19 juillet 2025

Alors que le massacre à Gaza continue d’atteindre des sommets de déshumanisation jamais atteints auparavant et que l’Iran, avec l’aide de la Chine et de la Russie, tente de se réorganiser pour endiguer le Grand Israël qui déborde en Syrie ; C’est d’Afrique que le Sénégal, après 65 ans, a officiellement chassé le dernier contingent militaire français présent dans le pays, réquisitionnant la base du Camp Geille. Le chef des forces armées sénégalaises, Mbaye Cissé, a parlé d’un nouveau partenariat dans lequel il y aura enfin « le respect mutuel et la souveraineté de chaque partie ». En mars dernier, les troupes françaises se sont retirées des sites de Camp Maréchal, Camp Saint-Exupéry, Contra-Amiral Protet et Rufisque, tous revenus sous commandement sénégalais. Ainsi, après les exploits de l’AES, nous sommes confrontés à un autre pan de l’histoire de la Françafrique qui s’en va, au nom d’une plus grande indépendance et souveraineté des populations locales qui reviennent pour réaffirmer l’autodétermination, chasser la présence militaire étrangère et se joindre à la protestation des autres puissances locales contre les politiques sécuritaires anti-djihadistes. Une telle poussée identitaire africaine est aujourd’hui de plus en plus identifiée comme une tendance politique transversale vers le rejet du néocolonialisme, avec des politiques économiques en faveur du peuple et de la paix.

C’est le centième anniversaire de la naissance de Frantz Fanon, l’un des plus grands penseurs néocolonialistes et révolutionnaires du siècle dernier, qui dans ses écrits a toujours mis en garde contre l’absence de décolonisation, parlant d’une « grave erreur blanche » et d’un « grand mirage noir ». Pour le psychiatre martiniquais, en effet, « le néocolonialisme arrache l’indépendance économique sous la forme d’un programme d’aide et d’assistance »[1] et c’est précisément ce qui s’est passé ces dernières années avec les programmes militaires de « protection » contre le terrorisme djihadiste soigneusement instillés par l’Occident lui-même. Sans parler des entreprises qui ont poursuivi leur activité d’extraction de matières premières sans être dérangées, pillant la valeur et la richesse de la même manière que le colonialisme historique. Et en cela, les actions menées par l’AES dans les territoires respectifs où les mines ont été rachetées, où des usines et des banques d’État ont été construites pour soutenir la production et le crédit s’inscrivent dans le sillage de l’enseignement de Fanon et de son avertissement, selon lequel « tous les pays coloniaux en lutte doivent savoir que l’indépendance politique qu’ils arracheront à l’ennemi, en échange du maintien d’une dépendance économique, ce n’est qu’une illusion »[2]. Eh bien, briser cette illusion est devenu une priorité dans la décolonisation 2.0 qui vise clairement une indépendance qui n’est pas purement formelle, mais substantielle. La réalisation de la nationalisation complète du capital, la collectivisation de la production et des objectifs clairs de politique sociale visent à rendre effective l’indépendance de la communauté, en affirmant totalement le pouvoir du peuple et en chassant les politiciens corrompus. Le premier mouvement, cependant, est centré sur l’interruption de la domination militaire, puisque « la violence des démocraties occidentales pendant leur guerre contre le nazisme, la violence des États-Unis d’Amérique à Hiroshima avec la bombe atomique, représentent la mesure de ce que les démocraties peuvent entreprendre lorsque leur vie est en danger »[3], en effet « la situation coloniale est en premier lieu une conquête militaire ininterrompue renforcée par une administration civile et policière »[4].

Ce n’est pas une coïncidence si la première et la plus urgente mesure a été, de la part des juntes militaires et non militaires, l’expulsion des armées d’occupation et de leurs milices mercenaires. C’est seulement de cette lutte et de la lutte économique que dérivent toutes les politiques ultérieures d’autodétermination, car « la lutte qu’un peuple mène pour sa libération le conduit, selon les circonstances, soit à rejeter, soit à faire exploser les prétendues vérités implantées dans sa conscience par l’administration civile coloniale, par l’occupation militaire, par l’exploitation économique. Et seul le combat peut vraiment exorciser ces mensonges sur l’homme qui intériorisent et mutilent littéralement les plus conscients d’entre nous »[5]. Ces « mensonges sur l’homme » ne sont rien d’autre que l’idéologie colonisatrice qui conduit à induire les masses en erreur, à leur faire accepter la domination coloniale avec « toutes les fausses vérités » et à empêcher « la libération totale qui concerne tous les secteurs de la personnalité »[6]. Le message de fond lancé par Fanon au nouveau siècle et qui semble avoir été pleinement repris par les tenants de la décolonisation 2.0 est précisément la recherche de cette rupture radicale qui implique la réticence à des solutions réformistes  et de compromis avec les collaborateurs sur des points idéologiques clés, pour amorcer une véritable indépendance à partir des politiques économiques. Selon le psychiatre martiniquais, c’est précisément de là que s’épanouira l’homme nouveau, bien décrit dans ses écrits les plus célèbres, car « (l’indépendance) n’est pas un mot magique, mais une condition indispensable à l’existence d’hommes et de femmes vraiment libérés, c’est-à-dire maîtres de tous les moyens matériels qui rendent possible la transformation radicale de la société »[7]. En ce sens, l’expropriation des moyens de production et leur collectivisation devient une prémisse fondamentale pour la mise en œuvre de cette stratégie visant à la transformation de l’homme et de la société, à partir de bases économiques solides.
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[1] F. Fanon, Ecrits politiques. Pour la révolution africaine, Vol. I, Derive Approdi, Rome, 2006, p.126

[2] Ibid., p. 129

[3] Ibid., p. 165

[4] Ibid., p. 87

[5] F. Fanon, I dannati della terra, Einaudi, Turin, 1962, pp. 212-213

[6] Ibid., p. 225

[7] Ibidem.

100 ans de Fanon. Avec Gaza dans les yeux et la décolonisation 2.0 dans le cœur – AU PREMIER PLAN – The Antidiplomat