
La traite négrière
Il s’agit de l’achat par des négociants français, à des colons-trafiquants européens en Afrique (et à leurs collaborateurs africains, avec contre-partie souvent en armes) de prisonniers de guerres dans le but de les réduire en esclavage. Ces commerçants se déplacent sur les navires des armuriers des ports français de l’Atlantique, qui vont charger les esclaves et les transporter aux Antilles pour qu’ils les vendent aux planteurs de cannes à sucre. Puis ils rapportent la production en France. Négociants, propriétaires de navires et colons propriétaires de plantations font d’énormes profits. Pour la France, ce trafic commence véritablement en 1674
Avant 1674, les esclaves africains travaillant dans les colonies antillaises était peu nombreux ; à la Guadeloupe, en 1671, 47 % des maîtres n’en avaient qu’un seul, exploitant durement les engagés blancs. En 1674, les Français et les Anglais commencent à disputer aux Hollandais le monopole du transport des esclaves de la côte africaine vers les Amériques, où 2 grandes îles, la Jamaïque et Saint-Domingue et 3 petites, la Martinique, la Guadeloupe et la Barbade deviennent la principale zone d’importation des esclaves. Pour cela, le futur roi d’Angleterre Jacques Stuart créee en 1672 la Compagnie royale d’Afrique tandis que son cousin Louis XIV fonde la Compagnie du Sénégal et dissout la Compagnie des Indes de Colbert.
Leur arrivée sur les côtes d’Afrique fait monter le prix des esclaves achetés aux traficants européens dans les tribus. Par contre, l’arrivée en masse de nouveaux esclaves aux Antilles fait baisser leur prix d’achat pour les planteurs de canne à sucre, tandis que leur production progresse très vite, ce qui a pour effet d’en abaisser le prix sur le marché mondial, et de favoriser sa consommation.
Pour laisser la voie libre aux planteurs de sucre, les 2 rois évincent les « petits » planteurs de tabac de la Barbade et de Saint-Domingue, en les soupçonnant de collusion avec les flibustiers. Pour la France, la « ferme du tabac » est un monopole créé en 1674 mais les consommateurs préfèrent s’approvisionner en Virginie et au Maryland, où Jacques II octroie à des aristocrates catholiques des terres pour créer d’immenses plantations qui fonctionnent à base d’esclaves africains.
17 ports français participèrent à 3317 expéditions négrières. Nantes fut le principal. 1427 expéditions y furent armées, soit 42 % de la traite française. D’autres : La Rochelle , Le Havre, Bordeaux, Saint-Malo, Lorient, Honfleur, Rochefort , Vannes , Bayonne , Brest suivent.
La traite négrière représentait 1/3 des armements de La Rochelle, et si l’on ajoute le commerce direct avec Saint-Domingue, le commerce transatlantique représentait 80% de son activité. 130 000 captifs ont été chargés en Afrique par La Rochelle à destination de Saint-Domingue. Pour 1745–1747, il y eut 34 expéditions négrières par an, pour 1763–1778, 51 par an.et pour1783–1792, 101 par an.
Au XVIII° siècle, la demande de produits exotiques en France connaît une croissance très forte car leur prix a baissé en raison de la forte croissance de l’offre : coton, café et sucre de Saint-Domingue, dont la production fut intensifiée par 550 000 esclaves. La création de plantations s’étend à de nouvelles parties de la Caraïbe

Il faut distinguer l’abolition de la traite de celle de l’esclavage sachant que les 2 dates sont théoriques et n’ont rien à voir avec les tenants des profits qu’elles ont permis d’accumuler.
On ne peut pas aborder la Guadeloupe et la Martinique sans faire le détours par Haiti
Christophe Colomb la nomme Hispaniola, alors que les 100 000 Arawaks qui la peuplaient en 1500, l’appellent Ayiti. Les Espagnols exploitent son or. Les habitants refusant de travailler dans les mines, sont réduits en esclavage ou massacrés ; les rares personnes qui réussissent à s’échapper trouvent refuge dans les montagnes et sont fortement paupérisées, exterminées en quelques décennies.Les Espagnols font donc venir d’Afrique des esclaves noirs déportés. En 1517, Charles Quint autorise la traite des esclaves, qu’il interdira ensuite sans succès, comme le pape Paul III.
