L’Égypte dix ans après par Rene Naba

 Ce papier est publié à l’occasion du dixième anniversaire de l’arrivée au pouvoir du Maréchal Abdel Fattah Al Sissi, coïncidant avec le 71ème anniversaire de la chute de la monarchie. Atteint d’éléphantiasis, sous la présidence d’Hosni Moubarak, fonctionnant selon le mode d’une pyramide renversée, marchant sur sa tête et réfléchissant comme un pied, l’Égypte, sous la mandature d’Abdel Fattah Al Sissi, est devenue un géant sans tête, un sujet passif des relations internationales entrecoupé d’une éphémère séquence de l’islamiste Mohamad Morsi, qui a vu son rêve de califat se fracasser sous le poids de la réalité. Retour sur cette séquence historique. 

4 juillet 2023 Photo by Murat Şahin

En trente ans de pouvoir, le président égyptien  Hosni Moubarak a fait l’objet de quatorze tentatives d’assassinat, soit en moyenne un attentat tous les trente mois. L’homme s’est imaginé dès lors comme invincible, doté d’une sorte de Baraka surnaturelle, une immunité renforcée par le chœur des flatteurs occidentaux. En réalité, il était tout simplement en train de jouer à la roulette russe avec sa vie, son destin et celui de son pays, l’Égypte, longtemps pays phare du Moyen Orient.

déboussolée, désorientée par l’aberration de ses dirigeants, l’Égypte post nassérienne a fait le douloureux apprentissage d’une servitude infiniment plus contraignante et méprisante que la servitude coloniale. Sous l’apparence de la souveraineté formelle, toutes les strates du pouvoir, et par répercussion, de l’ensemble de la société étaient, en fait, gangrenées. L’alliance contre nature avec l’ennemi officiel du Monde arabe la conduira, sous la contrainte, à procéder au démantèlement de tous les attributs de sa souveraineté et de sa puissance, ne lui épargnant ni les avanies, ni les infamies.

Que la contestation se soit produite Place Tahrir (haut lieu de la contestation anti coloniale), et Place Abdel Moneïm Riad (du nom du mythique commandant en chef égyptien, maître d’œuvre, sous Nasser, du plan de reconquête du Sinaï), donne la mesure du ressentiment populaire, de la persistance du sentiment nationaliste et de la détermination de ses contestataires.

Indifférent à la marche du monde, davantage préoccupé par la gestion de sa fortune personnelle (de l’ordre de quarante milliards) (1) soit l’équivalent du montant de la dette étrangère égyptienne, enfermé dans une logique de vassalité, Moubarak ne déviera jamais de sa trajectoire.

En quarante ans, pourtant, le Monde arabe a opéré un profond bouleversement: il passe de cent millions d’habitants en 1970 à plus de trois cent millions, en 2010 (dont quatre vingt quatre virgule cinq millions en Egypte, trente cinq virgule quatre millions en Algérie, trente deux virgule quatre millions au Maroc avec des taux de chômage record), plaçant ainsi les pays arabes en haut du classement mondial : l’Egypte au cent septième rang, le Maroc au cent neuvième, l’Algérie au cent dixième, la Jordanie au cent trente neuvième, la Tunisie au cent quarantième et le Yémen au cent quatre vingt cinquième rang.

Sous Moubarak, l’Égypte a marché sur sa tête et a réfléchi comme un pied, pyramide renversée de tant de reniements et de renoncements.

Misr Oum ad Dounia, l’Égypte, Mère du Monde, l’Égypte, dont l’histoire s’est longtemps confondue avec l’épopée, n’est plus que l’ombre d’elle-même, un pays méconnaissable qui a intériorisé sa défaite, voué au rôle peu glorieux de sous traitant de la diplomatie américaine sur le plan régional, de factotum des impératifs de sécurité d’Israël, le ventre mou du Monde arabe, son grand corps malade.

Placée au centre géographique du Monde arabe, à l’articulation de sa rive asiatique et de sa rive africaine, abritant la plus forte concentration industrielle dans une zone allant du sud de la Méditerranée aux confins de l’Inde, contrôlant de surcroît, de manière exclusive, les deux principaux axes de communication du Monde arabe, le Nil vers le continent africain, le Canal de Suez vers le Golfe pétrolier, l’Égypte a longtemps été le fer de lance du combat nationaliste arabe. Plaque tournante de la diplomatie arabe, elle a assumé sans relâche le rôle du grand frère protecteur, le régulateur de ses turbulences, le parrain de ses arrangements, comme ce fut le cas de l’accord libano palestinien du Caire, le 3 Novembre 1969, qui mit fin à la première guerre civile libano palestinienne, ou de l’accord jordano-palestinien, le 27 septembre 1970, dans la foulée du Septembre Noir jordanien.

