Quelles leçons de l’agression contre l’Iran ? note de lecture par Taher Elmouez
T.M.
Introduction
Le 13 juin 2025, l’agression sioniste contre l’Iran occupait la « Une » des medias. L’agression s’est déroulée dans un contexte d’escalade provoquée par l’armée sioniste ( soutenue par tous les Etats impérialistes, d’où l’intérêt d’étudier les conséquences possibles de cette escalade majeure dans le contexte du conflit mondial entre l’OTAN ( dirigée par les Etats-Unis) et le reste du monde, dont la Russie et la Chine.
L’agression sioniste surprise contre l’infrastructure militaire iranienne et l’assassinat de dirigeants de premier plan, n’était pas seulement une « frappe » ( selon l’expression des médias impérialistes) contre « l’ennemi régional », comme le décrit Tel-Aviv, mais plutôt un test pratique de la technologie militaire et de la stratégie de guerre élaborées dans les coulisses des centres de décision américains, sous la direction de la célèbre RAND Corporation.
L’écrivaine et professeure russe Elena Panina, députée au Parlement fédéral ( Douma) et directrice de l’Institut d’études stratégiques en politique et économie, a publié deux articles les 17 et 24 juin 2025, analysant l’attaque sioniste, puis américaine contre l’Iran du point de vue russe. Elle a tenté de mettre en garde les autorités russes contre des attaques surprise utilisant des tactiques similaires. Elle a essayé de conclure que l’une des leçons les plus importantes que la Russie devrait tirer de l’attaque contre l’Iran est qu’un manque de préparation à une agression étrangère et une mauvaise gestion entraînent forcément des conséquences désastreuses. Elle posait la question suivante : comment une guerre éclair de renseignement peut-elle détruire les capacités d’un État majeur sans que celui-ci ne tire la sonnette d’alarme ?
Ci-dessous un résumé du contenu ( ou compte-rendu) des deux articles
1 Le coup fatal : de la fiction théorique à la réalité militaire ( 17 juin 2025)
Ce qui est frappant, selon Yelena Panina, c’est que « dans cette opération, Israël ne s’est pas limité à éliminer des personnalités isolées, mais a plutôt tenté d’éliminer d’un coup l’ensemble des hauts dirigeants militaires… L’Iran a perdu des dizaines de dirigeants importants, et le coup fatal porté par l’élimination de ces dirigeants n’était plus un simple scénario de renseignement, mais s’est transformé en un modèle militaire prêt à l’emploi immédiatement, pour démanteler la structure ( ou la chaîne ) de commandement et à éliminer l’ennemi dès les premières heures de l’agression. » L’auteure ne mentionne pas ce qui s’est passé en 1967, lorsque l’armée sioniste a bombardé des bases militaires égyptiennes et syriennes et a vaincu les armées des deux pays (ainsi que celle de la Jordanie) en quelques heures. Il s’agissait de la première expérience de la tactique visant à éliminer les capacités de l’ennemi et à contrôler rapidement le cours de la guerre, donc cette démarche n’est pas tout à fait nouvelle mais elle est mise à jour…
L’auteure relie directement cette stratégie à ce qui a été développé dans les groupes de réflexion américains, affirmant : « Le concept du coup de grâce a été développé par la RAND Corporation et présenté à la Maison-Blanche au début des années 2000. Par conséquent, ce qui s’est passé en Iran n’est pas une initiative israélienne indépendante, mais plutôt la mise à l’épreuve d’un scénario préalablement élaboré à Washington ».
La Russie est-elle la prochaine cible ?
Il convient de noter que cette étude est réalisée par une chercheuse et députée du parlement fédéral russe (Elena Panina). Elle dirige aussi un centre d’études et de recherches, elle perçoit donc l’actualité mondiale à travers le prisme russe. Elle pose explicitement la question dans la deuxième partie de l’article : à quoi la Russie doit-elle se préparer après cette expérience iranienne ? Elle répond par un avertissement explicite : il est fort probable que la Russie soit soumise à « une frappe combinée menée par l’Ukraine, pour le compte des forces de l’OTAN, visant le système de commandement militaire et politique russe, en conjonction avec une attaque contre son arsenal nucléaire et ses capacités de dissuasion ». L’auteur s’appuie sur des faits antérieurs, soulignant les similitudes temporelles et de terrain entre l’attaque sioniste contre l’Iran le 13 juin 2025, deux jours avant un cycle de négociations entre l’Iran et les États-Unis, et l’attaque ukrainienne contre des aéroports stratégiques russes le 1er juin 2025, deux jours seulement avant un supposé cycle de négociations à Istanbul entre la Russie et l’Ukraine. Yelena Panina demande avec sarcasme : « Cette similitude ne recèle-t-elle pas de nombreuses coïncidences ? »
Guerre technologique :
L’article souligne également la profonde transformation des outils de guerre moderne. L’attaque contre l’Iran n’a pas été menée uniquement avec des missiles ou des avions, mais avec une combinaison d’intelligence artificielle, de reconnaissance spatiale et d’analyse de données. Quatre géants technologiques ont également participé à l’agression de l’Iran (Palantir, Meta, OpenAI et Thinking Machines Lab). Les dirigeants de ces entreprises ont prêté serment comme officiers de réserve dans l’armée américaine, juste avant le début de l’agression israélo-américaine contre l’Iran. Encore une « coïncidence » ?
