
L’émigration algérienne en France (2ème partie) –2- Au front ou au fond par Laure Lemaire
L’émigration est l’acte de quitter un pays (l’Algérie) ou un lieu de résidence (la Kabylie) avec l’intention de s’installer ailleurs (la France). À l’inverse, l’immigration décrit le fait d’arriver dans un pays (la France) pour s’y installer.
Le terme émigration est vient du latin migrare, qui est devenu « migrer » en français, précédé du préfixe “ex” extérieur. Migrer signifie changer de lieu de résidence,. Émigrer signifie donc quitter son pays de résidence pour un autre. Le mot « immigration » vient également de migrare et du préfixe « in », qui renvoi à « intérieur ».
La France a besoin de main d’oeuvre et de chair à canon
1- La révolution industrielle en France
Elle débute au milieu du XVIII° siècle. Elle est caractérisée par un enchaînement d’inventions marquantes, surtout celle de la machine à vapeur en 1769. En 1829, l’invention d’un ingénieur anglais perfectionne des locomotives à vapeur, si bien que le transport à grande vitesse de passagers et de marchandises sur des chemins de fer, sillonne bientôt le monde entier. Elles ont fait basculer les sociétés agricoles et artisanales vers un nouveau modèle reposant sur le commerce et l’acquisition d’un capital. Elle transforme le paysage économique, social, politique et culturel de l’Europe, puis du monde entier avec une nouvelle phase du colonialisme. Elles ont fortement contribué à l’essor du capitalisme. La nouvelle classe ouvrière a troublé l’ordre politique avec Karl Marx.
Les tout 1° migrants d’Algérie ont été les hommes chargés d’accompagner les troupeaux de moutons livrés par l’Algérie à la France. Ils devaient donner des garanties politiques et financières à la police, pour obtenir un document de circulation avant de partir. Ceratins réussirent à l’obtenir pour venir travailler en France, comme marchands ambulants de « produits indigènes », dans les villes de cure thermale, et à Marseille. Parmi ces pionniers, un très petit nombre n’est pas revenus. C’est la toute 1° génération qui a pu épouser des femmes du cru, fonder une famille, et s’ établir.

Dès 1850, suit une 2° révolution industrielle marquée par une succession d’innovations technologiques s’articulant autour de l’électricité et de l’industrie chimique et pétrolière. Elle est freinée en 1914 par la guerre mais pas complètement.
Une méthode innovante de travail est instaurée par le constructeur automobile américain Henry Ford : le montage à la chaîne. Grâce à elle, le temps de construction nécessaire à la Ford « T » est réduit de 6 heures à 1h30, avec une productivité de l’usine multipliée par 4. Désormais statique, l’ouvrier assemble les pièces qui passent devant lui, sur un tapis roulant.
La transformation du paysage.Le chemin de fer remplace le transport fluvial
des marchandises sans faire disparaître totalement les canaux. Mais pour faire avancer la locomotive, il faut aller chercher le charbon sous la terre , au fond des mines du Nord de la France. Des usines remplacent les anciennes fabriques. Elles construisent les machines en acier dont ont besoin les autres usines pour fabriquer des objets. La sidérurgie se développe donc à l’Est de la France. Pour des raison de transports, ces nouvelles usines s’installent autour de Paris (et de ses gares, de son fleuve qui coule d’Est en Ouest), principalement au Nord de la capitale, autour de Saint-Denis et sur l’île de Boulogne-Billancourt, à l’Ouest. Le paysage des campagnes se transforme aussi. Traditionnellement agricole, la France subit l’exode rural au profit des villes industrielles où il y a du travail salarié ( non tributaire des aléas climatiques et de la concurrence des marchandises étrangères), de la lumière nocturne et du cinéma. L’abolition de l’esclavage négrier (pour un autre) n’a pas tari l’activité des grands ports atlantiques (donc la concurrence des produits des anciennes colonies françaises), au contraire, ils se modernisent aussi, surtout Bordeaux et Nantes. Marseille (son port, son industrie savonnière) et le Sud Ouest (mines de charbon) accueillent une émigration italienne, tandis que les grandes propriétés rurales seront désormais occupées par des Polonais (es) aux patates et aux bettraves.
2-Une émigration dans les 2 sens: des liens migratoires séculaires unissent la Moselle et l’Algérie.