Mais le plus grand pays arabe, longtemps cauchemar de l’Occident, s’est révélé sous Moubarak, un nain diplomatique, le pantin disloqué de la stratégie israélo américaine, curieuse mutation de ce pays en un demi siècle, de Nasser à Moubarak, illustration pathologique des dérives du Monde arabe, de la confusion mentale de ses dirigeants et de leur servilité à l’ordre occidental.

Le fer de lance du mouvement national arabe est désormais le voltigeur de pointe de menées israélo américaines au Moyen Orient; l’artisan de la première nationalisation victorieuse du tiers monde, la nationalisation du Canal de Suez (1956), le principal fournisseur énergétique d’Israël; le destructeur de la ligne Bar Lev (1973), la ligne de fortification israélienne dans le Sinaï, l’édificateur du mur d’enfermement des Palestiniens de Gaza.

Nasser est passé à la postérité pour avoir été l’homme du haut barrage d’Assouan, qu’il construira avec l’aide soviétique, bravant les foudres américaines pour nourrir son peuple. Moubarak sera l’homme du bas barrage, le vil barrage, qu’il édifiera par anticipation d’une requête israélo américaine visant à rendre hermétique le blocus de Gaza, détruite et affamée par les Israéliens.

Nasser, l’homme de la fermeture du Canal de Suez, en 1956, défiera le droit maritime international pour couper le ravitaillement énergétique de l’Occident coupable d’alignement pro israélien, Moubarak sera le ravitailleur énergétique d’Israël à des prix avantageux, dans une transaction apparue par sa coïncidence comme une prime à la destruction de l’enclave palestinienne de Gaza.

Nasser, le partenaire de la guerre d’indépendance de l’Algérie, assumera sans broncher les conséquences de son soutien à la révolution algérienne, une agression tripartite des puissances coloniales de l’époque (France, Grande Bretagne) et de leur poulain Israël, l’expédition punitive de Suez en novembre 1956. Moubarak revendiquera comme unique titre de gloire de son long règne, une piètre performance chauvine, le caillassage de footballeurs de l’équipe nationale d’Algérie (décembre 2009 – janvier 2010), son ancien partenaire du combat de libération national arabe.

Nasser a scandé le redressement arabe avec son légendaire cri de ralliement « ارفع رأسك يا أخي» Irfah Ra’sak Ya Akhi- Relève ta tête mon frère», Moubarak, lugubre, sera l’homme de la reptilité face aux oukases israéliens et américains. Quand le charisme de Nasser enflammait les foules de la planète bariolée au point de faire peser une menace d’implosion du Commonwealth britannique, dans la foulée de l’expédition de Suez, Moubarak détournait et déroutait les foules par son défaitisme et sa vassalité revendiquée, telle «la vache qui rit», le sobriquet emprunté à une marque de fromage pour le désigner, qui lui  a collé à la peau depuis le début de son règne pour souligner son cynisme faussement niais.

Nasser, enfin, avait pour interlocuteur des figures de légende: Chou en lai (Chine), Ho chi Minh (Vietnam), Nehru (Inde), Tito (Yougoslavie), Soekarno (Indonésie), De Gaulle, avec lequel il a procédé à la réconciliation franco-arabe à la suite de la rupture de Suez. Moubarak a eu pour partenaire Nicolas Sarkozy avec lequel il a lancé le projet mort né de l’Union Pour la Méditerranée.

Même dans le domaine privilégié de sa suprématie qui capta l’imaginaire et l’adhésion des foules pendant un demi-siècle, le domaine culturel, sa supériorité paraît battue en brèche. L’échec de l’Egypte à briguer le poste de Directeur général de l’Unesco, en Mai 2009, avec la candidature de son ministre de la culture Fouad Housni, malgré le soutien de son partenaire français et celui plus inattendu d’Israël, porte témoignage de ce désaveu.