Ainsi, la relation entre le ministère américain de la guerre et les grandes entreprises technologiques a dépassé le stade de la coopération technologique, et a atteint le stade de la coordination militaire pour effectuer des agressions contre un pays indépendant, membre de l’ONU. Le domaine de la finance ou des services s’est transformé aussi en un outil de fusion entre le Pentagone et la Silicon Valley, en une structure organique de la nouvelle guerre « occidentale » qui utilise la numérisation au service de l’armée et du Pentagone, sans aucune « couverture » ou prétexte pour camoufler cette collaboration. Starlink s’est illustré aussi et a été le principal fournisseur d’accès Internet pour les forces armées ukrainienne contre la Russie…
En conclusion du premier article, Elena Panina a formulé des observations audacieuses et proposé un plan de défense stratégique pour la Russie, à commencer par la réactivation de la doctrine de l’armement nucléaire russe, le renforcement du domaine des renseignements pour plus d’efficacité et l’élargissement des capacités du pays pour pouvoir remplacer rapidement des dirigeants ou responsables ( civils et militaires) éliminés par l’ennemi, mais « n’attendez pas que les missiles ennemis commencent à nous tomber dessus. » Il faut plutôt prendre l’initiative préventivement pour priver l’ennemi des capacités techniques nécessaires au lancement d’une attaque, considérant les frappes préventives comme un droit légitime dans la logique de la nouvelle guerre initiée par les Etats-Unis et ses alliés.
Le deuxième article étudie la question des pertes et profits et pose la question des conséquences d’une défaite potentielle de l’Iran, pas en tant que régime mais en tant qu’Etat, et ce au vu de ce qui s’est passé en Iraq, en Libye ou en Syrie, ainsi que les conséquences à court et à moyen terme sur la Russie et la Chine. L’article se termine par un appel à former une alliance solide entre les pays visés par la machine de guerre américaine : Russie, Chine, Corée du Nord, Iran…
2 L’Iran entre le piège de la guerre et celui de la désintégration : une lecture de la stratégie occidentale ( 24 juin 2025)
Malgré l’arrêt des frappes aériennes et des tirs de missiles qui ont duré 12 jours, ce qui s’est passé entre l’entité sioniste et l’Iran n’a pas marqué la fin d’un affrontement militaire, mais plutôt le début d’une phase plus complexe et probablement plus dangereuse. La guerre, qualifiée d’« occidentale », n’a pas conduit à une victoire décisive, mais a ouvert la voie à un projet plus vaste : déstabiliser l’Iran de l’intérieur, transformer le pays en une arène de conflit chronique menée par des moyens subtils et dissimulés. L’objectif de l’agression n’est peut-être pas d’obtenir une défaite militaire rapide, mais plutôt de provoquer une désintégration politique et sociale durable qui serve les intérêts de Washington et de Tel-Aviv et redessine les cartes de l’influence. Au Moyen-Orient, à commencer par Téhéran.
L’impérialisme américain nous a rappelé une fois de plus qu’il est la plus grande puissance et le gendarme mondial, déterminé à résoudre tous les problèmes persistants par les menaces, la force et la coercition. Cela nous a également rappelé que la décision de déclencher, de poursuivre ou d’arrêter la guerre appartient avant tout aux Américains. L’entité sioniste a lancé l’agression, mais l’Iran a répondu avec force et détermination. Il n’a pas semblé capituler ni se soumettre. Au contraire, Tel-Aviv, Haïfa, Jérusalem, le Néguev et les sites militaires sionistes sont devenus la cible de bombardements intensifs. Lorsque la situation est devenue critique, l’impérialisme américain est intervenu directement pour secourir son agent et représentant dans la région. L’hypothèse selon laquelle le lobby sioniste contrôle la politique américaine a été dissipée, car la guerre des Douze Jours a démontré que l’impérialisme américain est le leader ( le général) et l’entité sioniste le suiveur ( le caporal), quoique d’une manière particulière.
La situation intérieure aux États-Unis a été marquée par l’élargissement du champ des manifestations, qui ont débuté à Los Angeles, en Californie, et se sont étendues à plusieurs grandes villes américaines. Les manifestations contre la répression et les arrestations visant les immigrants, pilier de l’économie américaine dans une société initialement composée d’immigrants ( qui se sont transformés en colons criminels), se sont poursuivies malgré les violences commises par la Garde nationale et de l’armée. Donald Trump a réussi à détourner l’attention de la situation intérieure explosive en lançant une guerre extérieure ( une agression, comme toutes les guerres américaines) à laquelle ses opposants ne se sont pas opposés. Le président américain a pu contrôler totalement son parti (le Parti républicain) et la majorité de la société, qui soutenait une « participation américaine limitée » à l’agression contre l’Iran, présenté depuis 45 ans par les médias comme une source de maux et à auquel on a imputé une grande partie des problèmes du monde. Les dirigeants politiques et militaires américains ont mal évalué l’ampleur de la réplique iranienne à l’agression. L’Iran a résisté durant la phase intense de la confrontation, et la rébellion interne attendue n’a pas eu lieu. Les alliés américains et sionistes, qui cherchaient à renverser le régime iranien après les bombardements aériens, ont été déçus car au contraire cette agression a uni la société iranienne face à l’ennemi extérieur. Cela s’explique par le fait que les forces politiques iraniennes, y compris l’opposition, rejettent l’intervention de forces extérieures pour renverser le régime qui signifierait l’effondrement de l’État, et non pas seulement du régime – comme cela s’est produit en Libye, en Syrie, en Iraq et ailleurs – et l’avènement d’une catastrophe dont personne ne connaît les limites.
