avec la célèbre affirmation de C.L.R. James selon laquelle, pour reprendre une expression empruntée à Vladimir Lénine, « tout cuisinier peut gouverner ». Fanon, engagé jusqu’au bout dans l’émancipation de la raison, dans son émancipation dans et par la lutte, a terminé son dernier livre par l’impératif d’« élaborer de nouveaux concepts ».
Pour être digne de ce nom, la pensée communiste doit être l’expression d’un intellect en mouvement, d’un intellect fondé sur le mouvement réel et, par conséquent, d’un dialogue permanent avec les autres en lutte. Il doit porter le désir militant – dans la synthèse lapidaire d’Étienne Balibar d’un axe central de l’Éthique de Benoît Spinoza – « d’autant que possible, de penser autant que possible ». C’est de cette forme de militantisme que Fanon nous parle aujourd’hui, avec une telle puissance irrésistible, avec l’éclat du métal.

Une grève organisée par les ouvriers du textile Dano à Hammarsdale, en Afrique du Sud, en 1982. Wits Historical Papers
Lectures complémentaires
Cherki, Alice. Frantz Fanon : Un portrait. Ithaca, New York : Cornell University Press, – 2006.
Elhen, Patrick. Franz Fanon : une biographie spirituelle. New York : Éditions Crossroad – Société, 2000.
Fanon, Frantz. Un colonialisme mourant. New York : Grove Press, 1967.
Fanon, Frantz. Aliénation et liberté. Londres : Bloomsbury, 2009.
Fanon, Frantz. Peau noire, masques blancs. New York : Grove Press, 1967.
Fanon, Frantz. Les Damnés de la Terre. Londres : Penguin, 1976.
Fanon, Frantz. Vers la révolution africaine. New York : Grove Press, 1967.
Gibson, Nigel. Fanon : L’imaginaire postcolonial. Londo :. Polity, 2003.
Gibson, Nigel. Les pratiques fanoniennes en Afrique du Sud : de Steve Biko à Abahlali
baseMjondolo. Pietermaritzburg : Presses de l’Université du KwaZulu-Natal, 2011.
Gibson, Nigel et Beneduce, Roberto. Frantz Fanon, Psychiatrie et politique.
Johannesburg : Presses de l’Université du Witwatersrand, 2017.
Gordon, Lewis. Fanon et la crise de l’homme européen : un essai sur la philosophie et la
sciences humaines. New York : Routledge, 1995.
Gordon, Lewis. Ce que Fanon a dit : une introduction philosophique à sa vie et à sa pensée.
Johannesburg : Presses de l’Université du Witwatersrand, 1996.
Lee, Christopher. Frantz Fanon : Vers un humanisme révolutionnaire. Johannesburg : Jacana
Presse, 2015.
Mbembe, Achille. Nécropolitique. Johannesburg : Presses de l’Université du Witwatersrand, 2016.
Néocosmos, Michael. Penser la liberté en Afrique : vers une théorie de la politique émancipatrice.
Johannesburg : Presses de l’Université du Witwatersrand, 2016.
Sekyi-Otu, Ato. La dialectique de l’expérience de Fanon. Cambridge, MA : Harvard University Press, – 1996.
Sekyi-Otu, Ato. Universalisme de gauche, essais africacentriques. New York : Routledge, 2019.
Sharpley-Whiting, Tracey. Frantz Fanon : Conflits et féminismes. Lanham : Romain & Littlefield, 1998.
Wynter, Sylvia. « Aucun humain n’est impliqué : une lettre ouverte à mes collègues. » Forum H.H.I.
Knowledge for the 21st Century 1.1 (automne 1994) : 42-73.