Ils se sont noués dès 1830 lorsque des Lorrains, très pauvres, sont partis tenter leur chance sur les terres confisquées par la France aux Algériens. En 1871, l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, a poussé plusieurs milliers d’anciens Français, à s’expatrier vers le Maghreb pour ne pas devenir Allemands. Le paysage algérien est donc marqué par la Lorraine. Dans la vallée de la Soummam, actuelle Akbou en Kabylie, existait un «centre de colonisation» qui prit en 1880, le nom de Metz (le chef-lieu de la Moselle jumelé en 1956 avec Blida). À proximité de Mostaganem, Dombasle était un homonyme de l’agglomération meurthoise, et l’actuelle Chefka s’est longtemps appelée Nancy. Les guerres de 1870 et de 1914-1918 ont été l’occasion de resserrer ces liens avec l’arrivée des soldats nord-africains en Meuse pour défendre Verdun, tandis que spahis et goumiers ont participé à la libération de la Lorraine à la fin de la 2° Guerre mondiale.
Cependant, la relation essentielle de la métropole avec son ancienne colonie (ou protectorats) restera celle du travail. Les flux massifs venus principalement d’Algérie, pour travailler dans les mines de charbon de Moselle entre les années 1930 et leurs fermetures, ont contribué au développement et à l’enrichissement de la région Lorraine, bien après l’émancipation de ces territoires.
La population algérienne, d’environ 3 M en 1830, était tombée à 2,2 M en 1872, du fait des morts de la conquête, que Jacques Frémeaux a évalué à environ 400 000, et des victimes de l’épouvantable famine de 1867-1868 qui fut à elle seule aussi meurtrière. Une des solutions est de fuir la misère et la mort. Un énorme flux migratoire arrive d’Agérie pour occuper les nouveaux emplois en région parisienne dès le début de la colonisation qui pille les richesses matérielles et humaines de ses nouveaux territoires. Les colonies vont être un des piliers de l’enrichissement du pays grâce aux colons qui y travaillent pour l’envoie des marchandises (viande, coton, café, or, chocolat…) à bas prix et grâce à la main d’oeuvre très bon marché de chaque côté de la Méditerranée.
Dès 1905, la main d’œuvre Algérienne est sollicitée en France métropolitaine. Les Algériens, ni Français, ni étrangers (jusqu’en 1962), sont tour à tour « indigènes », « sujets français », « Français musulmans d’Algérie ». A Marseille,ils travaillent dans les raffineries (savon) ou comme dockers ou chauffeurs sur des navires. Dans les 5 000 Kabyles dénombrés en 1912, certains sont colporteurs. L’emploi industriel domine cependant (dans les huileries et savonneries marseillaises, dans les mines du Nord, dans des raffineries de Paris et de banlieue…)
Quand ils le pouvaient, les citoyens français refusaient d’occuper des emplois trop difficiles (travail à la tâche dans le bâtiment et les travaux publics), encourageant le recours aux travailleurs algériens pour les réaliser. Le plus souvent, ces émigrés restaient entre un an et demi à deux ans en France métropolitaine, puis rentraient chez eux avec un petit pécule, où d’autres se préparaient à les remplacer dans les usines ou les mines

Le comté de Nice et de la Savoie sont annexés en 1860 par Napoléon III. On
souligne aussi la présence d’une centaine de commerçants et colporteurs
Kabyles à Marseille dans les années 1830. Depuis 1875, l’émigration bretonne s’est accéléré pour atteindre + de 150 000 natifs des Côtes-du-Nord en tête, dans Paris et sa petite couronne avant 1914 . Très peuplée, la Bretagne n’arrive pas à nourrir tous ses habitants, d’autant que les blés d’Amérique du Nord ou de Russie lui font concurrence et que son industrie textile périclite. Parfois, l’application illégale du droit d’aînesse sur l’héritage, force les cadets à s’expatrier. L’amélioration du réseau routier et l’arrivée du chemin de fer facilitent les déplacements. Les 2 émigrations arrivent en même temps et s’installent à Saint-Denis.
3- La préférence Kabyle: les 1°mineurs
Les 1° travailleurs originaires d’Algérie dans le Nord-Pas-de-Calais ont été recrutés après la catastrophe de Courrières en 1906, survenue dans 3 des fosses causant 1099 victimes. La compagnie des mines de Courrières et les autres, n’arrivent plus à recruter. Alors que l’extraction s’intensifie, les rendements diminuent car la nouvelle législation impose de sérieuses réductions du temps de travail suite à l’action syndicale. Les immigrés italiens sont plutôt envoyés vers les mines de fer de Lorraine. La compagnie des mines de Courrières trouve la solution.
