Said Saad- Amar Ezzahi Une légende du renouveau de la chanson « châabi » : quelques bonnes feuilles
Said Saad est un écrivain confirmé avec trois roman. Le premier « La gloire des vaincus », « Les tranchée de l’imposture » et « Les rescapés de Pula ». Tous ses romans sont prenants, captivants et inscrit dans la chair et les souffrances d’hier et d’aujourd’hui de notre peuple.
Ce livre sur Amar Zahi « Amar Ezzahi, une légende de renouveau de la chanson chaâbie », « (Editions El Qobia) s’inscrit dans cette même lignée. Said Saad nous a aimablement autorisé à en publier de bonnes feuilles.
Préface
Le titre, d’une éloquence expressive, de l’ouvrage de Said SAAD constitue la structure d’une trame illustrant un fabuleux parcours d’une fulgurante ascension artistique modale et musicale de la chanson « châabi » exceptionnellement novatrice d’Amar Ezzahi.
A dessein de défricher une traversée de légende, l’auteur a privilégié la narration méthodique d’un récit subjuguant qui retrace par l’écoute et la collecte de témoignages le prodigieux cheminement d’un véritable ressourcement patrimonial de la mémoire collective au souvenir et à l’évocation d’un mythe de génie que fut l’immense Amar Ezzahi.
Une approche didactique et révélatrice de la matrice originelle d’un art inné pour devenir un univers mélodique le « Zahien » dans sa sublimité créative de rayonnement national de renouveau temporel et générationnel de juvénilité de la chanson algérienne dite « châabi ».
La lecture attrayante et captivante de l’exaltant itinéraire artistique d’Amar Ezzahi dans cet excellent recueil biographique documenté par une compilation de témoignages, nous emmène à la découverte de ce créateur phénoménal d’un avènement éclatant, renouveau d’interprétation du patrimoine musical populaire des Sidi Lakhadar Ben Khelouf, Ibna-Messaieb, El Maghraoui, Mustapha Ben Brahim, Mohamed Benguitoun pour ne citer que ceux-là.
Et de rappeler en l’opportunité de ce contexte culturellement édifiant que la poésie et la chanson demeurent à cet égard la matrice vitale de ce patrimoine mélodique d’universalité de par sa place sociétale dans la sphère culturelle planétaire.
Une évidence universellement et annuellement célébrée à Stockholm en 2016 par la prestigieuse Académie suédoise où la chanson a été hissée au rang de Prix Nobel de Littérature attribué dans un faste inaugural d’apogée au monumental auteur, compositeur et interprète de renommée mondiale Bob Dylan.
Cet événement d’apothéose à l’international fut contextuellement suivi au cours de l’année 2018 par la commémoration officielle de la chanson populaire à Alger à travers l’édification vivifiante d’une stèle à l’effigie d’Amar Ezzahi au jardin de Marengo actuellement Prague à la Rampe Valée, Louni Arezki présentement, avoisinant son domicile familial au numéro 19 de cette rue.
Cette expressive stèle de la mémoire et du souvenir est implanté à une proximité attenante à son banc de détente habituellement préféré lors de ses constantes haltes de méditation et de ressourcement en ce lieu, havre écologique luxuriant, témoin par ailleurs de sa prime enfance, de sa jeunesse et enfin plus tard, de ses inspirations poétiques et musicales d’un univers édénique et fécond qui fut le sien.
Une sculpture esthétique, figurative, mémorielle porteuse de la perpétuation de son souvenir ancrée par l’apport de son œuvre créative d’un mode d’interprétation musical de juvénilité par le rayonnement transgénérationnel du patrimoine de la chanson « châabi ».
A la faveur de sa perception visuelle dès l’entrée principale du jardin au centre où elle est érigée, cette stèle a reconverti ce lieu en un repère attractif de visites et de recueillement quotidiennement animés par des jeunes filles et garçons, des enfants accompagnés de leurs parents en de véritables processions évocatrices de témoignages et d’admiration immortalisés par de multitudes prises de vues photographiques, d’adulation à l’endroit d’un symbole mythique de popularité incarné par Amar Ezzahi.