-
الطاهر المعز – سوريا وخرائط الغاز

سوريا وخرائط الغاز : سوريا وخرائط الغاز
تُشكل هذه الصفحات جزءًا من دراسة حول دور المحروقات في الأحداث السياسية بشرق البحر الأبيض المتوسط
سوريا ضمن الإستراتيجية الأمريكية الصهيونية
كانت خطوط نقل الطاقة العابرة لسوريا نحو أوروبا من الأسباب غير المُعلنة للحرب التي كانت تركية وأمريكية وأوروبية مُباشرة أو بالوكالة، بتمويل من مُصَدِّرِي النفط والغاز بالخليج، وبعد 13 سنة من الإرهاب والعدوان التركي المباشر، ومن الإستفزاز والحصار والخراب، أصبحت الظروف مواتية لإنجاز مشاريع نقل الغاز وفق المخططات التركية والخليجية، خصوصًا بعد استلام المليشيات الإرهابية السّلطة – بدعم مباشر من تركيا والولايات المتحدة، أي حلف شمال الأطلسي – وبعد التطبيع الأمريكي والأوروبي والعربي السّريع مع زعماء المليشيات الإرهابية لمكافأتهم على التنكيل بالفلسطينيين وملاحقتهم حتى داخل لبنان، بالتوازي مع توسّع الإحتلال الصهيوني في جنوب سوريا وارتفاع عدد ضحايا المجازر في مناطق عديدة من سوريا، بغطاء طائفي، من اللاّدقية غربًا إلى إلى السّويداء شرقًا، بدعم أمريكي وصهيوني، ويُسدّد الشعب السوري في شرقي الوطن ثمن المنافسة السورية الصهيونية حول السيطرة على الموارد وطرق التجارة في سوريا وعبْر سوريا، ومن أهمها طرقات النّقل البري والبحري بين الخليج وسوريا والبحر الأبيض المتوسط، وفق برقيات وكالة رويترز ( 16 و 17 تموز/يوليو 2025)…
ذكرت وكالة الأنباء السورية الرسمية (سانا) يوم الثاني من آب/أغسطس 2025، افتتاح « خط أنابيب إقليمي جديد لنقل ستة ملايين مترًا مُكعّبا من الغاز من أذربيجان إلى سوريا عبر تركيا (…) بمشاركة وزير الطاقة السوري ووزير الطاقة التركي ووزير الاقتصاد الأذربيجاني وممثلون عن صندوق قطر للتنمية الذي مَوّل المشروع… » وللتّذكير، تُمثل أذربيْجان قاعدة أمريكية وصهيونية، وعدُوًّا مباشرًا لإيران على حدودها، جيث تحوّلت إلى قاعدة تجسّس أمريكية صهيونية ضدّها، ويحصل الكيان الصهيوني على 40% من احتياجاته النفطية من أذربيجان، عبر تركيا، وارتفع حجم كميات النفط خلال العدوان على غزة ولبنان وسوريا واليمن وإيران منذ السابع من تشرين الأول/اكتوبر 2025…
تعاني سوريا من نقص مستمر في الطاقة رغم امتلاكها لمصادرها الخاصة من النفط والغاز، بفعل احتلال الجيش الأمريكي لأهم حقول المحروقات ( النفط والغاز) شمال شرقي سوريا، وترسل الولايات المتحدة النفط الخام إلى إقليم كردستان العراقي لتصفيته ثم تسليم جزء منه إلى حلفائها من المليشيات الكُردية التي تُصدّر بعضه عبر إقليم كردستان العراق، بينما يعاني المواطنون منذ 13 سنة من الحصار والعقوبات الأمريكية، ومن نقص الكهرباء التي لا تتوفر سوى لبضع ساعات يوميًا، ويشتري الميسورون مولدات خاصة أو ألواح شمسية مثبتة على أسطح المنازل…
