
Au Symposium de Beyrouth (17 septembre 2025), les principales interventions étaient celles de Karima Hefnawy (Egypte), Samira Salah (Palestine) et Marie Nassif-Debs (Liban), présidente de l’association « Egalité-Wardah Boutros »
Introduction
Nous sommes réunis aujourd’hui à Beyrouth, à l’occasion du 43e anniversaire du lancement du « Front de résistance Patriotique Libanaise » contre l’occupation sioniste soutenue par l’impérialisme américain, dont l’objectif était d’éliminer la résistance des peuples palestinien et libanais afin de préparer le terrain pour liquider la cause palestinienne, de mettre fin au conflit arabo – israélien et de lancer une nouvelle phase de normalisation avec l’entité usurpatrice, dont l’ancien président égyptien Anouar el- Sadate avait défini les grandes lignes dans l’« accord de Camp David » en 1978…
Nous commémorons également aujourd’hui le 1° anniversaire de l’attentat criminel qui a fait des centaines de victimes dans la banlieue sud de Beyrouth et qui a été suivi, pendant plus de 2 mois, de bombardements, de meurtres, de destructions et de déplacements de population dans tout le Liban, dans le but de séparer une fois de plus notre patrie de la cause palestinienne, et de faire front à toute tentative de résistance au projet impérialiste-sioniste visant à transformer l’entité en « État des Juifs dans le monde », sur la base des mythes lancés par le mouvement sioniste dans les années 1920 autour de la « terre promise s’étendant du Nil à l’Euphrate et s’étendant vers le Hedjaz et d’autres terres arabes ».

Ce qui nous attend, donc, n’est rien de moins qu’une nouvelle colonisation, à visage sioniste, sous le nom ronflant de « nouveau Moyen-Orient »… Une colonisation qui asservit notre région et nos peuples, et nous prive de notre identité, de notre terre et de notre dignité.
Intervention de D. Marie Nassif – Debs
Dans son ouvrage « Le Fou d’Elsa », qui traite du rôle de la civilisation arabe dans le développement de la science et du savoir en Europe et dans le monde, le poète français Louis Aragon affirme que «les femmes sont l’avenir de l’humanité, et non les rois».
Nous partageons son opinion, compte tenu de ce qu’a connu le monde arabe à travers les âges, et plus précisément depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à nos jours, des exploits accomplis par des femmes et des jeunes filles du Levant et du Maghreb, de l’océan au golfe, que ce soit dans les combats pour l’indépendance et la libération du joug colonial turc, puis britannique et français, ou dans la résistance à l’agression sioniste continue en Palestine, au Liban, en Syrie et en Égypte, en particulier… Cette agression, qui se nourrit des fonds des régimes pétroliers, est dirigée et soutenue par les bases et les flottes de l’alliance impérialiste mondiale qui cherche à s’emparer des richesses de notre terre, en particulier celles récemment découvertes dans la région de la Méditerranée orientale, plus précisément entre Gaza et la côte libanaise.
Tout cela, alors que les enfants de Gaza, du Liban et du Soudan, et avant eux ceux d’Égypte et d’Irak, meurent par dizaines de milliers, et que des millions de familles arabes sont privées d’un refuge sûr et de la nourriture nécessaire, sans parler du travail, de l’éducation, de la santé et d’autres droits humains fondamentaux.
Je me contenterai ici de m’arrêter sur l’expérience des femmes libanaises (qui, à mon avis, ne diffère pas beaucoup de celle des femmes dans les autres pays arabes), et je me concentrerai plus précisément sur la période qui commence après le mois de juin 1967, c’est-à-dire au lendemain de l’agression contre l’Égypte et la Syrie et de l’occupation de la bande de Gaza et de la Cisjordanie palestiniennes, ainsi que du Sinaï et des hauteurs du Golan, sans oublier les fermes de Chebaa et les hauteurs de Kfarchouba…
Cette période a été marquée, d’abord, par une escalade des attaques israéliennes contre les villages situés le long de la frontière libanaise, mais aussi contre Beyrouth et son aéroport à la fin de l’année 1968; il y eut, ensuite, en 1978, l’occupation de la bande frontalière et l’extension des bombardements répétés contre les zones libanaises s’étendant du sud jusqu’à Beyrouth…
Tout cela devait, enfin, préparer la vaste agression de 1982, sous la supervision du représentant de l’impérialisme américain (le Libanais) Philip Habib, suivie de l’arrivée de flottes et de forces multinationales dont les missions étaient les suivantes : chasser du Liban l’Organisation de libération de la Palestine (l’OLP) et transférer ses dirigeants et ses cadres en Tunisie, mais aussi porter un coup mortel au mouvement national libanais, et surtout, conclure l’accord du 17 mai qui retire le statut d’ennemi à l’entité sioniste et œuvre à la normalisation politique et économique avec elle et à la cession des fermes de Chebaa et des collines de Kfarchouba occupées depuis 1967.
