
Jacques Roumain (1907-1944), fondateur du Parti communiste haïtien
Propos recueillis par Luis Martínez Andrade, titulaire d’un doctorat en sociologie de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Discussion avec le philosophe antillais Yves Dorestal, ancien doyen de la faculté d’ethnologie, professeur à l’Université d’État d’Haïti, sur le marxisme haïtien, de la place d’Haïti dans l’histoire révolutionnaire de la région et de l’héritage de Jacques Roumain (1907-1944), le « Mariátegui haïtien » romancier et penseur original, comparé à José Carlos Mariátegui pour sa fusion unique du marxisme, de l’indigénisme et de la négritude. Exilé de la dictature des Duvalier , il réfléchit aux incompréhensions entre Haïti, les Caraïbes et le reste de la région.
- Vous montrez le lien que Roumain conserve avec la pensée de Hegel. Vous soutenez même que Roumain se présente comme un philosophe qui fait de la méthode dialectique la base de sa philosophie scientifique. Quelles seraient les raisons pour lesquelles, même dans les ouvrages qui cherchent à se départir de l’eurocentrisme en philosophie, on omet l’importance de Jacques Roumain ?
Les philosophes que vous mentionnez vivent en Amérique latine. Les Latino-Américains sont généralement considérés comme ceux qui vivent en Amérique du Sud, et l’espace des Caraïbes est oublié : Cuba, Haïti, la République dominicaine, les territoires français d’outre-mer, les anciennes colonies britanniques, etc. Il y a aussi le problème de la langue. En Amérique latine, la plupart des gens parlent espagnol.
Roumain a étudié en France, à l’Institut d’ethnologie de Paris, et bien qu’il ait publié des écrits en anglais, la plupart de ses textes ont été rédigés en français. Il existe une tendance générale à exclure les Caraïbes anglophones et francophones de l’idée d’Amérique latine.
Même avant la révolution cubaine de 1959, il existait des relations étroites entre les penseurs haïtiens et cubains. Jacques Roumain était un ami de Nicolás Guillén (1902-1989). Des intellectuels cubains, Alejo Carpentier (1904-1980), sont restés en Haïti. Fernando Martínez Heredia (1939-2017) parlait français et a même donné une série de conférences à l’université.
Lorsqu’on parle de Roumain, on évoque l’un de ses textes les plus traduits Gouverneurs de la Rosée. Cependant, peu de gens connaissent son travail anthropologique. De nombreux textes de Roumain convergent avec les approches de penseurs actuels, par exemple en Bolivie. Depuis la victoire d’Evo Morales, on constate qu’une frange du marxisme s’intéresse aux questions indigènes, questions d’une grande importance pour les Latino-Américains que Roumain a abordées
Dans le texte Contribution à l’étude de l’ethnobotanique précolombienne des Grandes Antilles, Roumain a étudié le rôle des peuples autochtones. Pour sa part, Jacques Stephan Alexis, un marxiste haïtien, a soutenu que la culture en Haïti était composée de 3 éléments: l’indigène, l’européen et l’africain. Par conséquent, la culture en Haïti partage des aspects communs avec des pays d’Amérique du Sud ainsi que dans l’espace des Caraïbes. Il ne faut pas oublier qu’Haïti a été le 1° pays à obtenir son indépendance et qu’il a, en outre, aidé l’Amérique latine dans sa lutte pour l’indépendance. Simon Bolivar (1783-1830) a reçu le soutien d’Haïti.
- Plus précisément, vous indiquez 3 caractéristiques de l’originalité du marxisme de Roumain:
- a) sa relation avec les sciences sociales,
- b) son rapport avec la thématique de la religiosité (en particulier avec le vaudou et le catholicisme populaire)
- c) ses contacts avec l’art.
- Par ailleurs, on peut aussi percevoir une sensibilité écologique, dans Gouverneurs de la rosée. Face à la catastrophe environnementale ou à la crise civilisationnelle, dans quelles mesures la pensée de Roumain peut-elle contribuer à élaborer un projet de civilisation éco-socialiste ou éco-communiste ?