لعبت تركيا وقطر ( ودوَيْلات الخليج الأخرى ) والأردن دوْرًا رئيسيا في تنفيذ المخطط الأمريكي الأوروبي الصهيوني، وتخريب وتدمير وتقسيم سويا وتغيير نظام الحكم وتنصيب زعيم النّصرة ( فرع القاعدة) في أعلى هرم السّلطة، بنهاية شهر تشرين الثاني وبداية شهر كانون الأول/ديسمبر 2024، وخلال شهر آذار/مارس 2025، وقعت مؤسسة قطر للتنمية ووزارة الطاقة الأردنية اتفاقية تقضي بمرور إمدادات الغاز الطبيعي من قَطَر إلى سوريا، عبر ميناء العقبة في الأردن « للمساعدة في معالجة نقص الكهرباء في سوريا »، وبذلك يبدأ إنجاز « خط الغاز العربي » الذي كان رفض النظام السوري لشروطه المُجحفة، احد أسباب تخريب سوريا، وبدأت تركيا توريد الغاز الطبيعي من أذربيجان إلى سوريا لاستخدامه في توليد الطاقة الكهربائية، وافتتح وزير الطاقة السوري بحضور ممثلي تركيا وأذربيجان وقطر خط النقل الإقليمي للغاز الذي يربط تركيا بمحطة الطاقة في حمص لتوليد نحو 1200 مبغاوات من الطاقة الكهربائية، وفق وكالة رويترز بتاريخ السبت الثاني من آب/ أغسطس 2025 وتدرس الفقرات التالية الظروف التي أدّت إلى هذه الصّفقة التي تم التّكتّم على مختلف مراحلها، وتم إنجازها بسرعة…
الدور التّخريبي لأذربيْجان وتركيا
تسبب انهيار الإتحاد السوفييتي في ظهور الشوفينية والنزاعات الحدودية العديدة بين الدّول التي أعلنت « استقلالها » سنة 1991، ومن بينها أذربيجان « المُسلمة » الغنية بالنفط والغاز، والتي لها خلافات حدودية مع أرمينيا، وتحولت أذربيجان إلى وكيل للإمبريالية والكيان الصهيوني وإلى حليف لتركيا عضو حلف شمال الأطلسي التي ساعدتها على الإنتصار على أرمينيا سنة 2023 واحتلال إقليم « ناغورني قرّة باغ » المتنازع عليه والذي يسكنه الأرمن، وضَمّه مع سَبْعِ مناطق مجاورة كانت تحت السيطرة الأرمنية منذ العقد الأخير من القرن العشرين، وتمكّن جيش أذربيجان من الإنتصار بفعل زيادة الإنفاق العسكري ( حوالي أربعين مليار دولار، بين سنتَيْ 2020 و 2023) وبفضل الدّعم التركي والصهيوني.
استغلت تركيا حرب أوكرانيا لابتزاز روسيا بشأن ممرّات أنابيب الغاز، واستغلت أذربيجان هذه الحرب لزيادة صادراتها من المحروقات إلى أوروبا التي قاطعت واردات الغاز الروسي، وعززت أذربيجان علاقاتها مع تركيا ومع الكيان الصهيوني وتعَزَّزَ دورها كمركز تجسّس وعمليات عسكرية صهيونية وأمريكية ضدّ إيران، كما تعزّز دورها كمَمَر تجاري بديل لروسيا من خلال ممر النقل الشمالي- الجنوبي، بين موسكو وإيران وموانئ الخليج، عبر أذربيجان، غير إن هشاشة الإقتصاد القائم على النفط والغاز وأسعارهما المُتقلّبَة، أدّى إلى اتّساع الفجوة بين الأثرياء والفُقراء وإلى احتجاجات على الوضع الإقتصادي والإجتماعي تم قَمْعها بسرعة وبوحشية، وإلى زيادة التضييق على المعارضة من قِبَل نظام الحكم الذي يرأسه « إلهام علْياف » من أكثر من عقدَيْن، ولا تزال المعارضة ( المقموعة بعنف ) تُطالب بالإصلاحات السياسية والاقتصادية وخفض الإنفاق العسكري، وبالشفافية في إنفاق موارد البلاد، فشَدَّدَت الحكومة قبضتها الأمنية، خصوصًا بعد الإنتصار على أرمينيا سنة 2023، فسجنت الصحفيين والمعارضين والنقابيين، وألغَتْ حرية التعبير…