Elle recrute 900 ouvriers kabyles, indigènes de la colonie française. D’autres compagnies lui emboîtent le pas (Anzin). En 1914, ils sont 1500 engagés, des hommes jeunes et robustes, célibataires (ou sans leur famille) pour un salaire normal et bénéficient de l’application des lois sociales acquises par les mineurs. Ils sont bien accueillis par la population ouvrière qui remarque leur savoir-faire et leur abnégation au travail; ils s’intégraient bien dans la communauté, adoptant le mode de vie obligatoire de tous les ouvriers, mais ils restent attachés à leurs traditions et à leur religion. Les patrons les appréciaient en raison de leur bonne maîtrise du français. En effet, la politique coloniale menée en Kabylie est fondée sur l’idéologie racialiste, le Kabyle étant représenté comme le «bon sauvage», digne d’assimilation. C’est là que furent très tôt créées des écoles, que l’obligation scolaire théorique de 1885, fut relativement la mieux appliquée, que le français fut le plus enseigné, ce qui permit aux patrons français de les préférer aux Polonais. De fait, on observe un parallélisme entre scolarisation française et émigration. Et, comme le recrutement des travailleurs se faisait par cooptation familiale ou villageoise, des générations d’un même lieu se succédèrent dans les mines du nord de la France et dans les usines de la région parisienne. Petit à petit, d’autres régions que la Kabylie se mirent à fournir de la main d’œuvre à l’industrie française. Mais les patrons ont tenté de diviser pour régner: ils ont volontiers opposer les Amazighs Berberophones aux Algériens Arabophones.
L’exil d’hommes seuls (mais + du1/3, mariés au pays) était pensé par leur groupe d’origine comme provisoire et devant contribuer à affermir les communautés locales (familiales, villageoises, foncières…) grâce aux subsides envoyés depuis la métropole. Le maintien des femmes et des enfants “au village” et sous la protection des membres de la familles, devait permettre d’éviter les départs définitifs. Cette émigration provisoire visait à pérenniser des formes traditionnelles d’organisations sociales, liées à la petite propriété foncière. Ainsi, “l’exode kabyle” depuis le début avait un double objectif. C’était une “émigration de la faim” depuis une région marquée par un déficit nutritionnel chronique, voire frappée par de véritables famines ; elle devait aussi favoriser le rachat des terres perdues du fait de l’occupation française et de la dépossession coloniale. En effet, hier comme aujourd’hui, les populations ayant les moyens de migrer ne sont pas des plus pauvres, y compris quand leur “dénuement” marque les observateurs.
En 1911, la population parisienne est composée de 200 000 étrangers soit 7 % de sa population et tous les pays d’Europe y sont représentés.
Puis des centaines de travailleurs algériens sont embauchés dans les usines de Clermont-Ferrand et de la région parisienne, ils travaillent aussi dans le bâtiment et les travaux publics (BTP), les industries chimiques, les raffineries de sucre Say, la compagnie des omnibus, les chemins de fer et le métro. Ils se regroupent dans certains quartiers populaires (Montmartre à Paris). En 1912, la France recense de 4 500 « indigènes » en métropole, dont 1000 dans la
région parisienne.Le mouvement migratoire s’accélère en 1913 grâce à la suppression du permis de voyage, requis pour les » Indigènes » .

4- Durant la 1° Guerre mondiale (1914 – 1918)
Pour la Guerre, la France fait appel à la « main-d’œuvre étrangère » pour les besoins en armement de l’armée. Ainsi, le ministère de l’Armement recrute des Belges, Suisses, Italiens, et des Kabyles, des Nord-Africains au Creusot, siège des aciéries Schneider (Bourgogne Franche Comté). Il recrute 80 000 travailleurs et 175 000 soldats d’Algérie. Pour les « Algériens », le service militaire obligatoire est 2 fois plus long que pour les Français. 35 000 seront tués ou portés disparus et 72 000 blessés. Ceux qui ne sont pas sur le front, sont employés dans les secteurs vitaux : production d’armement, génie, aéronautique, transports, mines, etc. Elle recrute aussi 35 000 Indochinois (Annamites et Tonkinois) pour d’autres travaux dangereux, comme la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) dans la Région Parisienne.