Ceci en l’inventivité d’un véritable substrat mélodique qui a su catalyser les profondes aspirations qui par sensibilité, éprise d’évolution, de rythme, d’interprétation de la chanson, constitue un relai générationnel fondamental par la pérennisation du patrimoine ancestrale de la chanson « châabi ».
Ainsi, ces fragments de la vie et du parcours d’Amar Ezzahi ont été perspicacement revisités dans ce « livre-mémoire » qui lui a été passionnément consacré par l’auteur SAAD Said.
Une succession d’empreintes vivaces, de souvenirs et de révélations transcrites dans un style d’émouvantes évocations quant à la particularité mythique d’un personnage que fut Amar Ezzahi, un artisan créatif de valorisation perpétuelle de la culture populaire patrimoniale.
Celle-ci pour la préservation du précieux legs d’héritage de l’étincelante constellation d’astralité des monumentaux bardes d’érudition poétique de la verve et de la rime incarnée dans la lumineuse symbolique du med’h et des louangeuses « qacidates ».
Toute une genèse existentielle temporellement développée par un atypique parcours resplendissant à explorer en cet ouvrage de Said SAAD dont la laborieuse rétrospective de délectation est synonyme d’Amar Ezzahi en livre pour l’historicité de son art, pour l’avidité culturelle de ses fans, de ses admirateurs et la mémoire collective. »
Lounis Ait Aoudia
Auteur contributeur médiatique en patrimoine culturel – historique et mémoriel -Président de l’Association des amis de la Rampe Louni Arezki – Casbah

Quelques bonnes feuilles
Avant-propos
Lorsque, pour la première fois, des amis me proposèrent d’écrire la biographie de Amar Ezzahi – c’était dans un café de Bab-El-Oued – je fus étonné par l’idée et je m’empressais d’exprimer mes hésitations. Ce n’était pas un refus, mais le défi était tout de même de taille : je ne connaissais la personne ni de près ni de loin. Ezzahi ? Je l’apercevais parfois au bas de l’immeuble où il habitait, lorsque je remontais la Rampe Louni Arezki, mais j’avoue que jamais l’idée de l’approcher et de lui parler n’effleura mon esprit. Qu’aurait pu dire un journaliste du service économique à un maitre de la chanson. C’était deux mondes différents. Ce qui m’a encouragé pourtant à écrire ce livre, c’était la grandeur de l’homme et les encouragements de mes amis, tous des fans de l’artiste.
Pour la biographie, j’éprouvai le besoin de revoir tous ses anciens amis et de rechercher à travers leurs confidences le vrai visage d’Ezzahi. Je fus introduit, au fur et à mesure que le livre prenait forme, auprès ses compagnons, des personnes qui l’ont approché, qui ont vécu avec lui à des époques différentes de sa vie, qui ont fait partie de sa troupe. Il convient de préciser ici, que les témoignages n’engagent que leurs auteurs. Plusieurs de ses amis, malheureusement, ne font plus partie de ce monde et le dernier à nous avoir quitté est Boualem Bellemou, Allah yarahmou.
Chacun donnait son récit avec détails, ses appréciations de l’artiste, ses anecdotes qui furent les premières pierres de l’édifice. Certains témoignages étaient si riches, si précis, si réalistes, que parfois je me sentais physiquement proche de l’artiste.
J’ai couru les rues de la rampe Valée, questionné les habitants des immeubles, des maisons, épluché des documents, des photos et des coupures de presse pour capter les sons et les odeurs des jours que ne sont plus.
La construction de l’édifice commençait alors, lentement, régulièrement, elle s’accélérait par moment pour s’arrêter un peu plus loin, au gré des rencontres. Incontestablement, je prenais beaucoup de notes. Mais je craignais toujours, malgré les mille renseignements que je glanais, de laisser un coin de la vie de l’artiste, inexploré. Il n’a pu laisser d’écrit qui pût témoigner de son génie. Il est passé comme un météore.