استغلت أذربيجان حرب أوكرانيا لزيادة إمدادات الغاز إلى دول الإتحاد الأوروبي، عبر ممر الغاز الجنوبي الذي يمر من جورجيا وتركيا، لترتفع صادراتها إلى أكثر من 44 مليار متر مكعب من الغاز الطبيعي إلى الاتحاد الأوروبي بين سنتَيْ 2021 و 2024 لتصبح أذربيجان محطة عبور في ممرات التجارة البديلة بين الشرق والغرب، بدعم من الإتحاد الأوروبي وتركيا الأطلسية – الإخوانية، وقد تزداد أهمية هذه الممرّات مع استكمال الصين شبكة طرقات » مبادرة الحزام والطريق »، لكي تضمن أذربيجان مكانتها لدى الجميع: الصين وروسيا والإتحاد الأوروبي وحلف شمال الأطلسي ( وخصوصًا تركيا ) والكيان الصهيوني
محور أذَرِي صهيوني أطلسي ضدّ إيران؟
لأذربيجان حدود مشتركة مع إيران بطول 765 كيلومتر، وتسكن أقلية أذرية إيران من قُرون تعد حوالي أربعة ملايين نسمة ( تبريز هي أهم مدينة ) فيما لا يزيد عدد سكان جمهورية أذربيجان عن عشرة ملايين، ولأذربيجان كذلك حدود مع تركيا بطول لا يبلغ 18 كيلومترا، غير إن الموقف السياسي والحسابات الجيوستراتيجية جعلت من أذربيجان قاعدة عسكرية لأعداء إيران ( الولايات المتحدة والكيان الصهيوني) ومركز تجسس وعززت علاقاتها مع تركيا وتعمل الدّولتان ( تركيا وأذربيجان) على خفض دور إيران كمُصدّر للمحروقات ( خصوصًا الغاز) وفتح خطوط جديدة لنقل الغاز الأذربيجاني عبر تركيا، وفتح طرقات بَرّيّة للتجارة بهدف تعزيز دور تركيا وتقليص دور إيران وخَفْضِ نصيبها من التجارة الإقليمية مع آسيا الوسطى، فضلا عن احتمال استخدام أراضي أذربيجان لإطلاق هجمات عسكرية أمريكية وصهيونية ضدّ إيران المجاورة، ولإيران حدود مع تركيا بحوالي خمسمائة كيلومتر، وتسكنها مجموعة سكانية تركمانية كبيرة (حوالي عشرين مليون نسمة) شمال غربي إيران…
تعززت مكانة أذربيجان بسبب الحرب في أوكرانيا وتعتبر السلطة القائمة إن التحالف مع الكيان الصهيوني والولايات المتحدة وتركيا، فضلا عن الحدود البرية والروابط التاريخية مع إيران، قد يدعم مكانة البلاد كحارس للمصالح الأميركية والصهيونية بعيدة المدى، وأشاد وزير الخارجية الصهيوني « بالدّور الهام لأذربيجان في المنطقة » وشكرها على زيادة إمدادات الطاقة منذ السابع من تشرين الأول/اكتوبر 2023، وطَرح تحالفًا ثلاثيًّا يضم تركيا وأذربيجان والكيان الصهيوني، وأعلن إلهام علْيِيف علنًا إنه يُفضّل إدارة دونالد ترامب لأنها أكثر تشدُّدا مع إيران، وتشترك أذربيجان مع الكيان الصهيوني في العلاقات القوية مع الإمبريالية الأمريكية وفي العداء لإيران، مما سمح بتوثيق العلاقات بينهما، حيث تُصدّر أذربيجان الغاز والنفط ( 40% من حاجة الصهاينة)، مقابل توريد السلاح الصهيوني، وفق تحليل نشره موقع « فورين أفيرز الأمريكي بتاريخ 20 تموز/يوليو 2025.