Le SOTC (Service de l’organisation des travailleurs coloniaux), qui dépend de l’armée, est chargé de fournir des soldats pour le front et des travailleurs à l’arrière.À partir de septembre 1914, la France procède à la conscription obligatoire des Algériens. La réaction populaire fut très vive, avec des émeutes dans la région de Constantine et de Sétif que la propagande des agents des empires centraux et de la Turquie essaya d’utiliser à ses propres fins. La désertion fut massive avec un exode de 120 000 personnes vers les montagnes. Pourtant, aidée par le climat de l’Union Sacrée, elle réussit à enrôler environ 200 000 Algériens et à réquisitionner, comme travailleurs, 121 000 autres
La France mobilise 600 000 « tirailleurs sénégalais » (1/3 des hommes âgés de 20 à 40 ans en Algérie) dans ses troupes coloniales; leur hébergement se fait dans des camps.
En 1917, la carte de séjour est instituée pour un séjour temporaire lié au travail
L’État français délègue une grande partie de la gestion des populations migrantes aux organisations patronales, à la Société générale d’immigration, constituée en 1924 par les organismes patronaux spécialisés et hébergés par le « Comité des Houillères » sous la houlette d’Henri de Peyerimhoff de Fontenelle.
Après 1918 et l’échec de la politique de rapatriement des coloniaux, est créé en 1923 un Service de Contrôle et d’Assistance en France des Indigènes, désigné par le sigle CAI et rattaché au ministère des Colonies. jusqu’à sa dissolution pendant l’occupation, le CAI était en capacité d’exercer une surveillance politique rapprochée des militants anticoloniaux via son réseau “d’indicateurs”. Ses objectifs révèlent à quel point, les prérogatives policières et sociales furent mêlées. Pareil pour les émigrés d’Algérie, de nationalité française donc rattachés au ministère de l’Intérieur ils dépendaient d’ un organisme spécifique, le Service de surveillance et de protection des indigènes nord-africains (SSPINA) et de la Préfecture de police de Paris, sachant que depuis 1920 et pour longtemps, + 1/3 des Algériens vivaient en région parisienne. Dénoncé comme une institution coloniale par le PCF et l’ÉNA, il est structuré autour d’une Brigade en charge de la lutte contre la “criminalité nord-africaine” et de la surveillance politique des militants anticoloniaux.
En 1925, pour encadrer l’immigration maghrébine, jugée potentiellement « dangereuse », la Préfecture de police de Paris créé le Service des affaires indigènes nord-africaines, à l’initiative du conseiller municipal Pierre Godin, un ancien administrateur colonial. Nombre des fonctionnaires chargés de la gestion des populations immigrées, que ce soit à la Brigade des affaires nord-africaines, au ministère de l’Intérieur ou au ministère des Affaires sociales, sont en effet issus de l’administration coloniale.
Leur participation est reconnue par les travailleurs et ils jouissent même de la sympathie des Français. À cette époque, les fêtes musulmanes sont célébrées en France avec un certain faste et l’on assiste à de nombreux mariages mixtes. Des mots arabes sont intégrés dans l’argot parisien: fissa, bezef, toubib, Khouya, oualou.
Les 100 000 “indigènes” commençent à donner une tonalité algérienne à des quartiers entiers: la porte d’Aix à Marseille, la Guillotière à Lyon, le Soleil à Saint-Étienne, la rue de l’Épeule à Roubaix, aux quartiers de Paris (Javel, La Chapelle…) et de banlieue (Levallois, Billancourt, Saint-Denis…). Ce mélange des populations ouvrières – les soldats et travailleurs militaires, étroitement surveillés et cantonnés – inquiéta les pouvoirs publics, alarmées par les nombreuses situations de concubinage avec des jeunes femmes françaises.

Malgré ça, au terme de la guerre en 1918, la France rapatrie 250 000 travailleurs et soldats dans leur colonie dont tous les soldats algériens dans leurs régions d’origine.
Le retour au pays devint possible après la fin de la guerre. Il signifiait s’établir, c’est-à -dire acheter des terres, y compris aux colons. En effet, la 1° guerre mondiale voit la mobilisation de 120 000 Français d’Algérie, dont beaucoup de petits colons qui quittent leurs fermes. Ajoutons les famines de 1917 et 1921, qui les obligent à aller s’installer en ville. Le solde des transactions foncières devient positif au bénéfice des Algériens durant la guerre de 1914-1918, puis définitivement à partir de 1931. S’établir peut être aussi pour les ex-émigrés, acheter un petit commerce en ville.