L’écriture de cette biographie était pour moi, comme un cerf-volant que l’on lance un jour de vent. Au début, il flotte dans l’air, retombe à terre, remonte quelque peu, hésitant, au niveau des toits, marque des hauts et des bas. Il a tout l’air de nous décourager. Puis soudain il s’élance dans le ciel sous l’effet d’une bourrasque. Il monte, il monte. En gagnant de l’altitude, il devient incontrôlable ; la ficelle qui me relie à lui vibre dans ma main sous la force des vents …et des idées.
Les témoignages se suivaient et s’entremêlaient. Il fallait sans cesse éviter les répétitions, car les gens ne tarissaient pas d’éloges sur les qualités morales et humaines d’Ezzahi.
Je me rappelle Lors de mon séjour en Grande Bretagne où j’étais correspondant de presse, de la parution à cette époque, d’une biographie sur la princesse Diana.
Les Anglais se ruaient sur les librairies pour acquérir ce livre car, bien des années après sa mort, la princesse restait vivante dans le cœur des millions de britanniques. Leur amour pour Lady Diana, l’une des figures favorites du Royaume-Uni – elle a été classée troisième dans un sondage sur les personnalités les plus aimées de tous les temps dans ce pays, derrière Churchill et la Reine Elizabeth – était tout à fait comparable à celui des Algériens pour Ezzahi.
Par-dessus tout, je voulais apporter une modeste contribution à la culture en faisant connaitre l’un des maitres de la chanson « châabi ». C’est l’artiste le moins médiatisé sur la scène nationale, non pas qu’il fût oublié, ou sous-estimé, mais en raison de sa volonté farouche de demeurer loin des caméras et des feux de la rampe. Car « Amimar » pour les intimes, détestait la célébrité, il la fuyait. « Je ne suis qu’un petit chanteur », disait-il. Au fur et à mesure que j’écrivais sa biographie, j’ai appris à connaitre Amar Ezzahi, à cerner sa personnalité, son fond et je fus tout simplement ahuri par ce personnage. S’il l’eût voulu, il aurait pu devenir un chanteur populaire mondialement connu – ses atouts le lui permettaient – mais il est resté au niveau de son quartier, de son jardin Marengo et de ses amis de toujours, fidèle en amitié qu’il était. Bien des informations rapportées sur sa famille ont été sciemment occultées dans ce livre, par respect à la mémoire du défunt qui n’aimait pas qu’on parlât d’elle. En parler eut été comme une profanation de sa tombe. Je me suis donc limité à ne reproduire que les éléments essentiels de sa personne, de son histoire, de son évolution dans la vie – enfance, adolescence, âge adulte – et son entrée dans le monde de la chanson.
Dans un souci de retracer fidèlement la vie de l’artiste, j’écrivais parfois sous le contrôle de ses amis les plus intimes qui sont encore en vie, beaucoup malheureusement ne sont plus de ce monde. Ce que je peux affirmer à ce sujet, est que c’est un trésor que nous avons actuellement dans la mémoire de ces octogénaires, affables, souriants, gais, émus aux larmes lorsqu’ils évoquent leur ancien compagnon. Oui, un trésor que nous devons déterrer, essuyer, mettre en valeur peu à peu avant sa disparition à jamais. Chaque propos de ces personnes encore en vie, chaque phrase, chaque remémoration, est une lumière jetée sur le passé, une lumière qui brille de ces dernières lueurs et appelée à s’éteindre demain. Nul n’est eternel ! Et demain ? Lorsque tous ces octogénaires nous quitteront à leur tour, qui nous parlera de nos ainés avec autant d’assurance et d’authenticité de Ezzahi, de Hadj M’hamed El Anka, de M’rizek ou de cheikh El Hachemi Guerouabi ? La question qui se pose est de savoir si on aura des sources crédibles pour écrire sur nos artistes ? Même si on voudra le faire, ce sera trop tard…ne dit-on pas « battre le fer tant qu’il est chaud » ?
SAAD Said

Des funérailles grandioses
Un cortège de plus d’une lieue passait par Bab J’did en ce jour du 1er décembre 2016. Des milliers de personnes suivaient, le pas lent, le cercueil recouvert du drapeau national. Des you-you stridents se faisaient entendre des balcons. Au fur et à mesure que le cortège remontait l’avenue, la foule devenait plus compacte et les trottoirs noirs de monde. Une vue aérienne d’Alger – si elle avait été prise cet après-midi là – aurait montré une immense tache noire du côté nord de la ville. La rampe Louni Arezki était submergée de monde. Au grand tournant du C.E.M1 Tidjani, deux vieux personnages, assis, tenant une canne à la main, regardaient, étonnés, ce flot humain remonter la grande artère.