La partie ouest d’Hispaniola, dépourvue de minerai, est négligée par les colons espagnols, qui la laissent vide. Des boucaniers français s’y installent. Au XVIIe siècle, Richelieu l’institutionnalise leur présence. L’Île de la Tortue, au nord-ouest d’Hispaniola, devient le siège de la flibuste. Ces aventuriers gagnent la « Grande terre » : en 1654, ils créent la 1° ville de la future colonie de Saint-Domingue . Le gouverneur de la colonie, Bertrand d’Ogeron de La Bouëre, en 1665.organise la colonisation par la venue d’engagés qui deviendront propriétaires de terres et celle de « filles à marier ». Il favorise la plantation de tabac. Ainsi, il sédentarise une population de boucaniers et de flibustiers peu portée à accepter l’autorité royale. Mais en 1670–1690 avec la crise du tabac, les rangs de la flibuste grossissent, les pillages se multiplient et, Colbert ramène l’ordre. Il transfère le gouvernement à Port-de-Paix. Il encourage la plantations d’indigo et de canne à sucre. Le 1° moulin à sucre est créé en 1685, il réglemente l’esclavage en préparant le Code noir. Avant ce code, l’esclavage était théoriquement interdit, mais largement pratiqué.
En 1697, avec Philippe V, petit-fils de Louis XIV, les Espagnols renoncent à contester la souveraineté de la France sur le 1/3 de l’île. La France officialise son nom, Saint-Domingue . 30 000 colons français viennent pour développer des plantations ou y travailler de 1713 à 1787, en plus de ceux qui étaient déjà là. Les guerres éclatent en Europe avec leurs prolongements aux Caraïbes. Des colons quittent Saint-Domingue pour la Louisiane. Mais en 1790, Saint-Domingue est la colonie française la plus riche grâce aux profits immenses générés par le travail des esclaves. Des dizaines de milliers d’Africains ont été déportés; dans les années 1780, au rythme de 36 000/an pour remplacer les morts à la tâche; leur sort est juridiquement encadré par le Code noir, mais, dans les faits, ils subissent des traitements pires qu’imaginables . Ils sont 400 000, 10 fois + que les Blancs.
Juste avant la Révolution, une Société des amis des Noirs est créée en France en 1788. Elle se donne pour objectif d’obtenir l’abolition de l’esclavage avec des députés comme l’abbé Grégoire. S’ensuivent des révoltes d’esclaves qui se terminent en 1793 avec l’abolition de l’esclavage par le commissaire civil Léger-Félicité Sonthonax, décision avalisée et généralisée à l’ensemble des colonies françaises par la Convention, 6 mois plus tard (le 4 février 1794). Les non-esclaves ayant fui la colonie (Européens ou gens de couleur), les plantations sont collectivisées par le gouvernement provisoire sous le contrôle des cultivateurs.
Toussaint Louverture, nommé gouverneur général à vie de Saint-Domingue par la France, après avoir rétabli la paix, chasse les Espagnols et les Anglais qui menaçaient la colonie. La promulgation en 1801 d’une constitution autonomiste développe la cohésion des citoyens de l’île. L’abolition de l’esclavage ayant entraîné le ralliement à l’Angleterre des colonies françaises, Napoléon Bonaparte, sous l’influence des colons Créoles et des négriers, rétablit l’esclavage. Pour cela, il envoie une expédition de 30 000 hommes avec pour mission de démettre Louverture . Mais, après la déportation de Toussaint Louverture, arrêté en juin 1802, les troupes françaises sont définitivement battues par Jean-Jacques Dessalines (esclave affranchi, officier français) qui avait rejoint l’insurrection, en novembre 1803. Au terme d’une double bataille, la Déclaration d’indépendance du pays est proclamée le 1er janvier 1804. Le nom d’Haïti (celui des Indiens Caraïbes) est donné au territoire. Haïti est le 1° pays au monde issu d’une révolte d’esclaves. En 1825, Charles X reconnait l’indépendance du pays contre une indemnité de 90 millionsde francs-or. Les efforts d’Haïti pour payer entraveront significativement son développement.
C’est Haiti qui a payé la Tour Eiffel!

L’abolition? Une mascarade
En 1792, l’Assemblée Législative s’engage dans l’abolition de la traite en abrogeant les primes accordées aux armateurs négriers depuis 1784, confirmée en juillet 1793.par la Convention Nationale. Officiellement, le 26 avril 1792, Le Saint-Jacques est le dernier navire négrier à quitter le port de Rochefort. Le 4 février 1794, la France abolit la traite et l’esclavage dans ses colonies, mais les grands planteurs esclavagistes tournent la loi par le traité de Whitehall, signé avec les Anglais à la Martinique qui devient britanique..puis en 1802 Napoléon rétablit l’esclavage. En 1817, Louis XVIII signe une ordonnance interdisant la traite en France, mais 4 navires rochelais figurent au nombre des 674 expéditions illégales menées jusqu’en 1830.