5- 1920: la France à reconstruire
L’immigration reprend; la France est vainqueur mais ruinée et en partie détruite. :Pour la reconstruction, et du fait de l’hémorragie humaine, les industriels français font appel à la main d’œuvre étrangère et « coloniale », algérienne, réputée plus docile, plus facile à encadrer, et moins coûteuse. La liberté de circulation est donc réaffirmée par un décret de novembre 1920, en des termes sans équivoque:“les travailleurs algériens ne doivent plus être considérés comme des étrangers”. C’est à elle qu’ont fait appel pour briser des grèves ; les Algériens sont considérés comme des “jaunes”, par les ouvriers français, ce qui n’est pas sans alimenter le racisme déjà bien présent.
Les ambiguïtés et paradoxes liés à la situation coloniale (L’algérie est la France) et à ses partitions confessionnelles et raciales (Juifs, catholiques, musulmans) étaient tels qu’une législation française sur “l’immigration clandestine” (lois du 30 mai 1923 et du 17 décembre 1926 relatives aux “embarquements clandestins”) fut adoptée afin de contrecarrer les déplacements de Français (juifs ou catholiques) quittant des régions rurales paupérisées comme la Kabylie pour chercher de l’emploi dans les régions industrialisées de métropole où ils seront “bien” payés.
Ainsi en 1924, on dénombre 100 000 Algériens (même chiffre qu’en en 1940), qui constituent 3 % de la population immigrée (Italiens et les Polonais). Compte tenu des allers et retours, 500 000 Algériens sont venus travailler en France. La plus ancienne émigration d’Algérie, les Kabyles se sont déployés dans tous les secteurs d’activité: la restauration, les services, la communication, le spectacle, les transports et l’administration. Cette composante reste importante mais d’autres, des habitants du nord-ouest oranais s’installent et naissent les 1° mouvements anti-impérialistes au sein de la communauté..

6- Messalli Hadj
Dans les années 1920, des travailleurs migrants s’organisent, dans une section spéciale de la CGTU, la Main-d’œuvre étrangère (MOE), la future MOI.
Ho Chi Minh et 2 Algériens : Hadj Ali Abdelkader et Hamouche fondent en 1921 une section du groupe socialiste des originaires des colonies, une des associations de masse du PCF, né fin décembre 1920. Hadj-Ali est membre du comité directeur PCF quand le Komintern demande que son action se développe parmi les travailleurs nord-africains.
Il fonde alors l’ Étoile nord-africaine (ENA) en1926 à Paris. Elle est laïque et pense se battre aux côtés de la classe ouvrière française. Elle recrute ses militants dans l’émigration ouvrière algérienne, qui est pourtant placés sous surveillance par le Service des affaires indigènes nord-africaines de la Préfecture de police de Paris. Son but est « la défense des intérêts sociaux, matériels et moraux » des travailleurs algériens
En 1927, elle accueille Messali Hadj, né à Tlemcen en 1898 (mort dans l’Oise, en 1974), joue un rôle pionnier dans le processus menant à l’indépendance de l’Algérie .Moins préoccupé par la laïcité, affirmant un point de vue nationaliste, il se fait porte-parole d’une revendication d’indépendance de l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie et Tunisie au sein d’un ensemble national que serait l’Algérie). Il est membre et permanent du PCF qui compte 4 000 membres en 1924, et il est adhérent et militant de la CGTU. Le PCF organise un congrès anticolonial à Bruxelles en février 1927. Messali Hadj y prononce un discours contre l’« odieux code de l’Indigénat », qui fera de lui, la référence de la lutte anticoloniale en Afrique du Nord. Il déclare d’emblée : « le peuple algérien qui est sous la domination française depuis un siècle, n’a plus rien à attendre de la bonne volonté de l’impérialisme français pour améliorer son sort ». En 1928, l’ÉNA se sépare du PCF qui « l’éloigne » de sa revendication principale, l’autodétermination.
Les autorités françaises dénoncent la « menace pour l’autorité de l’État ». L’ENA est dissoute en novembre 1929. Avec la crise de 1929, les Algériens sont les 1° à être renvoyés. La France n’en a plus besoin. Une vague islamophobe se déclenche.