Cette sensibilité ne se limite pas à lui seul Roumain. L’un de ses disciples, Jacques Stephen Alexis (1922-1961), a publié le roman Compère Général Soleil où l’on peut clairement observer l’aspect écologique. On y voit que la référence au soleil va au-delà d’une technique d’écriture car pour lui, comme pour le monde caribéen, c’est un élément fondamental et quotidien. EN Allemagne, des semaines peuvent s’écouler sans même un rayon de soleil. Parfois, quand le soleil sort, il fait froid. Dans les Caraïbes, lorsque le soleil pointe le bout de son nez, il est synonyme de chaleur. Jacques Stephen Alexis a aussi publié Les Arbres musiciens, traduit en espagnol par « Los árboles que cantan », où l’on peut percevoir la relation avec la nature.
La question écologique a été centrale dans le marxisme haïtien. Même dans mon cas, étant diplômé de l’université de Francfort, berceau de la théorie critique, l’une des idées fortes que j’ai assimilées, est qu’il ne suffit pas de dominer la nature mais qu’il faut « dominer la domination » de la nature. Lorsque la nature est dominée dans le système capitaliste, la nature est détruite. Le marxisme l’a très bien montré. La nature doit être respectée. Avant Marx, le philosophe Ludwig Feuerbach (1804-1872), disait que nous devons traiter la nature comme un ami, comme un amant. Nous devons entrer dans une autre relation avec la nature car la relation capitaliste la détruit. Il établit des relations d’exploitation impitoyable avec la nature.

- On peut aussi constater des similitudes entre Jacques Roumain et le marxiste péruvien José Carlos Mariátegui. Ils ont tous 2 été de fervents lecteurs de Friedrich Nietzsche, tous 2 ont reconnu l’importance de Rosa Luxemburg ( la conférence sur « La révolution allemande », donnée par Mariátegui en 1923), tous 2 ont eu recours à l’anthropologie et à la sociologie dans leurs recherches (les travaux de Hildebrando Castro Pozo et de César Ugarte ont été cruciaux pour Mariátegui et sa thèse du « communisme indigène »), ils furent des intellectuels organiques (Mariátegui a fondé le Parti socialiste péruvien en 1928 et Roumain le Parti communiste haïtien en 1934) et, surtout, ils ont tous les 2 abordé la question raciale depuis une perspective marxiste. Inutile, enfin, de rappeler qu’ils sont tous 2 morts très jeunes, Mariátegui à l’âge de 36 ans et Roumain à l’âge de 37 ans. Mais vous n’abordez pas la relation entre le marxisme de Roumain et l’indigénisme dans votre livre. À quoi est due cette absence ?
Comme vous le dites, Roumain est mort à l’âge de 37 ans, mais pas de mort naturelle. Les années qu’il a passées en prison ont été fatales à sa santé; il y a contracté la malaria qui a précipité sa mort. Dans mon livre, j’ai essayé de mettre en évidence plusieurs éléments. Le chef des partis communistes en Amérique latine, Jules Humbert-Droz (1891-1971), un pasteur suisse, raconte qu’il a demandé au dirigeant italo-argentin Vittorio Codovilla (1894-1970) si en Amérique latine il y avait un problème de race. Sa réponse a été : « non, en Amérique latine nous n’avons pas le problème de la race ». C’est symptomatique.
La migration européenne en Argentine a occulté la question raciale. On oublie qu’il y avait aussi une population afro-descendante. Pendant la Conquête, il y avait des soldats noirs dans les rangs de l’armée hispanique qui ont contribué à détruire la résistance indigène. Mais la population indigène des Caraïbes et d’Amérique du Sud a continué à se battre.
Le problème de la race a été présent dans la constitution des Amériques et Jacques Roumain en était conscient. En 1915, l’occupation américaine d’Haïti a commencé et le mouvement indigéniste émerge, mettant aussi l’accent sur les racines africaines de la population haïtienne, et Jacques Roumain est le résultat de l’alliance entre indigénisme et marxisme.
En outre, en 1956, le 1° congrès des écrivains et artistes noirs est organisé à Paris, auquel participent des intellectuels caribéens. La négritude était au centre des débats. Mais l’indigénisme avait déjà soulevé la question de la race, il était un antécédent de la négritude. De plus, cette question fait partie de l’histoire du marxisme latino-américain. En 1929, lors de la 1° conférence des partis communistes d’Amérique latine, l’une des principales questions était le problème de la race. Bien que José Carlos Mariátegui n’ait pas pu assister à la réunion de Buenos Aires, il a préparé un texte qui a été présenté par son ami Hugo Pesce où la question de la race est centrale.