En 1807, les Britanniques interdisent la traite, les États-Unis aussi. La France, suit sous la pression et lors du congrès de Vienne 1815. Mais partout, les profiteurs continuent dans l’illégalité, avec l’assentiment tacite des autorités. Sur les 729 expéditions françaises de traite avérées ou soupçonnées, entre 1814 et 1850, on en dénombre 39 pour le port de Bordeaux, 6 pour Bayonne et 4 pour La Rochelle.
La décision française d’interdire la traite se confronte aux besoins en esclaves des plantations coloniales restantes, malgré la perte de Saint-Domingue. On note une « volontaire cécité face aux stratagèmes déployés par les armateurs négriers pour éviter la confiscation de leur navire », la répression ne commençant à s’affirmer qu’après 1822, avec la nomination du marquis de Clermont-Tonnerre au ministère de la Marine. En 1825, la Cour de cassation ordonne la poursuite des négriers, puis la loi de 1827 déclare criminels ceux qui pratiquent le commerce des esclaves. Evidemment, l’abolition de l’esclavage, en 1833 en Grande-Bretagne et en 1848 en France, contribue à faire baisser la traite, mais elle ne devient marginale qu’après 1867.
Durant le XIXe siècle, l’activité négrière occidentale change de nature. Après avoir été monopolisée, puis libéralisée par les États, l’activité négrière était devenue illégale. Le marché existe pourtant toujours (au Brésil, jusqu’en 1888, à Cuba) ; il fallut attendre la convention de Bruxelles (1890), pour que les navires militaires obtiennent le droit d’arraisonner les navires de trafiquants d’esclaves, et que même les États où l’esclavage demeurait légal s’engagent, à mettre un terme à la traite.
Les profits au XVIIIe siècle
A Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre et Saint-Malo, 550 familles se lancent dans l’ armement de 2 800 navires pour l’Afrique. ( gains moyens pour les Nantais : entre 4 et 10 %) En 1783, l’expédition négrière nantaise de la Jeune-Aimée rapporta un profit de 135 % . Mais la très grande irrégularité des profits fait que 22 armuriers seulement (soit 4 %) réaliseront ¼ du trafic. L’émergence d’une élite a répondu aux risques du trafic négrier, Ce fut le cas de la Compagnie royale d’Afrique qui engrangea un profit moyen de 38 % entre 1680 et 1687 pour 99 traversées
Les membres de cette aristocratie négrière (des bourgeois souvent anoblis) occupent le haut du pavé dans les grands ports européens, ils fournissent en notables le négoce et les institutions. Présents dans les sociétés ou cercles culturels, ils affichent leur réussite à travers les façades de leurs hôtels particuliers, leurs propriétés rurales et leur style de vie. Leur aisance, leur influence, leur prestige et leur capacité à mobiliser et diversifier leurs « capitaux » peuvent leur ouvrir les portes du pouvoir. La plupart des maires de la Restauration (1815-1830) ont été des négriers illégaux notoires.
Les profits au XIXe siècle dépassent ceux du siècle précédent.
Le Cultivateur, négrier nantais, rapporta un profit de 83 %. Les armateurs nantais, élites dominantes jusqu’en 1840, investirent dans la banque et les assurances, contribuèrent à l’essor des méthodes de l’agriculture nouvelle, investirent dans la conserverie, la construction navale et la métallurgie. Il y a eu des croissances, parfois spectaculaires, dans certains secteurs, mais Nantes n’a pas connu de développement économique car ils étaient des négociants et non des industriels. Par contre, l’extension du système de la grande plantation, l’essor des productions coloniales et l’accroissement du commerce international de ces produits est spéctaculaire. Ils ont été nombreux à y faire fortune.
En France, la croissance réelle entre 1716–1736 et 1748. s’explique par la flambée des prix des produits coloniaux alors que les prix des autres produits reculent. Ensuite, une grande partie des produits coloniaux était réexportée sans avoir été transformée (de 17,7 % en 1716, elle était de 33 % en 1787). Ce commerce profitait aux négociants, aux différents intermédiaires et à l’État.