Premier exportateur de vidéocassettes, de films et de téléfilms dans le Monde arabe, l’Egypte disposait d’un magistère culturel sans égal, s’articulant sur trois piliers: Le charisme de son chef, Nasser, sa brochette prestigieuse de vedettes de grand talent, Oum Kalsoum et Abdel Wahab, ses grands écrivains Taha Hussein, Naguib Mahfouz et le poète contestataire Cheikh Imam, Tahia Karioka et Nadia Gamal, sur le plan de l’industrie du divertissement et du spectacle, le tandem formé, enfin, sur le plan de la communication, par le journal Al-Ahram, le plus important quotidien arabe, et Radio le Caire, la doyenne des stations arabes.

Septième diffuseur international par l’importance de sa programmation radiophonique hebdomadaire, Radio le Caire émet en 32 langues couvrant un large spectre linguistique (Afar, Bambara, pachtoune, albanais). Il constituait un puissant vecteur de promotion des vues égyptiennes aux confins du quart monde. Mais son primat culturel pâtit désormais de la renaissance de Beyrouth, le point de fixation traumatique d’Israël, capitale culturelle frondeuse du Monde arabe, et de la fulgurante percée des chaînes transfrontières arabes, en particulier Al-Jazira, désormais indétrônable par son professionnalisme.

L’activisme diplomatique tardif déployé par le Caire ne modifiera en rien la cruauté du constat: la base arrière des principaux mouvements de Libération du Monde arabe et africain, de l’Algérie au Sud Yémen au Congo de Patrice Lumumba, le pays qui exorcisa le complexe d’infériorité militaire arabe vis à vis d’Israël, parait comme atteint d’éléphantiasis diplomatique, à en juger par son comportement honteusement frileux durant les deux dernières confrontations israélo-arabes, la guerre de destruction israélienne du  Liban, en juillet 2006, et la guerre de destruction israélienne de Gaza, deux ans plus tard, en décembre 2008.

Son primat diplomatique est remis en question par l’émergence des deux puissances musulmanes régionales non arabes, l’Iran et la Turquie, dans la suppléance de la défaillance diplomatique arabe, principalement de l’Egypte et surtout de l’Arabie saoudite, mutique pendant les trois semaines de la destruction israélienne de Gaza (Décembre 2008-Janvier 2009). Il en est de même son primat militaire, relégué aux oubliettes par la relève rebelle des artisans victorieux de la nouvelle guerre asymétrique contre Israël, le chiite Hezbollah libanais et le sunnite Hamas palestinien, rendant obsolète la fausse querelle que tentent d’impulser l’Arabie Saoudite et l’Egypte entre les deux branches de l’Islam dans l’espace arabe.

L’entrée en jeu de la Turquie et du Brésil dans la mise en œuvre du transfert du combustible nucléaire iranien vers son enrichissement dans les pays occidentaux, le 18 mai 2010, a accentué la déconfiture égyptienne en tant qu’acteur diplomatique de dimension régionale. Le tribut de sang payé deux semaines plus tard par la Turquie pour briser le blocus de Gaza par l’envoi d’une flottille humanitaire, en contraignant l’Egypte à ordonner sous la pression populaire la réouverture de terminal de Rafah et permis à la Turquie du fait de sa diplomatie néo-ottomane à ravir à l’Egypte et à l’Arabie saoudite, le leadership du monde sunnite traditionnellement dévolu à ces deux pays arabes.

Suprême infamie pour la diplomatie égyptienne, son échec dans un domaine qui constitue un de ses champs d’action privilégié: l’Afrique. La conférence des pays riverains du Nil, le 14 avril 2010, consacrée à la répartition des eaux de ce grand cours d‘eau africain entre sept riverains s’est soldée par un échec du fait de l’opposition de trois pays africains pro israéliens (Ethiopie, Kenya, Ouganda), hostiles au plan de partage des eaux du Nil, conçu en 1929 et reconduit en 1959. Plus grave et menaçant pour l’Egypte pour sa survie économique au point que plane le risque que l’Egypte perd de «la bataille du Nil», l’accord conclu à ce sujet un mois plus tard, le 18 mai à Entebbe, prévoyant la répartition des eaux du Nil entre les pays africains, excluant l’Egypte et le Soudan, avec la participation de la Tanzanie et l’Ethiopie, fer de lance des Etats Unis dans la corne de l’Afrique, alimenté par 58 pour cent des eaux du Nil bleu.

Le plus grand et le plus peuplé pays du monde arabe avec 80 millions d’habitants, est au bord de l’implosion sociale avec 34 % d’Egyptiens vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de deux dollars par jour. Depuis le revirement pro américain du président Anouar el Sadate, en 1978, et son traité de paix avec Israël, il y a trente ans, l’Egypte fonctionnait sur un mode binôme, par une répartition des tâches entre le pouvoir politique géré par la bureaucratie militaire, alors que la gestion culturelle de la sphère civile était confiée au zèle de l’organisation des Frères Musulmans, dont le prosélytisme s’est matérialisé par le rétablissement du crime d’apostasie.