نشر موقع ويكيليكس، سنة 2009، برقية أمريكية تُشير إلى « استخدام إسرائيل الأراضي الأذربيجانية للتجسس على إيران »، ونشرت مجلة فرين بوليسي (Foreign Policy )، سنة 2012، تقريراً عن « استخدام إسرائيل القواعد الجوية الأذربيجانية للتجسس على إيران وربما قصفها، وزار رئيس الأركان العامة للقوات المسلحة الأذربيجانية، سنة 2018، فلسطين المحتلة، وأبرم صفقات أمنية، فضلا عن الطائرات الآلية وأنظمة الأقمار الصناعية، وافتتحت أذربيجان( آب/أغسطس 2020) « مكتباً تجاريا وسياحيا » في تل أبيب، تمهيدًا لفتح سفارة، وخلال نفس السنة (2020)، نشر الرئيس الأذربيجاني صورة له مع طائرة مسيّرة صهيونية، واتهمت منظمة العفو الدولية خلال شهر تشرين الأول/ أكتوبر 2020 أذربيجان » باستخدام أسلحة إسرائيلية محرّمة دولياً، خلال الحرب بين أذربيجان وأرمينيا، فيما اتّهمت إيران جارتها أذربيجان « بتسهيل عمل الموساد واستخدام مطاراتها العسكرية ضد علماء ومسؤولين في إيران ».
أما تركيا ( راعية المجموعات الإرهابية في سوريا ) والتي تشترك مع أذربيجان في هندسة مرور خطوط أنابيب الغاز الأذَرِي من سوريا، فترى حكومتها « الإسلامية » (حزب العدالة والتنمية ) منذ أكثر من عِقْدَيْن « إن العلاقات مع الكيان يُسهل العلاقات مع الولايات المتحدة »، وفق صُحف المعارضة التركية، تعليقًا على توقيف جاسوسَيْن صهيونيّيْن ثم إطلاق سراحهما سريعا سنة 2021، والإتصال الهاتفي بين نتن ياهو وأردوغان.
لتركيا كذلك علاقات متميزة مع أذربيجان بحكم الأبعاد الأثنية واللغوية والدّينية، لكن الأهم إن أذربيجان هي إحدى أهم الدول المصدِّرة للغاز لتركيا التي تدعم أذربيجان سياسيا وعسكريا، ضمن مخططات تركيا وأطماعها في آسيا الوسطى والقوقاز، ووظّفت أذربيجان وتركيا علاقاتهما المميزة مع الكيان الصهيوني لتشكيل تحالف ثلاثي يعمل حاليا على ضم سوريا الخاضعة لنفوذ تركيا وللإحتلال الصهيوني ويعمل على مواجهة إيران، وثمة إشارات على مُشاركة مصر في بعض مهمات هذا المحور…
مساهمة مصر وتركيا في كسر الحصار البحري
دَشّن الرئيس التّركي، سنة 2021، سلسلة اتصالات مع مصر والإمارت ودُوَيْلات الخليج، في إطار مخطط تركي لزيادة النّفوذ في المنطقة، بعد ضمان السيطرة على جزء من ثروات ليبيا، وخلال نفس السنة بادرت تركيا إلى تنظيم حوارات ولقاءات بين الأطراف التي تعمل على تنسيق مواقفها تجاه الإدارة الأمريكية وتوجهاتها في المنطقة، وأعلن الرئيس التركي، ضمن هذا المسار، تنظيم حوارات مع مصر التي ساءت علاقات تركيا معها منذ لإزاحة الجيش للرئيس الإخواني المنتخب محمد مرسي – الذي تدعمه تركيا إيديولوجيا وسياسيا – واستغل الجيش الإستياء الشّعبي ليستولي على السلطة ويُلغي الحريات والحقوق، وأعادت تركيا تعزيز العلاقات السياسية مع الكيان الصهيوني التي ساءت إثر قَتْل الجيش الصهيوني ثماني مواطنين أتراك كانوا متوجهين على ظهر سفينة مرمرة لفك الحصار على غزة، سنة 2009، لكن هذا « البُرُود السياسي والدّبلوماسي » لم يُؤثِّر على العلاقات التجارية والعسكرية، وساهم تطبيع دُويلات الخليج علاقاتها مع الكيان الصهيوني والدّور التخريبي المُشترك في سوريا، والعداء لنظام إيران، في تقارب تركيا مع دولة الاحتلال والسعودية ومصر والإمارات والبحرين، ولعبت أذربيجان دورًا في الوساطة بين تركيا والكيان الصهيوني…