La question noire est complexe, car elle n’est pas uniforme. Par exemple, la question des Noirs aux États-Unis n’est pas la même qu’en Haïti. Des chercheurs comme l’anthropologue brésilien Darcy Ribeiro (1922-1997) ou l’ethnologue cubain Fernando Ortiz (1881-1969) ont souligné le rôle de la présence noire dans la culture latino-américaine. Je n’ai pas évité la question indigène, j’ai voulu montrer qu’elle fait partie du marxisme latino-américain.

- Dans son autobiographie, Bonsoir tendresse (Odile Jacob, 2018), le poète marxiste René Depestre raconte que, pendant son séjour au château de Dobříš en décembre 1950, l’Amérique latine a fait irruption dans sa vie. Depestre ajoute que c’est grâce aux écrivains communistes Jorge Amado et Pablo Neruda qu’il a pris conscience de son identité latino-américaine. Comment vous, Yves Dorestal s’est-il découvert latino-américain ? Quelles ont été les événements historiques ou existentiels qui vous ont influencé et qui ont fait que vous vous identifiez comme marxiste et comme latino-américain ?
En ce qui concerne le marxisme, je dois préciser que j’ai fait mes études de 1° cycle à l’École normale supérieure d’Haïti où je suis actuellement professeur de philosophie. Dans les années 1960, lorsque j’étais étudiant, la figure de Jean-Paul Sartre (1905-1980) était déterminante. Il était marxiste et dans Critique de la raison dialectique, il soutient que le marxisme est « la philosophie insurpassable de notre temps ». Mes études et ma passion pour Sartre m’ont donc conduit au marxisme.
Après avoir terminé mon diplôme à Port-au-Prince, j’ai obtenu une bourse pour poursuivre mes études à l’université de Francfort. Cette université avait un lien avec le marxisme. De grands intellectuels comme Theodor Adorno ou Max Horkheimer ont fondé l’École de Francfort. J’ai eu la chance d’écrire ma thèse de doctorat sous la direction d’Alfred Schmidt. Tous ont été importants dans ma formation et m’ont protégé d’un marxisme superficiel.
Pour ma relation avec l’Amérique latine, après avoir terminé mes études doctorales, je ne pouvais pas retourner en Haïti, car c’était la dictature de François Duvalier (1907-1971), et j’ai donc décidé de me rendre en Amérique centrale. De 1975 à 1978, j’ai enseigné la philosophie au Honduras, jusqu’à ce que l’on m’accuse d’enseigner des idées qui allaient « contre la civilisation occidentale et chrétienne ». Puis les autorités m’ont donné 24 heures pour quitter le pays. Je suis allé au Salvador, puis au Guatemala …..De retour en Allemagne, j’ai entendu la nouvelle de la victoire de la révolution sandiniste et j’ai décidé de partir au Nicaragua. J’ai passé 2 ans à travailler au ministère de l’éducation nationale du Nicaragua. Ensuite, je me suis installé au Chili et j’ai enseigné à l’Université des arts et des sciences sociales (ARCIS). Pour moi, l’Amérique latine n’est donc pas un sujet abstrait
- Vous êtes l’un des principaux spécialistes de l’École de Francfort, en particulier de la pensée de Max Horkheimer, de Theodor W. Adorno. Dans les années 1990, un réseau d’intellectuels est apparu (Aníbal Quijano, Enrique Dussel, Walter Mignolo et María Lugones) qui ont analysé la relation entre la modernité et la colonialité du pouvoir. Ces chercheurs latino-américains partaient de la conquête de l’Amérique au XVIe siècle pour mettre en question la logique sacrificielle de la modernité/colonialité. Au-delà des « affinités électives » entre la Théorie critique et la pensée décoloniale (critique de la modernité, dénonciation des structures d’oppression, etc.), trouvez-vous pertinentes les thèses de cette « constellation de pensées » qui lie la modernité avec le phénomène de la colonialité ?