Sous la menace islamiste, l’Egypte a navigué ainsi entre corruption, régression économique et répression, avec 1,3 million de flics employés par le ministère de l’Intérieur et plusieurs milliers de prisonniers politiques, sous la férule d’une oligarchie dont sept membres, tous des milliardaires, occupent des postes clés au sein du gouvernement égyptien ou du parti au pouvoir le Parti National Démocratique, et cinquante pour cent du hit parade des cent premières fortunes égyptiennes appartiennent aux instances dirigeantes du pays, du jamais vu depuis l’époque monarchique.

La passivité égyptienne devant le bain de sang israélien à Gaza, sa léthargie diplomatique face à l’activisme des pays latino-américains (Venezuela, Bolivie, Nicaragua) et de l’Afrique du sud avec la rupture de leurs relations diplomatiques avec Israël a suscité une levée de boucliers des Frères Musulmans conduisant la confrérie à cesser toute opposition à la Syrie, rendant caduque sa collaboration avec l’ancien vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, le transfuge baasiste réfugié à Paris.

Par un invraisemblable renversement d’alliance qui témoigne du strabisme stratégique de l’Egypte, c’est la Syrie, son ancien partenaire arabe dans la guerre d’indépendance, et non Israël, qui constitue désormais sa bête noire. C’est Gaza, à bord de l’apoplexie, qui est maintenu sous blocus et non Israël, ravitaillé en énergie à des prix avantageux, défiants toute concurrence, sans doute pour galvaniser la machine de guerre israélienne contre un pays sous occupation et sous perfusion, la Palestine.

Indice de sa servitude à l’égard des Etats-Unis, la moindre initiative de l’Egypte est tributaire du contreseing américain, que cela soit dans le domaine de la technologie nucléaire obtenu, en 2005, après que l’Iran se soit engagé dans la course atomique et afin d’y faire contrepoint, ou que cela soit dans le domaine diplomatique. L’Egypte bénéficie, il est vrai, d’une rente stratégique matérialisée par une aide américaine de trois milliards de dollars par an. Mais cette obole apparaît à bon nombre d’observateurs comme une sorte de denier de Judas, ne pouvant compenser aux yeux de l’opinion publique du tiers monde, le socle de la puissance diplomatique égyptienne, les effets dévastateurs de ce lymphatisme tant sur le plan du prestige international de l’Egypte qu’au plan de la sécurisation de l’espace national arabe.

Anouar el Sadate a récupéré le Sinaï mais marginalisé son pays par sa signature d’un traité de paix solitaire avec Israël (1979). Moubarak, lui, passera dans l’histoire pour avoir été le dirigeant égyptien sans la moindre action d’exploit à son actif, sinon de réintégrer son pays au sein Ligue arabe pour en faire une rente de situation à l’effet de cautionner toutes les interventions militaires américaines contre les pays arabes que cela soit lors de la première guerre du Golfe contre l’Irak, en 1990, ou encore treize ans plus tard, lors de l’invasion américaine de l’Irak, en 2003 ou enfin en contre pied du Hezbollah libanais (2006) ou du Hamas palestinien(2008-2009).

Pis, la grande œuvre diplomatique du tandem franco-égyptien -l’Union Pour la Méditerranée- a tourné à la bérézina diplomatique absolue. Sa principale réalisation, la destruction d’un état membre (Gaza Palestine) par un autre état membre (Israël), sous le regard complice des deux pays fondateurs de l’organisation, a accentué le mur de méfiance entre arabes et européens, un résultat aux antipodes des objectifs de ses promoteurs.

Le cessez le feu unilatéral israélien dans la bande de Gaza conclu à la suite d’un arrangement entre deux gouvernements moribonds, le revanchard israélien Ehud Olmert mal remis de défaite face au Hezbollah libanais, en 2006, et le pantin américain George Bush, a retenti comme un cinglant camouflet tant pour le nouveau président américain Barack Obama que pour le médiateur égyptien que pour son alter ego français, le vibrionnant et inopérant co-président de l’Union pour la Méditerranée.

Le contournement de l’Egypte par ses deux partenaires du Traité de Paix de Camp David dans des arrangements de sécurité concernant l’enclave palestinienne qui lui est frontalière a cruellement mis à jour le rôle de servant -et non de partenaire- des états arabes au sein de la diplomatie occidentale.