– Qui est-ce ? demanda le premier à son compagnon.
– Je ne sais pas, mais ça doit être quelqu’un d’important, regarde ! dit l’autre.
– Non, il n’y a pas de voitures officielles, les gens qui le suivent sont pauvres, ils sont trop sincères pour faire semblant d’être tristes.
Ils demandèrent à un jeune homme « qui est mort ? ». Il leur apprit la nouvelle.
Les Algérois étaient tous là pour pleurer le maitre du « châabi » ; les femmes se lamentaient aux balcons. La foule saluait l’homme au cœur d’or dont Alger était fière. L’un de ses meilleurs fils venait d’être rappelé à Dieu. Tout le monde dans ce pays, aimait Amar Ezzahi. Certains abandonnèrent leur travail, d’autres fermèrent boutiques pour assister aux funérailles du Cheikh et voir passer le cortège. Ils sont venus des quatre coins du pays. Tous les « zawalis »2 tenaient à accompagner à sa dernière demeure le « cheikh » et à lui exprimer leur respect. Les riches, les pauvres, les vieux, les jeunes ; tous accouraient vers le cercueil. Et le long des rues, les gens se pressaient en foule pour voir passer une dernière fois, leur idole. Les femmes pleuraient, chacune selon sa nature. L’une d’elle pleurait en silence, essuyant ses yeux de temps à autre avec un mouchoir. L’autre continuait à pleurer à sa façon, muette. Des citoyens vivant à l’étranger sont venus assister à l’événement. « Nous sommes venus, mon frère et moi d’Espagne, assister aux funérailles du pilier du « châabi » en Algérie. Nous sommes tristes comme ces millions d’Algériens qui suivaient le maitre partout où il se produisait. C’est la fin d’une époque, après la disparition de Guerouabi, d’El Hadj M’hamed. C’est vraiment triste ». C’est dire la place qu’occupait Ezzahi dans leur cœur. A Bab Ejdid et au cimetière d’El-Kettar c’était du jamais vu de mémoire d’homme. Des scènes indescriptibles, hallucinantes s’offraient à la vue, comparables aux funérailles de Hadj M’hamed El Anka en 1978. Des policiers en faction avaient les larmes aux yeux.
Quelques années plus tard, au jardin de Prague, par une journée ensoleillée de printemps, des enfants sont filmés par leur grand-père, au pied de la statue d’Ezzahi. Ces chérubins de cinq à six ans ignoraient que leur « papy » avait accompagné cet immense artiste du temps de sa splendeur.
Une statue a été érigée à sa mémoire dans le jardin de Prague où il avait l’habitude de s’assoir et de méditer ; le conservatoire d’Alger porte désormais son nom et un espace Amar Ezzahi a également été créé à la rue Bencheneb à deux pas de chez lui. Il s’agit de l’ancien palais El Menzeh situé à l’entrée principale de la Casbah mitoyen avec le mausolée Sidi Abderahmane Ethaalibi.
les lieux dédiés à Ezzahi ne désemplissaient pas de jeunes le jour de leur inauguration. Cela fait dire qu’il y a de l’espoir dans le domaine de la culture en Algérie.
Trois points, trois faits qui élèvent Ezzahi au statut de mythe. Oui, Ezzahi était un mythe. Il fait partie de la légende. Un mythe qui dépasse le cadre restreint de la chanson…Ses obsèques, ce premier décembre 2016, en sont la meilleure illustration.