La « valeur ajoutée » de cette activité servile était finalement faible : à part la production de sucre (facilement remplaçable, par la production de miel) et de tabac (pas vraiment utile aux gens de l’époque), cette activité ne générait directement que peu de bénéfices (par rapport aux autres activités en Europe), surtout si l’on considère les investissements coûteux pour y arriver : construction de navires, embauche d’équipage, fabrication de viande ou poisson salés en quantité, etc..

Constitution des grandes fortunes
- En 1647, la Barbade compte 4000 esclaves,( X par 8 depuis 1642). La spéculation sur le sucre explose. Le colonel Hilliard, qui avait payé 400 livres sa plantation en 1642 en revent en 1647 la moitié à Thomas Modyford, futur gouverneur,
- En 1665, 2 planteurs de sucre de la Barbade, partent avec des centaines d’esclaves en Caroline, deviennent gouverneurs, et y fondent de grandes plantations de tabac. Thomas Modyford, planteur et négociant, émigre avec 700 de ses esclaves à la Jamaïque, devient gouverneur et implante l’économie sucrière.
- En 1672, la nouvelle Compagnie royale d’Afrique française reçoit le monopole de l’importation d’esclaves et construit les forts d’embarquement sur la côte africaine.
En 1676, le chef pirate Henry Morgan, devient gouverneur de la Jamaïque où 8000 esclaves arrivent chaque année . Il est l’un de ses plus riches planteurs à partir de 1680
- En 1677, l’amiral Du Casse, directeur de la Compagnie du Sénégal française, obtint le privilège de vendre aux Antilles pendant 8 ans, 2000 esclaves/an et devient en 1691 gouverneur-planteur de Saint-Domingue. Son meilleur client, le capitaine Charles François d’Angennes, (marquis de Maintenon) dirige la flotte corsaire contre les Hollandais, et devient le plus riche planteur de la Martinique, qui ne comptait que 2600 esclaves en 1674.
- En 1701, Antoine Crozat prend la direction de la Compagnie de Guinée, à qui Louis XIV impose d’amener « 3000 nègres/an aux îles ». Acquéreur de la Louisiane en 1712, il y importe des esclaves et se heurte aux amérindiens.
- Dès 1735, Antoine Walsh, leader de la communauté des réfugiés jacobites irlandais à Nantes en est le 1° négociant. Il fait échec aux projets de taxation du sucre.
- De 1748 à 1751, grâce aux capitaux parisiens levés par société Grou et Michel et la société d’Angola, les familles Grou, Michel et Walsh, à la fois alliées et rivales, contrôlent 48 % de la traite nantaise.
- En 1771 et 1775, Thomas Sutton de Clonard, actionnaire et officier de la Compagnie des Indes orientales, associé du banquier Isaac Panchaud, achète une immense plantation sucrière à Saint-Domingue pour 7,8 millions de livres.
Les Békés de la Martinique
Malgré leurs noms de nobles, les Békés ne le sont pas. Ils sont issus d’ unions des 1° colons (ou flibustiers) avec des Afro-descendantes, de l’immigration de juifs hollandais, de la déportation de prostituées. Les engagés ont bénéficiés d’ une politique d’anoblissement pratiquée par Louis XIV pour encourager la possession d’au moins 100 esclaves sur son “habitation”.
Aujourd’hui, l’ensemble du groupe ne représentant que 1 % de la population soit 3000 personne, contrôle en Martinique : 30 % des entreprises de + de 20 salariés, 52% des terres agricoles, 40% de la grande distribution, 50% du commerce d’importation alimentaire, 90% de l’industrie agro-alimentaire; en Guadeloupe:16 % des entreprises de + de 10 salariés.
En Guadeloupe, on parle plutôt de « Blancs-péyi » (Blancs-pays), qui désigne des individus blancs, propriétaires, nés et élevés sur l’île mais dont la famille n’est pas forcément arrivée avec les 1° colons. En effet, un grand nombre des colons grands propriétaires terriens de Guadeloupe a fui ou a été condamné à mort lors de la Révolution française et à la suite de la 1° abolition de l’esclavage en 1794 car ils se sont battus contre. Les rescapés (petits planteurs, marins, commerçants, militaires…) appelés « Blancs Pays », les “békés” actuels de Guadeloupe sont aussi originaires de Martinique, anglaise à l’époque, où ils ont toujours des liens familiaux ou des intérêts économiques. Par la suite, progressivement, quelques békés de la Martinique s’installèrent en Guadeloupe tout en conservant étroitement leurs liens avec leurs familles d’origine. En Guadeloupe, ils constituent 1% de la population, aux Antilles ils détiennent 40% de l’économie.