Dans une quête désespérée d’une nouvelle respectabilité à l’intention de son bailleur de fonds américain, elle a participé à la construction d’un barrage contre Gaza, accueillant, en juin 2010, en grande pompe, le chef des milices chrétiennes libanaises, Samir Geagea, au bilan sanguinaire, infligeant dans le même temps une lourde peine de prison à trois combattants du Hezbollah libanais pour leur soutien à la lutte du peuple de Gaza.

Une telle disparité de traitement pénal entre Israéliens et Arabes, qui tranche avec le laxisme observé à l’égard d’un espion israélien, le druze Azzam Azzam, libéré après sept ans de détention en 2004, a achevé de ternir l’image de l’Egypte dans le quart monde.

L’Egypte est frappée du symptôme d’éléphantiasis, à l’image de son vieux Président (82 ans), un personnage au teint cireux, un personnage de cire, en voie de momification par près de trente ans d’un pouvoir autocratique schizophrénique, ultra répressif sur le plan interne, léthargique sur le plan international, cramponné à son siège dans l’attente d’une succession filiale, davantage préoccupé par sa succession biologique que de la pérennité de l’Egypte, un des plus anciens foyers de civilisation dans le Monde.

Au regard de l’histoire, le seul exploit de Mohamad Hosni Moubarak aura été sa longévité politique. Nasser a gouverné 18 ans décédant le 28 septembre 1970 d’une crise cardiaque au lendemain d’un sommet arabe consacré au Caire à la réconciliation jordano palestinienne, dans la foulée du septembre noir jordanien. Sadate a régné 11 ans, assassiné pour collusion avec Israël, l’ennemi officiel du Monde arabe, le 6 octobre 1981, lors du défilé célébrant la destruction de la ligne Bar Lev, premier exploit militaire égyptien de l’histoire contemporaine. Moubarak trône, lui, depuis trente ans, échappant à une vingtaine d’attentats, record mondial absolu de tous les temps.

Son exubérance matérielle, fruit de son alliance matrimoniale et financière avec les plus fortunés des plus grosses fortunes d’Egypte, tranchant avec la sobriété ascétique de Nasser, a catapulté la candidature de Mohamad al Baradéi au rang de nouveau sauveur du pays, secouant la léthargie ambiante d’une fin de règne crépusculaire.

Le surgissement de l’ancien Monsieur atome de l’ONU sur la scène politique égyptienne dans la foulée de ces deux événements a fait planer sur Moubarak le «syndrome du chah d’Iran», par référence à l’expérience de l’ancien souverain iranien, (1979), féal par excellence des Américains, décrété «obsolète» du jour au lendemain pour cause de réajustements stratégiques de son protecteur.

Le Pharaon d’Egypte est nu, dénudé par ses nouveaux alliés: le Primus inter pares des Arabes est désormais «le passeur des plats» officiel de la diplomatie israélo-américaine. Triste destin pour Le Caire, –Al-Qahira–, la victorieuse dans sa signification arabe, ravalée désormais au rang de chef de file de «l’axe de la modération arabe».

L’ancien chef de file du combat indépendantiste arabe, amorphe et atone, a assumé sans vergogne le rôle de chef de file de l’axe de la soumission et de la corruption … l’axe de la résignation et de la capitulation…l’axe de la trahison des idéaux du sursaut nassérien.

Sous Moubarak, l’Egypte a marché sur sa tête et pensé avec ses pieds, pyramide renversée de tous ses reniements.