منذ العدوان الصهيوني الأخير ( تشرين الأول/اكتوبر 2023) والحصار الذي فرضته المقاومة اليمنية على موانئ فلسطين المحتلة (خصوصًا ميناء أم الرّشراش) وتطالب عشرات الدّول التي اجتمعت في كولومبيا بفرض حصار على العدو، تحولت موانئ تركيا ومصر إلى محطات لتزويد العدو الصهيوني بالبضائع، ولم يتوقف دخول السفن التركية والمصرية إلى الموانئ الفلسطينية المحتلة ( ميناء حيفا وميناء أشدود ) طيلة العدوان الذي لا يزال مستمرًّا، وفق بيانات أنظمة التتبع البحرية عبر الأقمار الصناعية التي رصدت – على سبيل المثال – دخول أربع سفن تركية وسفينتَيْن مصريّتَيْن إلى ميناء حيفا يوم الأول من آب/أغسطس 2025، مما يُشير إن رجب طيب أردوغان زعيم ديماغوجي وسفيه، لأنه يدعم عمليا الكيان الصهيوني بأشكال عدّة، ويُظهر التحليل الإحصائي لمنظومة تتبع السفن أن 14% من السفن التي وصلت إلى ميناء أشدود كانت من موانئ تركيا، و14% من موانئ مصر، و72% من دول أخرى.
يستورد الكيان الصهيوني من تركيا مجموعة متنوعة من البضائع تشمل السيارات والأجهزة الإلكترونية والحديد والصلب والمعادن الثمينة والنفط الخام والمشتقات النفطية والملابس والأقمشة ومواد البناء والزيوت النباتية، مما يدعم اقتصاد العدو زمن الحرب ويُعَزّز القوة الاقتصادية والعسكرية للصهاينة، وتلعب مصر دورا هاما في التفاف العدو على القيود، حيث أصبحت الموانئ المصرية، وخاصة ميناء بورسعيد، محطة عبور الحاويات والبضائع والالتفاف على القيود المفروضة على الملاحة في البحر الأحمر ( عن وكالة وكالة أنباء فارس بتاريخ الخامس من آب/أغسطس 2025).
خلاصة:
انضمت أذربيجان إلى حلف عدواني تركي أطلسي صهيوني ضد سوريا والشعب الفلسطيني وشعوب المنطقة ( من عرب وفُرْس وغيرهما) وتخدم أنظمة الدّول العربية المُطبّعة ( مصر والأردن ودويلات الخليج…) مصالحها وبالأخص مصالح وأجندات خارجية تستهدف وحدة وسلامة أراضي إيران وروسيا ( فضلا عن شعوب المنطقة)، ووجب الإنتباه إلى الدّور التخريبي لأذربيجان التي تُعَدّ واحدة من أكبر مشتري الأسلحة الصهيونية بنسبة 69% من واردات أذربيجان العسكرية (بيانات 2023)، وَكَشَفَ تَتَبُّعُ الرحلات الجوية لسنة 2024 عن تكثيف رحلات الشحن من قاعدة عوفدا الجوية الصهيونية إلى باكو عاصمة أذربيجان، فيما يستورد الكيان الصهيوني من أذربيجان 40% من احتياجاته النفطية عبر خط أنابيب باكو ( عاصمة أذربيجان) –تبليسي( عاصمة جورجيا )- وميناء جيهان ( تركيا)، ويستخدم الجيش الصهيوني أراضي أذربيجان للتجسس على إيران، وتوسعت المحادثات بين الحكومتين سنة 2025 لتشمل التعاون في مجال الأمن السيبراني والذكاء الاصطناعي، ويتمتّع يهود أذربيجان (30 ألف نسمة ) بامتيازات خاصّة ولهم نفوذ اقتصادي وسياسي هام، ويُساهمون في تلميع صورة النظام القائم، وكشفت فضيحة “المغسلة الأذربيجانية” سنة 2017 عن رشاوى بقيمة 2,9 مليار دولار تم تحويلها عبر منظمات غير حكومية مرتبطة باليهود لتلميع صورة نظام أذربيجان في أوروبا، تمهيدًا لمشروع تصدير المحروقات الأذربيجانية ( كبديل للغاز والنفط الروسيَّيْن) من حقل شاه دنيز للغاز في أذربيجان – الذي تستغله شركة بريتيش بتروليوم (BP) – إلى أوروبا عبر تركيا، وساهم نظام أذربيجان في زعزعة استقرار روسيا وإيران…