Aucune ville d’Algérie n’avait jamais connu un tel enterrement. Ce jour-là, c’était le mythe qui s’élevait dans le ciel. Ce fut comme si son nom avait transpercé le firmament. Ezzahi est inoubliable non pas pour ses chansons mais par sa personnalité marquante. Il vit toujours et aujourd’hui, la simple évocation de son nom fait palpiter les cœurs des Algériens. Le temps qui passe ne semble pas altérer la mémoire de ceux qui l’ont aimé et adulé. Tout le monde a vu à la télévision, la retransmission des images de ses obsèques. Et le monde entier s’est interrogé « qui est-il ? ». Que représente celui qui a drainé autant de jeunes de Ouargla, d’Oran, de Mostaganem et de Guelma ?
Pour des raisons de sécurité, les voies d’accès vers Alger ont été bloquées pour éviter un mouvement de foule incontrôlable. S’il était encore en vie, il serait lui-même étonné de sa popularité post-mortem ; une popularité dont il ne voulait pas pourtant. « Je ne suis qu’un petit chanteur », disait-il à ceux qui lui parlaient de gloire et de célébrité.
Bien avant l’indépendance du pays, au bas d’un immeuble de la rampe Valée, l’enfant balbutia : « je veux chanter ; dans le chant, je me retrouve, je vis ». Il jouait de l’harmonica…
Un jeune « harrachi » a affirmé que si des milliers de personnes étaient présentes le jour de son décès, c’était en raison de sa générosité et non pas pour son répertoire, ni pour sa voix. On avait l’impression que le peuple avait perdu en Ezzahi une partie de son cœur ou de son foie (…) Je pense que s’il avait été enterré deux ou trois jours après son décès, il y aurait eu un pont aérien entre Alger et les capitales où réside notre communauté à l’étranger. Celle-ci a été prise de court.
Pourtant Ezzahi ne s’est jamais produit à l’étranger.
Avec le temps, un chanteur s’oublie quel que soit son talent, son succès et sa popularité. Un mythe, comme un diamant, est éternel. Ce qui fait le charme de ce mythe, c’est ce côté inconnu et obscur de l’artiste. Ce qu’on ignore de lui rend encore plus attrayante et plus captivante la lumière de sa légende. Les nombreuses questions que d’aucuns se posent sur Ezzahi telles que : « pourquoi ne s’est-il jamais marié ? », ou bien « comment vivait-il ? », ou encore « a-t-il aimé une femme dans sa vie ? » ne trouveront jamais de réponses. Il a emporté ses secrets avec lui dans la discrétion.
Un vieux compagnon d’Amar, habitant à la rue Suffren à Bab el Oued a affirmé que « s’il existait un Panthéon mondial qui regrouperait les personnalités les plus marquantes de l’humanité, Ezzahi, l’enfant de la Rampe Valée serait parmi elles, aux côtés de Nelson Mandela, de Che Guevara, ou de Mohamed Ali. Des hommes qui ont apporté la plus grande contribution au bonheur des peuples, symbolisant la liberté, l’amour, l’espoir, la lutte contre le racisme, et le respect de l’Homme. L’Humanité leur sera toujours reconnaissante.
Mais quel était le secret d’Ezzahi pour être adulé de la sorte, par toute une population, au point de faire pâlir de jalousie les Chefs d’état et les souverains ? Était-ce simplement parce qu’il chantait juste ? Ou bien touchait-il l’assistance par ses mélodies ? Non.
Alors pourquoi avait-il tant de popularité auprès des jeunes et des moins jeunes ? Pourquoi ?
Parce que, tout simplement, il était le grand frère de la famille, l’ami du peuple. Un peuple qu’il a aimé de toute son âme. Il était de ceux qui étaient capables de donner jusqu’à sa chemise à un pauvre démuni. Quand on écoute ses proches parler de son humanisme, alors la plume du reporter court sur le papier …

Zahi et les démunis
Un jour, une femme se présente à Ezzahi et lui dit : « Je voudrais faire le baptême de mon fils unique. Je n’ai pas beaucoup d’argent, je fais très attention aux dépenses. Combien me prendrez-vous pour une soirée ?
– Et son père ? demanda l’artiste
– Son père est mort il y a de cela des années, me laissant un garçon que j’éduque au prix de mille sacrifices. Mon rêve est de l’élever dignement et de terminer ma mission de mère, répondit la femme qui attendait le montant de la prestation.