L’École de Francfort est diverse et il y avait des courants traitant de différents thèmes. Quand René Descartes (1596-1650) considère que l’homme doit être le maître et seigneur de l’univers ou le maître et seigneur de la nature, les philosophes de Francfort montrent qu’il s’agit d’une domination qui ne profite qu’à l’industrie, au capitalisme et à la société bourgeoise. Par conséquent, cette domination est inscrite dans le projet de rationalisation mais il ne s’agit pas d’un rationalisme complet.
C’est ce que Habermas a voulu montrer: la modernité du capitalisme est une modernité incomplète, puisque les êtres humains ne bénéficient pas de la domination de la nature. Ils deviennent eux-mêmes victimes de la domination capitaliste. Cette domination se manifeste également dans l’exploitation que le Nord global exerce sur le Sud global. Cette forme de rationalisme n’est pas le triomphe de la raison mais une autre forme de domination sur les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes. En ce sens, la critique de la modernité faite par le mouvement décolonial, bien qu’elle ait quelques affinités électives, va dans une direction différente.
- Haïti est l’un pays qui dispose d’une longue tradition de lutte anticoloniale, là où la négritude se mit debout pour la 1° fois (Aimé Césaire), je pense non seulement au processus de libération des troupes conduites par Toussaint Louverture ou à la rébellion agraire de Charlemagne Péralte et de Benoît Betraville, mais aussi à la résistance des communautés ecclésiales de base (ti kominote l’egliz), dans l’esprit de la théologie de la libération, et soutenues par le père Jean-Marie Vincent (assassiné en 1994). Des marxistes de l’envergure d’Antonio Gramsci, de José Carlos Mariátegui, de Jacques Roumain et d’Ernst Bloch ont traité de la potentialité révolutionnaire de la religion. Quel est le rôle de la religiosité populaire dans les mouvements de contestation qui ébranlent actuellement le sol haïtien ?
Il s’agit d’une question importante. Nous pouvons identifier une convergence entre la manière dont José Carlos Mariátegui et les marxistes haïtiens ont abordé la question de la religion et une convergence entre Antonio Gramsci et Jacques Roumain.
Le Sarde parle d’un catholicisme populaire représenté dans la figure du paysan. Le catholicisme populaire ne doit pas être réduit à un catholicisme instrumentalisé pour aliéner et exploiter le peuple. En ce sens, il n’est pas fortuit qu’en Haïti il y ait eu une alliance entre les marxistes, les membres du clergé et les communautés ecclésiales de base (CEB). Pour de nombreux croyants, être catholique signifie prendre part aux enjeux sur le terrain. La lutte ne vise pas seulement à changer les conditions de la paysannerie mais aussi à transformer la société dans son ensemble. Les communautés ecclésiales de base ont joué un rôle très important dans la lutte contre la dictature de Duvalier.
Aujourd’hui, une fois de plus, le peuple haïtien est engagé dans la lutte pour le respect des droits qu’il a conquis. La théologie de la libération a été fondamentale dans les luttes des peuples d’Amérique latine. Vivant au Nicaragua, j’ai été témoin du travail de prêtres comme Fernando et Ernesto Cardenal. Nous ne pouvons pas non plus ignorer la contribution des frères Boff (Léonard et Clodovis), du père Gustavo Gutiérrez et du père François Houtart dans les luttes de nos peuples.
Il est clair que l’Église en Haïti est divisée, car une partie a décidé de prendre le parti des oppresseurs tandis qu’une autre partie préfère être du côté des opprimés. Par conséquent, je suis convaincu de la nécessité d’une alliance entre les marxistes, les croyants et les membres de l’église populaire dans la lutte pour la libération de nos peuples. Bien sûr, nous ne serons jamais d’accord sur les questions célestes, mais nous pouvons nous organiser et chercher une solution pour ce qui doit être fait sur terre.
Source: Contretemps
Profil de José Carlos Mariátegui (1894 – 1930) Lima au Pérou
Mariátegui est issu d’ un milieu modeste et se blesse gravement à la jambe très jeune. Les conséquences ont des effets à long terme sur sa santé déjà fragile.