Un arrêt temporaire de l’agression pourrait conduire à des tentatives de lancer une nouvelle « révolution coloriée » en Iran, après l’échec de la dernière tentative en 2022. L’impérialisme américain s’appuie sur des forces organisées telles que les héritiers de la bourgeoisie qui a soutenu le régime du Shah Mohammad Reza Pahlavi et leurs alliés, tels que l’organisation des « Moujahidines du peuple » devenus un outil et un pion de certaines franges de la bourgeoisie compradore iranienne et des services de renseignement impérialistes.
Les médias américains ont divulgué des rapports d’instituts de recherche appelant à se concentrer sur la déstabilisation de l’Iran, de l’intérieur, afin de détruire le régime, l’Etat et le pays ( riche en hydrocarbures) en organisant et en finançant les groupes qui déclencheraient une « révolution coloriée » en exploitant la pénurie et les destructions. Le « mécontentement interne », aux motivations légitimes, pourrait ainsi être exploité par les États-Unis, l’entité sioniste, l’OTAN et les régimes réactionnaires du Golfe pour transformer les revendications pour de meilleures conditions de vie en une guerre civile visant à détruire l’État et à diviser le pays, à l’instar de ce qui s’est passé en Iraq, en Libye, en Syrie ou en Yougoslavie.
Ces objectifs américains et sionistes entrent en conflit avec ( ou contrarient ) les intérêts de la Russie et de la Chine, car la fragmentation de l’Iran entraîne inévitablement la déstabilisation des pays voisins d’Asie centrale, du Pakistan, de l’Afghanistan et de la région du Caucase du Sud, vitale pour la Russie. La Turquie (membre de l’OTAN) pourrait tirer profit de cette situation, qui entravera ou arrêtera inévitablement tous les projets de corridors de transport, tels que les lignes « Nord-Sud » entre l’Iran et la Russie, et les lignes du projet chinois « la nouvelle route de la soie ». Si cela se produit et que l’influence de la Turquie se renforce, la déstabilisation de la Russie de l’intérieur (le Caucase du Nord et la région de la Volga) et de la Chine (la région autonome Ouïghour du Xinjiang) deviendra possible d’ici quelques années. Par conséquent, certaines études ou recherches russes appellent à une coopération renforcée entre la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran – ou la région appelée « Eurasie » –, car chacun de ces pays est exposé à la menace d’une agression impérialiste américaine et européenne ou les puissances qui constituent l’adversaire géopolitique commun.
Conclusion :
Le premier article n’est pas une simple analyse d’une guerre dans un pays tiers, mais plutôt un avertissement réfléchi : ce qui s’est passé en Iran pourrait se reproduire, avec de nouveaux outils, n’importe où, notamment en Russie. L’entité sioniste a non seulement attaqué l’Iran, mais a également ouvert la voie à une nouvelle ère de guerre, où les négociations se transforment en tromperie, où la technologie et l’intelligence artificielle sont des armes, et où la rapidité devient une norme existentielle. Il n’y a pas de place pour la confiance dans les accords bilatéraux ou internationaux, signés avec de tels adversaires ou ennemis. Les guerres à venir seront des guerres d’intelligence artificielle.
Le deuxième article est plutôt une analyse stratégique de ce qui pourrait se produire à l’avenir, notamment la possibilité de détruire et de diviser l’Iran, de renverser le régime de l’intérieur par une « révolution de couleur », plutôt que par une agression militaire, ou une combinaison des deux procédés, en parallèle. Si la « révolution de couleur » devait se produire et réussir en Iran, les conséquences négatives, voire catastrophiques de cette situation atteindraient la sphère d’influence de la Russie et de la Chine, au bénéfice de la Turquie, membre de l’OTAN menant une guerre par procuration contre la Russie en Ukraine. Une telle situation déstabiliserait la région eurasienne, la Russie et la Chine. Par conséquent, Elena Panina appelle à un renforcement de la coopération entre la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran, difficile à réaliser actuellement car la Russie et la Chine ont fait preuve d’une grande prudence et d’une grande réserve lors de l’agression américano-sioniste contre l’Iran. La Russie est embourbée en Ukraine, tandis que la Chine est préoccupée par la guerre économique déclenchée par les Etats-Unis, en plus des menaces militaires américaines.
Taher Elmouez