يتشكل محور أذربيجان والكيان الصهيوني وتركيا خطرا على سوريا وعلى الشعب الفلسطيني وكافة الشعوب العربية والإيرانية، بفعل تدفق السلاح الصهيوني إلى أذربيجان ومحروقات أذربيجان إلى فلسطين المحتلة، وبفعل استخدام أراضي تركيا ومصر وسوريا ليتمدّد الحِلْف المُعادي لهذه الشعوب، من جنوب القوقاز إلى غرب آسيا، واستعداد نظام أذربيجان للإلتحاق باتفاقيات أبراهام التطبيعية، بعد شراء شركة النفط الأذرية « سوكار » حصة 10% من حقل « تامار » للغاز في مياه فلسطين المحتلة بقيمة 900 مليون دولار، وحصولها على حقوق تنقيب جديدة في المياه الإقليمية الفلسطينية، تمهيدًا لتصدير الغاز المسروق من فلسطين إلى تركيا لاحقًا، واتّضحت معالم هذا التحالف في ظلّ الحرب على سوريا ( الدّولة والوطن والشعب) والإبادة الجماعية التي تستهدف الشعب الفلسطيني، وما انْفَكَّ هذا الحلف يتوسع ويحاول خلق ميزان قوى رجعي صهيوني امبريالي…
يأتي افتتاح خط أنابيب الغاز الأَذَرِي في سوريا في ظل سَعْيِ الكيان الصهيوني ( في ذروة العدوان والإبادة) والولايات المتحدة لتوسيع « اتفاقات أبراهام »، لتشمل السعودية ودويلات الخليج والأردن ومصر والمغرب وسوريا، وإنشاء شبكة من العلاقات التجارية والإقتصادية مع أصدقاء الولايات المتحدة كالهند وعملائها وأذربيجان وشركائها وتركيا، لإحياء مشروع « ممر الهند–الشرق الأوسط–أوروبا » (IMEC) كبديل لمبادرة « الحزام والطريق » الصينية، وتحويل ممرات التجارة من البحر الأحمر وقناة السويس إلى ممر بديل يشمل ميناء دُبَيْ والرياض وعَمّان باتجاه ميناء حيفا بفلسطين المحتلة، ولم يَغْفِرْ لِمصْرَ تطبيعها المُبَكِّر، فقد ازداد شعبها فَقْرًا وهي دائمًا مُستهدَفَة بالتّفْتِيت…
الطاهر المعز
« Commencer mon rôle en tant qu’administrateur WordPress a été un plaisir, grâce à son interface intuitive, sa gestion des médias, sa sécurité et son intégration des extensions, rendant la création de sites Web un jeu d’enfant. »
– Keiko, Londres
« Commencer mon rôle en tant qu’administrateur WordPress a été un plaisir, grâce à son interface intuitive, sa gestion des médias, sa sécurité et son intégration des extensions, rendant la création de sites Web un jeu d’enfant. »
– Sarah, New York
« Commencer mon rôle en tant qu’administrateur WordPress a été un plaisir, grâce à son interface intuitive, sa gestion des médias, sa sécurité et son intégration des extensions, rendant la création de sites Web un jeu d’enfant. »
– Olivia, Paris