Il est considéré comme l’un des marxistes latino-américains les plus influents du XXe siècle grâce à son œuvre, Sept essais d’interprétation de la réalité péruvienne, rédigée en 1928, qui demeure un livre phare en Amérique du Sud. On raconte que le médecin péruvien, hôte d’Ernesto Guevara lui en prête un exemplaire. Donc, « el Che ») se serait initié à la théorie marxiste grâce à lui.
Voyage en Europe
À l’âge de 14 ans, il commence à travailler comme coursier pour le journal La Prensa, où il devient chroniqueur. En 1916, il quitte son 1° employeur pour le quotidien El Tiempo, dont les tendances politiques sont plus à gauche. Son radicalisme met le journal en porte-à-faux avec le gouvernement de Leguía, et on raconte que José Carlos Mariátegui se vit donner le choix de partir pour l’Europe, ou d’aller en prison.
Rumeur fondée ou non, Mariátegui se rend en Europe en 1920, et voyage 2 ans à travers la France (où il rencontre Henri Barbusse), l’Allemagne, l’Autriche, où il épouse Ana Chiappe, la mère de ses enfants.
Il se trouve en Italie en 1920 pendant l’occupation des usines de Turin, et en 1921, il est présent au Congrès de Livourne du Parti socialiste italien, où se produit la scission historique qui conduit à la formation du Parti communiste. Lorsqu’il quitte le pays, en 1922, Mussolini est à la conquête du pouvoir. Dans les écrits de cette période, Mariátegui constate que le fascisme est une réponse à une crise sociale profonde, et qu’il s’appuie sur la bourgeoisie et un important culte de la violence. Selon son analyse, le fascisme est le prix que paye une société en crise pour les défaillances de la gauche.
Retour au Pérou et l’indigénisme
De retour au Pérou en 1923, il rédige des articles sur la situation en Europe et étudie celle du Pérou sous l’angle du marxisme. Il entre en contact avec Víctor Raúl Haya de la Torre, dirigeant de l’Alliance populaire révolutionnaire américaine, dont il partage les idées indigénistes, mais qui doit s’exiler à Mexico, laissant Mariátegui à la tête du magazine Claridad. Le 5° numéro est dédié à Lénine en 1924. (Il doit subir une amputation de sa jambe blessée).
L’indigénisme représente une prise de conscience de la spécificité des peuples sudaméricains et de leur passé. Il prend la défense des peuples et de leur culture autochtone. Mais pour certains, la manière paternaliste continue d’exclure l’Indien du processus de décision politique. Tout dépend donc des auteurs, artistes, poètes, peintres.
Outre le Mexique, c’est au Pérou que l’indigénisme apparaît, en raison du débat à la recherche de l’identité latino-américaine par rapport à l’Europe, et à la diffusion d’idées socialisantes parmi les intellectuels. Ce débat les conduit à poser la question du statut des Amérindiens.
Les écrits de Manuel González Prada, considéré comme l’un des pères de l’indigénisme moderne, exercent une importante influence sur le mouvement de la réforme universitaire et sur l’Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA, parti politique nationaliste latino-américain et indigéniste). Pour José Carlos Mariátegui, socialisme et indigénisme sont indissociables au Pérou :
« Les masses (la classe des travailleurs) sont pour 4/5 indigènes. Notre socialisme ne sera pas péruvien, ni même socialiste, s’il ne se solidarise pas avec les revendications indigènes»

Les 7 essais d’interprétation
En 1926, il fonde le journal Amauta pour offrir un forum d’expression au socialisme, à l’art et à la culture du Pérou et de toute l’Amérique latine. Il est l’un des fondateurs du Parti socialiste péruvien (PSP) en 1928 dont il est le secrétaire général (qui devient en 1930 le Parti communiste péruvien). Il publie également les Sept essais d’interprétation de la réalité péruvienne, où il examine la situation économique et sociale du Pérou d’un point de vue marxiste. Cet ouvrage est considéré comme le 1° document d’analyse de la société latino-américaine. Commençant par l’histoire économique du pays, le livre se poursuit avec une présentation du « problème indien », que Mariátegui relie au « problème agraire ». Les autres chapitres sont dédiés à l’éducation, la religion, le régionalisme et la centralisation, ainsi que la littérature.
