Le lexique autour du « fascisme »

Les caractéristiques retenues pour le définir sont :

* un monopole idéologique, une vérité qui ne tolère aucune critique, est imposée à tous et lutte contre les ennemis du régime,

  1. une conception du peuple (le peuple-Uni) ;
  2. une théorie de la démocratie (préférence pour la démocratie directe, rejet des corps intermédiaires et expression spontanée de la volonté générale;
  3. une modalité de la représentation (mise en avant d’un homme-peuple) ;
  4. une politique et une philosophie de l’économie (national-protectionnisme dans une vision souverainiste attentive à la sécurité de la population) ;
  5. un régime de passions et d’émotions (sentiment d’abandon, d’invisibilité, besoin d’un monde plus lisible comblé par des récits complotistes, volonté d’agir par le dégagisme).

Adapté d’un discours qu’il avait tenu à la Columbia University, il revenait sur son expérience personnelle du fascisme italien, et avançait une grille d’analyse des signes avant-coureurs du basculement d’un régime politique vers le fascisme.

Dans l’esprit d’Eco, ces attributs ne peuvent s’organiser en système, beaucoup sont contradictoires entre eux et sont aussi typiques d’autres formes de despotisme. Mais il suffit d’un seul pour que le fascisme puisse se concrétiser. Voici les 14 points

  1. La première caractéristique du fascisme éternel est le culte de la tradition. Il ne peut y avoir de progrès dans la connaissance. La vérité a été posée une fois pour toutes, et on se limite à interpréter toujours plus son message obscur.
  2. Le conservatisme implique le rejet du modernisme. Le rejet du monde moderne se dissimule sous un refus du mode de vie capitaliste, mais il a principalement consisté en un rejet de l’esprit de 1789 (et de 1776, bien évidemment [Déclaration d’indépendance des États-Unis]). La Renaissance, l’Âge de Raison sonnent le début de la dépravation moderne.
  3. Le fascisme éternel entretient le culte de l’action pour l’action. Réfléchir est une forme d’émasculation. En conséquence, la culture est suspecte en cela qu’elle est synonyme d’esprit critique. Les penseurs officiels fascistes ont consacré beaucoup d’énergie à attaquer la culture moderne et l’intelligentsia libérale coupables d’avoir trahi ces valeurs traditionnelles.
  4. Le fascisme éternel ne peut supporter une critique analytique. L’esprit critique opère des distinctions, et c’est un signe de modernité. Dans la culture moderne, c’est sur le désaccord que la communauté scientifique fonde les progrès de la connaissance. Pour le fascisme éternel, le désaccord est trahison.
  5. En outre, le désaccord est synonyme de diversité. Le fascisme éternel se déploie et recherche le consensus en exploitant la peur innée de la différence et en l’exacerbant. Le fascisme éternel est raciste par définition.
  6. Le fascisme éternel puise dans la frustration individuelle ou sociale. C’est pourquoi l’un des critères les plus typiques du fascisme historique a été la mobilisation d’une classe moyenne frustrée, une classe souffrant de la crise économique ou d’un sentiment d’humiliation politique, et effrayée par la pression qu’exerceraient des groupes sociaux inférieurs.
  7. Aux personnes privées d’une identité sociale claire, le fascisme éternel répond qu’elles ont pour seul privilège, plutôt commun, d’être nées dans un même pays. C’est l’origine du nationalisme. En outre, ceux qui vont absolument donner corps à l’identité de la nation sont ses ennemis. Ainsi y a-t-il à l’origine de la psychologie du fascisme éternel une obsession du complot, potentiellement international. Et ses auteurs doivent être poursuivis. La meilleure façon de contrer le complot est d’en appeler à la xénophobie. Mais le complot doit pouvoir aussi venir de l’intérieur.
  8. Les partisans du fascisme doivent se sentir humiliés par la richesse ostentatoire et la puissance de leurs ennemis. Les gouvernements fascistes se condamnent à perdre les guerres entreprises car ils sont foncièrement incapables d’évaluer objectivement les forces ennemies.
  9. Pour le fascisme éternel, il n’y a pas de lutte pour la vie mais plutôt une vie vouée à la lutte. Le pacifisme est une compromission avec l’ennemi et il est mauvais à partir du moment où la vie est un combat permanent.
  10. L’élitisme est un aspect caractéristique de toutes les idéologies réactionnaires. Le fascisme éternel ne peut promouvoir qu’un élitisme populaire. Chaque citoyen appartient au meilleur peuple du monde; les membres du parti comptent parmi les meilleurs citoyens; chaque citoyen peut ou doit devenir un membre du parti.
  11. Dans une telle perspective, chacun est invité à devenir un héros. Le héros du fascisme éternel rêve de mort héroïque, qui lui est vendue comme l’ultime récompense d’une vie héroïque.
  12. Le fasciste éternel transporte sa volonté de puissance sur le terrain sexuel. Il est machiste (ce qui implique à la fois le mépris des femmes et l’intolérance et la condamnation des mœurs sexuelles hors normes: chasteté comme homosexualité).
  13. Le fascisme éternel se fonde sur un populisme sélectif, ou populisme qualitatif pourrait-on dire. Le Peuple est perçu comme une qualité, une entité monolithique exprimant la Volonté Commune. Étant donné que des êtres humains en grand nombre ne peuvent porter une Volonté Commune, c’est le Chef qui peut alors se prétendre leur interprète. Ayant perdu leurs pouvoirs délégataires, les citoyens n’agissent pas; ils sont appelés à jouer le rôle du Peuple.
  14. Le fascisme éternel parle la Novlangue. La Novlangue, inventée par Orwell dans 1984, est la langue officielle de l’Angsoc, ou socialisme anglais. Elle se caractérise par un vocabulaire pauvre et une syntaxe rudimentaire de façon à limiter les instruments d’une raison critique et d’une pensée complexe.
  • Des mesures draconiennes prises par une bourgeoisie effrayée par une potentielle révolution populaire “communiste”
  • La Nation dénonce avec violence un ou des ennemis intérieurs et/ou extérieurs. Une propagande médiatique incite à la délation, voire aux passages à l’acte.
  • Un peuple uni qui est guidé par un Etat fort de sa police et de son armée, avec à sa tête, un Chef. Le contrôle et la répressions sont sanguinaires.
  • Le travail est divisé en corporations de métiers, comprenant les patrons jusqu’aux apprentis. Les richesses produites sont gérés par les patrons et l’état. Le mode de production suit les grandes phases du capitalisme par l’implantation du modèle américain.
  • L’Eglise catholique est une aide précieuse. L’école lui est confiée. Les gouvernements des USA ferment les yeux officiellement, mais les soutiennent indirectement
  • Des groupes armés font règner la terreur dans les rues.

Dans les articles suivants, nous examinerons les spécificités de quelques uns