Le roman s’ouvre sur la scène brutale du viol de Malia par son cousin Farid, une scène fondatrice qui symbolise la violence structurelle d’une société patriarcale marquée par les non-dits de la guerre civile, un tas de traumas ingurgité par l’arrogance des fondateurs de cette société qui prône l’image à la réalité, en lisant cette scène j’ai ressenti une lecture que l’auteur a du sûrement faire, de Baudrillard »simulacre et simulation ». Ce traumatisme intime donne le ton d’un récit où l’individu est broyé par les héritages et les illusions collectives.

Rami, jeune diplômé confronté à la précarité, subit des entretiens d’embauche humiliants qui dénoncent l’absurdité du marché du travail et l’échec du mérite dans une économie d’ersatz. Parallèlement, Adib, écrivain frustré, livre un monologue intérieur poignant, révélant la crise de sens de l’intellectuel face à une société saturée de simulacres.

La confrontation finale entre Malia et Farid inverse les rôles : l’agresseur devient figure pathétique tandis que la victime détient la force du silence ou du pardon, posant la question de la mémoire et de la justice. Enfin, la réunion politique entre Adib et d’anciens militants souligne l’impasse d’une gauche figée, incapable de transmettre ses luttes.

À travers ces scènes, Touati dresse un tableau lucide d’une Algérie contemporaine fracturée, où chaque personnage incarne une tentative de survie ou de réinvention dans un monde de substituts. Le roman devient ainsi une fresque sociale et intime, portée par une écriture à la fois crue et réflexive.

Un passage très intéressant à lire:

[…] projet révolutionnaire se propose de réaliser la société sans classes, et conséquemment sans racisme, le grand fantasme du néo-prolo-aspirant-bourgeois est, comme son nom l’indique, de se hisser au sommet de l’ordre bourgeois, en mimant son standing et ses mœurs, et en reproduisant sa doxa et son discours essentialistes, perdant de vue que mimer le maître ne fait pas de vous un maître, mais au mieux un suppléif ; c’est-à-dire : un ersatz de maître.

Attendu qu’elle considérait l’ordre capitaliste comme naturel, et donc immuable et “universel”, Malika tournait ses flèches contre l’ordre “machiste”, responsable selon elle de tous les maux, depuis les guerres et les famines jusqu’à la gabegie et la corruption : la testostérone viciait tout !

Chaque jour de ménage était donc devenu un jour d’inventaire et de bilan, où elle mesurait l’écart entre sa vie réelle et celle qu’elle rêvait de mener, qu’elle prétendait mériter. Et chaque regard vers le passé remuait en elle la cuisante défaite d’années irrémédiablement perdues parce que malheureuses, renforçant son aigreur dans l’angoisse du futur : jusqu’à quand allait-elle vivre ainsi, dans cette existence sordide et mesquine ? Et elle en voulait à la terre entière de la priver de son dû : aux hommes et à leur oppressante société patriarcale, aux femmes si peu solidaires qui s’y pliaient encore, à l’Occident égoïste qui ne faisait rien pour les femmes du tiers-monde, si empressé pourtant à apporter la démocratie là où il y a du pétrole, mais pas de collabos locaux pour le piller en douce, etc. Jusqu’à Dieu, qu’elle blâmait d’avoir si mal fait le monde, avant de se rappeler qu’elle ne croyait pas en Lui (ou plutôt qu’elle Le niait, justement par rancune d’avoir si mal fait le monde). Et elle couvrait de son fiel la terre entière, indignée que l’humanité se souciât si peu de son mal-être, ayant pour le monde la rancœur qu’aurait un adulte névrosé envers une mère abandonneuse : son […]

La civilisation de l’ersatz de Djawad Rostom Touati

Le roman s’ouvre sur la scène brutale du viol de Malia par son cousin Farid, une scène fondatrice qui symbolise la violence structurelle d’une société patriarcale marquée par les non-dits de la guerre civile, un tas de traumas ingurgité par l’arrogance des fondateurs de cette société qui prône l’image à la réalité, en lisant cette scène j’ai ressenti une lecture que l’auteur a du sûrement faire, de Baudrillard »simulacre et simulation ». Ce traumatisme intime donne le ton d’un récit où l’individu est broyé par les héritages et les illusions collectives.

Rami, jeune diplômé confronté à la précarité, subit des entretiens d’embauche humiliants qui dénoncent l’absurdité du marché du travail et l’échec du mérite dans une économie d’ersatz. Parallèlement, Adib, écrivain frustré, livre un monologue intérieur poignant, révélant la crise de sens de l’intellectuel face à une société saturée de simulacres.

La confrontation finale entre Malia et Farid inverse les rôles : l’agresseur devient figure pathétique tandis que la victime détient la force du silence ou du pardon, posant la question de la mémoire et de la justice. Enfin, la réunion politique entre Adib et d’anciens militants souligne l’impasse d’une gauche figée, incapable de transmettre ses luttes.

À travers ces scènes, Touati dresse un tableau lucide d’une Algérie contemporaine fracturée, où chaque personnage incarne une tentative de survie ou de réinvention dans un monde de substituts. Le roman devient ainsi une fresque sociale et intime, portée par une écriture à la fois crue et réflexive.

Un passage très intéressant à lire:

[…] projet révolutionnaire se propose de réaliser la société sans classes, et conséquemment sans racisme, le grand fantasme du néo-prolo-aspirant-bourgeois est, comme son nom l’indique, de se hisser au sommet de l’ordre bourgeois, en mimant son standing et ses mœurs, et en reproduisant sa doxa et son discours essentialistes, perdant de vue que mimer le maître ne fait pas de vous un maître, mais au mieux un suppléif ; c’est-à-dire : un ersatz de maître.

Attendu qu’elle considérait l’ordre capitaliste comme naturel, et donc immuable et “universel”, Malika tournait ses flèches contre l’ordre “machiste”, responsable selon elle de tous les maux, depuis les guerres et les famines jusqu’à la gabegie et la corruption : la testostérone viciait tout !

Chaque jour de ménage était donc devenu un jour d’inventaire et de bilan, où elle mesurait l’écart entre sa vie réelle et celle qu’elle rêvait de mener, qu’elle prétendait mériter. Et chaque regard vers le passé remuait en elle la cuisante défaite d’années irrémédiablement perdues parce que malheureuses, renforçant son aigreur dans l’angoisse du futur : jusqu’à quand allait-elle vivre ainsi, dans cette existence sordide et mesquine ? Et elle en voulait à la terre entière de la priver de son dû : aux hommes et à leur oppressante société patriarcale, aux femmes si peu solidaires qui s’y pliaient encore, à l’Occident égoïste qui ne faisait rien pour les femmes du tiers-monde, si empressé pourtant à apporter la démocratie là où il y a du pétrole, mais pas de collabos locaux pour le piller en douce, etc. Jusqu’à Dieu, qu’elle blâmait d’avoir si mal fait le monde, avant de se rappeler qu’elle ne croyait pas en Lui (ou plutôt qu’elle Le niait, justement par rancune d’avoir si mal fait le monde). Et elle couvrait de son fiel la terre entière, indignée que l’humanité se souciât si peu de son mal-être, ayant pour le monde la rancœur qu’aurait un adulte névrosé envers une mère abandonneuse : son […]

Charef Eddine Hadj Mokhnache

Rostom Djawad Touati, La civilisation de l’ersatz, Apic Editions, Alger Prix Ahmed Baba de la Rentrée littéraire du Mali, 2020.

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