6- La grande Mosquée de Paris
L’État favorise l’immigration en provenance du Maghreb en finançant la construction de la Mosquée de Paris (loi du 19 août 1920), inaugurée en 1926 par le président Gaston Doumergue et le sultan du Maroc Moulay Youssef[11], et en mettant en place les structures de base de prises en charge sanitaires, en créant l’Hôpital Avicenne (« Hôpital franco-musulman ») à Bobigny, en 1925 (inauguré 10 ans plus tard, il est la première expérience de médecine coloniale en métropole). L’Hôpital Avicenne est sous la responsabilité du Service de surveillance et de protection des indigènes nord-africains (SSPINA), créé par Pierre Godin et dirigé par la préfecture de police de Paris.
La grande mosquée de Paris inaugurée le 15 juillet 1926, par le Président de la République française Gaston Doumergue et le sultan du Maroc Moulay Youssef, occupe une place symbolique pour la visibilité de l’islam et des musulmans en France.
L’objectif affiché de ce projet est de rendre hommage aux 70 000 soldats nord-africains de confession musulmane morts durant la bataille de Verdun 10 ans auparavant… En 1916, un comité réuni autour du sénateur Édouard Herriot en a l’idée, mais des projets antérieurs avaient tous avorté, dont celui, en 1846, de la Société orientale avait déjà proposé la construction « à Paris, puis à Marseille, d’un cimetière, d’une mosquée et d’un collège musulmans ».
.Aristide Briand, ministre des Affaires étrangères, décerne la Légion d’Honneur à Maurice Mantout, l’architecte qui a travaillé pour le Résident général au Maroc, le maréchal Hubert Lyautey, qui soutient sa candidature. La mosquée a été voulue par Si Kaddour Ben Ghabrit, un diplomate d’origine algérienne qui dirige la Société des Habous et Lieux Saints de l’Islam. Le gouvernement français s’investit pleinement dans ce projet. Les parlementaires votent une loi le 19 août 1920 pour l’aider financièrement. Cette loi constitue une dérogation à la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. La ville donne aussi un terrain : celui de l’hôpital de la Pitié, dans le Ve arrondissement. Les meubles et la décoration du lieu sont fournis par le roi d’Égypte et le bey de Tunis.
Réactions
En 1923, Victor Spielmann, un Européen d’Algérie militant du PCF ne voit dans la construction de la mosquée de Paris « qu’un vaste bluff » par lequel les « gouvernants occidentaux et leurs alliés orientaux (subventionnés) consacrent l’exploitation des masses musulmanes ». Il dénonce le statut de l’indigénat : « On ne peut nier la vérité établie, qui met la plus grande partie des indigènes hors du droit commun par l’abject indigénat, par les tribunaux d’exception [et] surtout par la mentalité ambiante de la plupart des juges, d’origine européenne, dominés par le préjugé de race du bicot voleur et fainéant ». En février 1924, un membre du PCF écrit dans L’Humanité sous le pseudonyme El Djazairi (l’Algérien); ce serait l’émir Khaled, petit-fils de l’émir Abdelkader .
« La France impérialiste, qui a compris la puissance de ce facteur idéologique [l’islam], donne une nouvelle orientation à sa politique coloniale pour gagner la sympathie des masses islamiques qu’elle exploite. Elle a commencé par leur construire une mosquée à Paris, mais déjà tous les Musulmans sont fixés sur la supercherie du gouvernement. »
La veille de l’inauguration de la mosquée, Messali Hadj tient le1° meeting de l’Étoile nord-africaine marquant les débuts du nationalisme algérien, où il critique une « mosquée-réclame »
Charles Maurras, 2 jours avant l’achèvement des travaux, exprime dans L’Action française ses réserves quant à l’édification de la mosquée:
« Cette mosquée en plein Paris ne me dit rien de bon. S’il y a un réveil de l’Islam, et je ne crois pas que l’on en puisse douter, un trophée de cette foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où enseignèrent tous les plus grands docteurs de la chrétienté anti-islamique représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir. Qui colonise désormais ? Qui est colonisé ? Eux ou nous ? »
Ce texte de 1926 est republié par l’extrême droite, par Résistance républicaineen 2015, qui le voient comme « visionnaire »