Selon les proches du défunt, l’artiste aurait offert le jour de la circoncision, une prestation gratuite, il aurait même payé de sa poche le prix de la salle et offert un mouton pour aider cette mère sans ressources et la combler de bonheur… Oui, oui…Ah ! c’est bien lui !..Quel être exceptionnel ! Quel être insaisissable !
—
On dit que le peuple ne se trompe jamais, c’est pourquoi les Algérois étaient si nombreux à suivre son cercueil. Pour dire merci à un grand Monsieur.
Zahi et la musique andalouse
Ezzahi était également un adepte de la musique andalouse et de la musique classique. Il accédait à l’art universel en se trempant dans les symphonies de Mozart et de Beethoven. La chanson française et la musique classique furent les premiers sons qui pénétrèrent les sens d’Ezzahi, enfant ; ses inspirations plus tard, provoquèrent le déclic.
Le jeune Amar qui n’était pas encore connu, raffolait de la musique hindoue. Son ami inséparable Ait Aoudia affirme qu’ils allaient souvent voir des films hindou au cinéma l’Odéon au début des années soixante. Le film « The Indian mother » l’a bouleversé particulièrement. La musique était incroyablement belle et l’histoire d’une tristesse qui vous glace le cœur durant des semaines.
C’est en écoutant Boudjemaa El Ankis qu’il vint au chaâbi.
Un jour, à la sortie du cinéma, Ezzahi dit à son ami : « tu sais, la musique n’a pas de nationalité, elle est universelle. C’est bien une communication entre l’humanité entière. Tu verras par exemple une musique allemande écoutée avec émotion et appréciée au cœur de l’Afrique ; pourtant les Africains ne comprennent pas un mot de l’allemand. La musique les transporte, les envoûte. C’est ce que nous devons faire avec le « châabi ». C’est cela le lien de l’humanité ».
Et le « châabi » ? « Le « châabi » non. Au départ, il était loin d’être attiré par le « châabi », il faut le reconnaitre. Il était dans un autre univers », dira Aoudia, son compagnon de route.
Un jour, son ami Ait Aoudia lui en parle. Amar répondit que le « châabi » n’avait pas évolué depuis des siècles. « C’est toujours le même air, les mêmes paroles ; il n’y a pas d’évolution malgré le passage de plusieurs générations tandis que les autres genres évoluent…». Pour lui, c’était un genre multiséculaire qui restait sur un même rythme et là résidait la faiblesse de ce genre musical, selon lui.
« Le lendemain il m’a appelé alors que j’étais pressé, raconte Aoudia. Il a insisté pour me parler une minute !
À propos du « châabi » dont on parlait hier, je viens d’entendre quelqu’un qui chante vraiment bien, qui apporte quelque chose avec sa musique, celui-là, il me plait ». Il parlait de Boudjemaa El Ankiss qui allait devenir quelque temps après, son idole. C’est le cheikh Boudjemaa El Ankiss qui a inspiré Ezzahi dans le genre « châabi », qui l’a attiré en lui servant de modèle.
Zahi et l’écoute populaire
« Si aujourd’hui, sur quasiment tous les smartphones, on trouve des photos d’Ezzahi, c’est parce qu’il avait une méthode spéciale. Il parlait l’algérien et transmettait le message en algérien. Comme le président Boudiaf, Ezzahi utilisait le dialecte apprécié par les masses populaires. Tout le monde écoutait et comprenait Ezzahi; les puristes et les profanes hommes, femmes, jeunes et moins jeunes. Il était tout simplement parmi les meilleurs car tu comprenais tout ce qu’il disait. Autant les intellectuels, les savants, les analphabètes et les autres » a indiqué à ce propos Yazid, commerçant à la rue Bouzrina à Alger.
Son ouverture d’esprit, sa bonté faisaient de lui un être d’exception, de même que sa préoccupation du sort des pauvres. Il avait ce mépris de tout ce qui pouvait être monnayable, exploitable. C’était une âme pure. Comment s’est forgée cette forte personnalité chez cet homme, orphelin dès son jeune âge et assailli par l’adversité ?
Amar Ezzahi, une légende de renouveau de la chanson chaâbie, Alger-2025, Editions El Qobia, prix public : 1100 DA