Dans le même ouvrage, Mariátegui reproche aux propriétaires terriens la situation économique du pays et les conditions de vie misérables des indigènes de la région. Il note que le Pérou a encore de nombreuses caractéristiques des sociétés féodales. Il défend l’idée que la transition vers le socialisme pourrait s’opérer sur les formes d’un collectivisme traditionnel comme le pratiquaient les Amérindiens.
Mariátegui propose ainsi une adaptation du marxisme aux pays anciennement colonisés d’Amérique latine, dans lesquels la compréhension de l’histoire en termes de luttes de classes doit faire droit à la spécificité de sociétés paysannes et indigènes. La colonisation ayant produit une société où les hiérarchies raciales entre Blancs, créoles, Indiens et Noirs déterminent les positions de classe, il donne à l’antiracisme une place centrale dans la lutte communiste sur le continent.
En outre, Mariátegui développe, sous l’influence de Georges Sorel, un intérêt assez singulier pour la « morale des producteurs », c’est-à-dire l’ensemble des représentations du monde qui meuvent les différents acteurs de la lutte de classes. Il rapproche par ce biais le marxisme de la psychologie sociale, en pointant l’importance de comprendre les catégories morales qui animent le prolétariat comme la bourgeoisie. En 1929, Mariátegui participe à la constitution de la Confédération Générale des Travailleurs du Pérou (CGTP).Il meurt à l’âge de 35 ans, en 1930, des complications liées à sa jambe.
Ernesto Che Guevara (1928-1967)
Il considérait la lutte armée et la révolution socialiste comme le seul moyen d’améliorer les conditions de vie des pauvres d’Amérique latine, exploités par les États-Unis, ainsi que par ce qui restait de l’état d’esprit colonial chez les classes dirigeantes et les latifundistas (« grands propriétaires terriens ») de ces pays, eux-mêmes complices de l’exploitation capitaliste et de l’impérialisme américain, dont ils tiraient profit pour maintenir leur domination de classe sur les masses populaires le plus souvent indigènes.
Ce qui revient à situer sa pensée et son analyse des conditions de vie des peuples d’Amérique latine, constatées lors de ses deux grands voyages de 1951 et 1953, dans une perspective clairement marxiste, teintée d’indigénisme de 2° génération (c’est-à-dire envisageant la question sociale amérindienne du point de vue indigène lui-même, dans la lignée de José Carlos Mariátegui et de José María Arguedas). Son point de vue suivait ceux de Karl Marx et Lénine, qu’il avait étudiés exhaustivement, mais il en différait un peu pour ce qui est de la méthode et de la chronologie révolutionnaire (de même que Lénine a adapté le marxisme aux conditions objectives de la révolution russe).
Ainsi, il a élaboré une conception ― à la fois théorique et pratique ― de la révolution, qu’il a résumée dans le terme de foquismo, qu’on peut traduire en français par « focalisme », néologisme dérivé de foco « foyer », conception qu’il a développée dans son ouvrage de La guerre de guérilla (1960). Ces focos permettent pour lui de réunir les « conditions subjectives » pour un soulèvement général de la population. Il pensait qu’il y avait un lien étroit entre la guérilla, les paysans et la réforme agraire. Cette théorie guévariste de la révolution consiste à allumer simultanément puis à fédérer plusieurs foyers de rébellion rurale pour créer, par l’insurrection, les conditions politiques d’une révolution, et cela avant même l’avènement d’un parti révolutionnaire de masse, pourtant nécessaire et préalable à la lutte armée contre l’oppression coloniale et capitaliste selon la pensée de Marx .
Che Guevara espérait que dans ce livre, — qu’il considérait comme une sorte de manuel méthodologique de la révolution par la guérilla —, tous les groupes armés insurgés marxistes du monde des années 1950 et 1960 trouveraient leur inspiration pour ouvrir « au moins un Vietnam dans chaque continent ». On sait en fait que ce livre a aussi été utilisé a contrario par la CIA et le département de la Défense des États-Unis pour former les dirigeants en place, les militaires et les groupes armés anticommunistes et contre-révolutionnaires de toute l’Amérique latine au sein de l’École militaire des Amériques, ce centre d’enseignement militaire et idéologique (réactionnaire) qu’ils avaient fondé au Panama. Guevara avait affirmé que La guerre de guérilla était donc surtout une méthode utile contre les gouvernements dictatoriaux, tout en recommandant « d’épuiser auparavant toutes les possibilités de lutte légale ».