Tout au long de cette période, les femmes et les jeunes filles libanaises ont joué un rôle important dans les affrontements à différents niveaux, à commencer par leur engagement croissant dans les organisations politiques à dimension démocratique progressiste, jusqu’à leur participation aux luttes armées (en particulier dans le cadre du «Front de résistance patriotique libanaise » ), où elles ont joué un rôle remarquable dans de nombreuses opérations qui ont infligé de lourdes pertes à l’ennemi occupant et
à ses agents. Il convient de noter ici que le martyre de certaines figures féminines et la capture d’autres ont renforcé la volonté des jeunes femmes de s’engager dans la résistance armée. A cela s’ajoute le rôle joué par les femmes dans la mobilisation des forces populaires pour affronter l’occupant, ainsi que dans la réalisation des opérations de reconnaissance nécessaires dans les zones de présence de l’ennemi, le transport d’armes et de messages, sans oublier l’hébergement des combattants et combattantes et l’aide apportée pour assurer le succès de leurs opérations et leur retrait en toute sécurité
vers la zone libre.

Nous nous souvenons, tous, des femmes de la ville de Ma’rakeh, au sud, qui ont aspergé les forces d’occupation d’huile bouillante, ainsi que des femmes des villes de Qaraoun et de Machghara, dans la Bekaa occidentale. Nous nous souvenons également des martyres tombées au combat (parmi lesquelles Yaçar Mroueh, Lola Abboud, Wafaa Nour-Eddine, Inaam Hamza, Yousra Ismail, Sanaa Mhaidli, Nadine Jouni, Mervat Atwi, Lina Mazraani et Zainab Salloum), ainsi que les prisonnières qui ont porté haut le nom du Liban, au premier rang desquelles la résistante Soha Bechara qui a tenté d’en finir avec Antoine Lahad le chef des agents libanais inféodés à l’ennemi…
Sans oublier, bien sûr, les dizaines de martyres tombées, durant la guerre civile, pour défendre l’arabité du Liban et son évolution démocratique.
D’autre part, il convient de souligner le rôle joué par les enseignantes dans les écoles et les lycées des zones occupées. Il convient également de souligner le rôle pionnier joué par de nombreuses intellectuelles et étudiantes universitaires au sein du groupe complémentaire à la résistance armée, baptisé « Ansar (Partisans) du Front de résistance Patriotique Libanaise ». Ce rôle s’est traduit par l’organisation d’activités de mobilisation périodiques dans les écoles et les universités, y compris l’Université américaine, et dans la contribution essentielle à la rédaction de trois livres et à la
préparation de dizaines d’affiches qui ont aidé à retracer l’histoire de centaines d’opérations, mais aussi à mettre en lumière les méthodes utilisées par les résistants pour mener à bien les différentes étapes de la libération, notamment celle de Beyrouth, du Mont-Liban, de Saïda et de la Bekaa occidentale.
Cette étape a été fondamentale dans la vie des femmes libanaises, dans le développement de leur expérience et dans leur endurcissement, d’autant plus qu’elle s’est accompagnée, dans les zones libérées, de confrontations sociales, politiques et idéologiques dont le but était de mettre fin à la guerre civile et à empêcher les tentatives visant à dissimuler les images et les voix des femmes des tribunes et de la vie publique. Plus précisément, nous nous sommes mobilisées pour abolir le sectarisme qui prétendait exclure la femme libanaise de la vie publique en appelant à la priorité qui devait être accordée à la maternité par rapport à d’autres tâches. Nous voulions, et continuons à vouloir, l’adoption d’un code civil unifié régissant les affaires personnelles.
Les femmes libanaises des années 1980 ont donc dû lutter, en même temps, contre l’ennemi occupant et contre les lois positives injustes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leur foyer, afin d’affirmer leur rôle et de retrouver leur image en tant qu’êtres humains et citoyennes.

