L’acculturation

L’acculturation à un modèle socioculturel dominant, implique la déculturation de modèles dominés. La politique coloniale française étant assimilationniste; dès l’origine de la constitution “l’île Bourbon”, le modèle dominant est celui de la société française « expatriée » dans une de ses colonies. Ses représentants, « la Réunion c’est la France », sont les colons blancs, officiellement les 1° arrivés. À 13 000 km de leur terre d’origine, ils vont reconstruire la France qui correspond à leur intérêt, dans l’océan Indien. C’est donc au nom de sa « mission civilisatrice » que s’est opérée la déportation d’esclaves dans l’île pour valoriser les économies locales. Les 1° arrivés occupèrent assez vite les bonnes terres sur le littoral; les suivants durent se réfugier dans les 3 cirques de l’île où ils ont constitué une population rurale paupérisée, à l’écart de l’économie de plantation, mais « libre ». On a donc très tôt des déportées, privées de leurs repères culturels avec la désocialisation et de déshumanisation de l’esclavage.

L’acculturation au modèle culturel français a commencé par la religion catholique, la tenue vestimentaire, la langue des colons (avec le compromis du créole), les noms et prénoms, bref, tous les domaines relevant de la sphère publique. L’administration politique et l’Église, puis l’école, en ont véhiculé et représenté les principales significations et les modes d’être; l’interdiction puis le long discrédit des pratiques hindoues en est un exemple. Les Indiens sous contrat durent aller à l’église catholique, porter des prénoms chrétiens, se faire baptiser, se marier et recevoir des funérailles chrétiennes. Les pressions à la christianisation se portèrent sur toutes les composantes ethniques, au point que, pour éviter d’être qualifiés de « païens », les “acculturés” ont développé une meilleure connaissance des prières chrétiennes que la population en métropole!

L’école obligatoire contribua aussi à diffuser le mode de penser français « nos ancêtres les Gaulois » et à socialiser les enfants réunionnais, de toute origine culturelle, aux normes et valeurs de la culture française. L’attribution de la citoyenneté participe d’une pression acculturatrice en impliquant les « citoyens français de la Réunion » dans les affaires politiques locales à travers les structures et les règles du jeu françaises. Utilisés par les propriétaires fonciers “gros blancs”, du côté du pouvoir, les institutions métropolitaines produisirent des interdictions et de la répression. Cette société globale, symboles d’une hégémonie culturelle venant de l’extérieur de l’île, a dû être gérée et continuent de l’être par tous les membres de la société réunionnaise.

Avec l’acculturation s’est développée la dépendance vis-à-vis de la métropole, amplifiée par son isolement dans l’océan Indien. Dans son histoire coloniale, la France a fait jouer un rôle précis à la Réunion. Avatar de son échec à Madagascar, l’île a été une base de ravitaillement sur la route des Indes. Tandis que l’île Maurice ne pouvait constituer qu’une base maritime, la Réunion fut un pôle agricole important. L’axe métropole-Réunion a constitué le cordon ombilical jamais rompu avec :la « Mère trop pôle » (Cambefort, 2001]). Cette dépendance économique profonde, toujours plus forte, se traduit par les transferts de fonds pour les services publics, les allocations familiales, les assedic, le rmi, etc. La déculturation se poursuit avec les ghettos, les bidonvilles, les hlm et les politiques de relogement qui ne tiennent pas compte des liens sociaux déjà en place. Cette réalité structurale complique les revendications d’indépendance, ou de démarquage culturel avec la France métropolitaine ou encore d’« identité réunionnaise » d’ un « pays » en attente d’autonomie.

L’acculturation se poursuit avec des modèles projetés dans les publicités, les magazines, les programmes de télévision, la mode vestimentaire, les coupes de cheveux (lissés, décrêpés), les voitures de marque, comme autant de signes extérieurs de réussite économique, même si les interdits placés sur des spécificités culturelles locales ont disparu, La musique et la danse maloya, par exemple, interdite comme il y a encore 40 ans n’est plus considérée comme une activité subversive de l’ordre social, mais une décision rectorale fait passer le baccalauréat à la Réunion à la même heure qu’en métropole! Et jusqu’à l’institutionnalisation du tiercé dans l’île depuis plus de 10 ans!

Réinventions culturelles

Les résistances aux modèles métropolitains, qui deviennent l’objet de crispations identitaires pour l’intelligentsia fonctionnarisée entre autres, passent néanmoins par l’appropriation des institutions métropolitaines. Elles sont à l’œuvre pour réécrire, l’histoire de l’île, méconnue ou falsifiée. Revendiquer la différence (sans tomber dans l’exclusion) et la francité (sans perdre sa particularité) est un exercice difficile, entrepris par des associations de la loi de 1901. De façon significative, les nouvelles métaphores pour l’île sont : petit caillouîle-fleurîle arc-en-cielîle mosaïque..

Objet de polémique pendant la campagne des élections régionales de 2010, l’élection du nouveau président Didier Robert, proche de Sarkozi, face à Paul Vergès, signe l’arrêt de mort du projet. 

Si le temps où l’on pouvait avoir 3 mois de prison pour avoir reproduit un article de l’Humanité relatant les massacres d’Algériens à Paris après la manifestation du 17 octobre 1961, où les fonctionnaires contestataires étaient « relégués » en métropole est révolu, la situation socio-économique artificielle et non productive que connaît l’île renforce les cloisonnements historiques

Les 2 seules compagnies aériennes effectuant la liaison métropole-Réunion sont françaises (symbole du lien et de la dépendance de l’île avec les lois républicaines). La présence accrue d’originaires en couple, de la métropole en principe pour une période déterminée, ne réduit pas le déséquilibre de fond de l’île avec les surrémunérations des 37 000 fonctionnaires.