C’est d’ailleurs cette dernière voie légale et non-violente d’accès au pouvoir du socialisme (non exclue par Guevara, mais risquée selon lui) que Salvador Allende a théorisée puis mise en œuvre au Chili avec l’Unité populaire en 1970, peu après la mort du Che donc, et qu’il appela « voie chilienne vers le socialisme », avec d’ambitieux projets tels que la nationalisation des secteurs clés de l’économie, la réforme agraire, ainsi que des réformes sociales et sociétales. Le coup d’État du 11 septembre 1973, mené par Augusto Pinochet et soutenu par les États-Unis, y a mis fin tragiquement.

Les communistes en Martinique et en Guadeloupe
Depuis sa fondation au congrès de Tours, les communistes de la Martinique et de la Guadeloupe étaient membres du Parti Communiste Français, constituant une fédération au même titre que les autres départements du pays. Comme le PCF, le groupe Jean Jaurès en se sépare de la Fédération socialiste de Joseph Lagrosillière qui avait signé un pacte électoral avec l’Usinier Fernand Clerc . Il fonde le journal Justice. Ils avaient 2 députés : le médecin Rosan Girard et l’avocate Gerty Archimède, 1° femme noire à l’Assemblée nationale (de 1945 à 1956). A leurs demandes, leur fédération respective sera transformée en PCMatiniquais et PCGuadeloupéen en 1957-58.
En 1934 a lieu l’assassinat d’André Aliker, rédacteur en chef, après qu’il eut révélé dans Justice, le scandale Aubéry-Lareinty. Il avait appris qu’Eugène Aubéry, l’un des békés les plus puissants de l’île, était au cœur d’un vaste scandale financier mêlant fraude fiscale et corruption de magistrat. Il dévoile l’affaire. Le gendre Aubéry se rend chez lui pour le corrompre ; mais il raconte cette tentative dans Justice. Le 3 novembre 1933, il est passé à tabac sur la place de la Savane, à Fort-de-France, alors qu’il sortait d’une représentation de cirque avec son épouse et ses 2 enfants.

A partir de 1945, les communistes vont devenir la 1° force politique de la Martinique. Léopold Bissol et Aimé Césaire sont élus députés à l’Assemblée nationale. Thélus Léro est sénateur en 1946. Aux élections cantonales, les communistes remportent 14 sièges sur 36 au Conseil général et Georges Gratiant en devient le 1° président du nouveau département. Aux élections municipales de 1945, ils remportent, Fort-de-France, le Lamentin, Basse-Pointe; en 1947, Saint-Esprit et en 1950 le Morne-Rouge; (en 1965 Macouba). .En 1957, le “nouveau” Parti communiste martiniquais (PCM) avec le député Léopold Bissol, tient sa force grâce à ses organisations de masse, l’Union des syndicats de Martinique, affiliée à la CGT , l’Union des jeunes communistes martiniquais et l’Union des femmes de la Martinique. En même temps, il mène un important travail parmi les ouvriers agricoles.
En 1956, Aimé Césaire forme le Parti progressiste martiniquais
Les PCG et PCM défendent une ligne autonomiste en 1960, autrement dit, les îles doivent devenir un territoire fédéré à la République Française. Les pouvoirs du territoire seraient exercés par une Assemblée Législative et par un Conseil de Gouvernement.
En 1971, le PCM accueille ses homologues des 3 autres départements au Morne-Rouge et dresse le bilan de la situation. La convention du Morne-Rouge qui en ressort, affirme la faillite de la départementalisation et pose la nécessité d’une autonomie politique pour les 4 territoires de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion, qui seraient amenés à devenir des États autonomes tout en continuant à bénéficier des aides financières de la France métropolitaine.

pour info, Christiane Taubira est autonomiste en Guyane. Sans appeler à rompre complètement les liens avec la France, il estime que l’intérêt de la Guadeloupe réside dans une plus grande marge de manœuvre dans la manière de conduire les politiques publiques locales. Il demande ainsi à sortir du cadre du droit commun français et européen.