Elle n’était pas seulement éditrice. Elle était une combattante. Une passeuse de voix insurgées, une bâtisseuse de récits libres.

Toute sa vie, elle a lutté avec ardeur, avec constance contre les formes insidieuses de l’impérialisme culturel. Elle refusait les silences imposés, les hiérarchies coloniales du goût, les exclusions déguisées en normes.

Son engagement littéraire était radical : elle croyait que chaque langue, chaque mémoire, chaque territoire avait droit à sa dignité narrative. Elle a porté la littérature algérienne comme on porte une cause, une promesse, une révolte. Elle a défendu les écritures du Sud, celles que l’on marginalise, que l’on folklorise, que l’on oublie non pas comme curiosités, mais comme puissances de pensée et de beauté.

Elle a ouvert des chemins là où il n’y avait que des murs. Elle a publié des textes que l’on disait « trop bruts », « trop locaux », « trop engagés » et c’est justement pour cela qu’elle les aimait. Elle savait que la littérature n’est jamais neutre, qu’elle peut être un acte de résistance, un geste de réparation, une manière de reprendre possession de soi.

Son travail éditorial était un acte politique, un refus des dominations, une célébration des voix plurielles. Elle nous laisse une œuvre invisible mais essentielle : celle d’avoir permis à tant d’écrivains de dire, enfin, leur monde.

Samia travaillait dans ce silence solennel. Le silence rare des êtres dont seul le travail parle pour eux et d’eux. Elle n’avait pas besoin de se dire : les livres qu’elle a fait naître parlent pour elle, avec une justesse que nul hommage ne saurait égaler.

Son silence n’était pas retrait. Une manière de refuser le vacarme des postures creuses, des discours qui étouffent la littérature sous des couches de convenu.

Face à la cacophonie des voix qui prétendent penser à notre place, qui nous empêchent de voir la littérature, de la lire vraiment, elle a opposé la patience, la rigueur, la fidélité aux textes. Elle a rendu possible ce qui semblait impossible : faire entendre l’inouï.

Que son travail continue de résonner dans chaque page qu’elle a portée, dans chaque voix qu’elle a révélée, dans chaque lecteur qu’elle a éveillé.

Et moi, notamment, la lectrice modeste dont la pensée et la conscience que je porte aujourd’hui sont traversées par cette littérature vivante, je le dois en grande partie, à Samia Zennadi et à Djawad Rostom Touati , à Apic éditions. Il a été publié, il a été entendu grâce à celles et ceux, comme Samia, qui ont su reconnaître dans son écriture une nécessité. Grâce à elle, il a pu dire. Et grâce à lui, j’ai pu comprendre. Un écrivain parmi tant d’autres, certes, mais dont la voix m’a éveillée, dont les livres m’ont déplacée, dont la parole m’a appris à lire autrement, à penser autrement.

Qu’elle repose en paix, notre chère Samia.

 Maïssa Nadine Sidhoum

le 28 octobre 2025, à l’occasion du 28ème Salon International du Livre d’Alger (29 octobre au 8 novembre 2025)