Les femmes libanaises aujourd’hui
Quant à la phase actuelle, celle de la guerre d’extermination contre la résistance du peuple et des enfants de Gaza, phase marquée par la voix de la petite Hind Rajab qui a trouvé un écho auprès des peuples du monde entier, elle a constitué un nouveau point de départ pour les femmes libanaises qui se sont mobilisées à plusieurs reprises en faveur du peuple de Gaza. Des centaines de milliers d’entre elles ont également été confrontées, en particulier après le 17 septembre 2024, à des déplacements forcés, à la
maladie et à des blessures graves, sans compter le meurtre délibéré d’environ un millier de femmes, de jeunes filles et d’enfants, commis par les sionistes dans notre pays…
Cependant, l’agression n’a pas découragé nos femmes, bien au contraire. Elles ont fait preuve de détermination pendant leur déplacement forcé, et ont été à l’avant-garde des convois de retour vers les villages détruits. ainsi que dans la résolution des problèmes qui entravent aujourd’hui la reconstruction des villages et des villes frontaliers avec la Palestine occupée, en particulier les problèmes causés par les agressions sionistes quotidiennes à l’aide de drones et d’avions de combat, par la destruction continue des maisons, le rasage des vergers et des terres agricoles, et la tentative de s’emparer d’une
partie de ceux-ci ainsi que des collines surplombant la zone frontalière, dans une tentative odieuse d’imposer ses conditions, notamment en annexant une partie du sud qui s’ajoute aux sept villages qu’il a saisis en 1949, et en rétablissant l’accord du 17 mai 1984 qui prévoyait la normalisation des relations avec l’ennemi et qui a été annulé grâce à la résistance et à la détermination de notre peuple.
Pour conclure, nous disons que nous sommes aujourd’hui à un tournant historique :
soit nous nous opposons aux projets que Trump et Netanyahou ont préparés pour nous, et qui tentent, comme à Gaza, de vider la zone frontalière libanaise sur une profondeur de neuf kilomètres sous prétexte de « créer une zone économique » avec des fonds arabes du Golfe. Ils tentent également, par des agressions quotidiennes et des assassinats, de pousser le gouvernement à normaliser ses relations avec l’ennemi et à adhérer à l’« accord des fils d’Abraham », que notre peuple a rejeté malgré toutes les pressions et les agressions répétées.

C’est pourquoi nous estimons que notre lutte en tant que femmes libanaises doit porter deux slogans fondamentaux dans la phase actuelle et à venir :
Le premier slogan : la coordination avec les comités de boycott ‘BDS) au Liban, dans le monde arabe et dans le monde entier, ainsi qu’avec la direction centrale de la « Fédération Démocratique Internationales des Femmes » ‘FDIF), afin d’étendre le boycott è toutes les entreprises et les institutions qui fournissent une aide financière à l’ennemi sioniste qui transforme cet argent en armes pour exterminer nos peuples, et nos enfants en particulier.
Sans oublier de lancer un appel pressant aux professeurs et aux étudiants des universités des États-Unis et de l’Union européenne, ainsi que les centres de recherche des deux continents, les exhortant à poursuivre ce qu’ils ont commencé afin d’annuler les accords spéciaux conclus avec cet ennemi.
Le deuxième slogan : l’organisation d’une vaste campagne féminine et populaire, s’appuyant sur la jeunesse libanaise, pour empêcher toute normalisation avec l’ennemi, obligeant ainsi le gouvernement à rejeter les propositions présentées par l’émissaire américain Tom Barak concernant les négociations directes, tout en insistant sur le retour à l’accord d’armistice de 1949, et plus précisément sur les dispositions des articles 3 et 4 concernant le respect de la « ligne d’armistice permanente » qui constitue
la frontière entre le Liban et la Palestine occupée et qui comprend notamment les fermes de Chebaa et les collines de Kfarchouba, ainsi que les 1 420 km² que l’ennemi a annexés en délimitant les frontières maritimes, ce qui signifie le refus de l’expulsion des villages de la bande frontalière sous prétexte de « zone économique »
Cela, en plus de la cessation des violations des eaux libanaises et des tentatives d’expansion vers le sud du Litani.
La mise en œuvre de ces deux slogans doit coïncider avec la campagne nationale en faveur d’un Code civil unifié régissant les affaires personnelles, et avec la volonté de tirer parti des prochaines élections législatives pour créer un bloc féminin et populaire qui s’efforcera d’envoyer au Parlement des député(e)s soutenant cette orientation et œuvrant à sa réalisation.
Source: Alba Granada North Africa