1-La fortune du Clan Moubarak «La dictature rapporte au Moyen-Orient». Le quotidien britannique The Guardian affirme que le président égyptien, sa femme et leurs deux fils seraient à la tête d’une fortune estimée entre 40 et 70 milliards de dollars (soit entre 29,5 et 51,6 milliards d’euros). Une somme considérable qu’Hosni Moubarak aurait commencé à amasser bien avant d’accéder à la présidence en 1981. Soit en 33 ans, un milliard de dollars par an en moyenne, une somme équivalente à l’aide américaine. Schéma identique à Mobutu dont la fortune personnelle dépassait la dette de son pays de même que le tunisien Zine El Abidine Ben Ali. Les Moubarak auraient été en mesure de s’enrichir ainsi par le biais d’un certain nombre de partenariats avec des entreprises étrangères, estime Christopher Davidson, professeur de politique au Moyen-Orient à l’Université de Durham en Angleterre. La loi égyptienne exige des entreprises étrangères qui souhaitent s’implanter en Egypte qu’elles créent une joint venture dont 51% des parts appartiennent à un partenaire local. Une loi allègrement détournée par la famille du Raïs en un système de corruption. Des propriétés à New York et à Rodéo Drive. La chaîne de télévision australienne ABC NEWS indique quant à elle que Ala’, le fils aîné de Moubarak, aurait spéculé depuis les années 1980 sur la dette de son pays sur le marché financier international. Les bénéfices réalisés lui auraient permis d’acquérir des terrains militaires à des prix défiant toute concurrence qu’il revendait ensuite à des investisseurs. Une bonne partie de cette fortune serait déposée dans des banques suisses et britanniques ou investie dans de l’immobilier. Le Raïs posséderait notamment des propriétés à New York, ainsi que sur la fameuse Rodéo Drive à Beverly Hills. Ce mode d’accumulation de richesses est commun aux autres leaders des pays du Golfe, assure Amaney Jamal, professeur en sciences politiques de l’université de Princeton. «C’est le modèle qu’appliquent d’autres dictatures du Moyen orient afin que leur richesse ne soit pas saisie au cours d’un changement de pouvoir», explique-t-il. Un véritable pillage des richesses dans un pays, qui figurait au 101e rang sur 169 sur l’indicateur du développement humain (IDH), où 40 pour cent de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Sourcz : http://libnanews.com/legypte-dix-ans-apres-1-3/


Le déclic populaire de l’hiver 2011 provoquera la plus grande panique au sein des classes dirigeantes arabes, une frayeur infiniment plus grande qu’une attaque conjuguée des forces de l’Otan, d’Israël et de l’Iran contre l’ensemble arabe.

La gérontocratie wahhabite, sans doute la plus craintive, donnera la première l’alerte. Elle débloque la somme de sept cent milliards de dollars sur quatre ans pour soulager les conditions de vie de ses sujets. Koweït suivra en allouant à tous les citoyens de l’Emirat la somme de trois mille dollars, une subvention couplée à des bons d’alimentation, sorte de ticket restaurant; le Roi de Jordanie nommera son ancien chef des services de renseignement, Maarouf Souleymane Bakhit, au poste premier ministre, sans doute pour parer à toute éventualité, et le président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis trente deux ans, renoncera à briguer un nouveau mandat…avant de se raviser et de rallier ses anciens adversaires houthistes et de tenter, à nouveau, de les trahir, dans un balancement qui lui sera fatal.

Même le paisible Royaume de Bahreïn, siège du quartier général de la Vème flotte américaine, (Golfe persique-Océan indien), s’enflammera, tout comme la léthargique Libye.

Le sursaut populaire arabe de l’hiver 2011 dans dix pays arabes (soit la moitié des pays membres de l’organisation pan arabe, -de la Tunisie à l’Egypte, à la Libye, au Yémen, au Bahreïn, à la Jordanie, à l’Algérie, au Maroc, à la Syrie et à l’Arabie saoudite-, a signé, en fait, la fin de l’exception arabe, marquée par la faillite de l’Etat rentier, miné par sa nature patrimoniale et grevé par les rentes de situation et de son cortège de faillites (1).
Ces faillites sont multiples: c’est d’abord celle de la libéralisation économique mise au service d’une oligarchie égoïste. C’est ensuite celle des régimes sclérosés qui ont eu recours à des aménagements de façade et à des ouvertures au rabais afin de vendre à l’étranger leur image de garants d’une stabilité devenue obsessionnelle pour l’Occident, au lieu d’engager des réformes véritables. C’est enfin également celle des grands projets politiques, des naufrages successifs des tentatives unitaires, des défaites répétées face à Israël, de la désintégration de l’Irak et de la scission du Soudan.

La concomitance des deux soulèvements sur les deux versants du Monde arabe, l’Egypte au Machreq, la Tunisie, au Maghreb, la similitude des revendications et la cohérence de la démarche des acteurs, -principalement la jeunesse en phase avec les nouvelles technologies de communication pâtissant de surcroît d’un chômage endémique, générant une oisiveté dangereuse face à une bureaucratie sclérosée-, ont signé l’échec patent du modèle arabe de développement, la faillite de ses dirigeants et l’inanité de leurs alliances internationales.

Toutefois, il existe une différence de niveau entre le poids lourd du Monde arabe, l’Egypte, et, le poids plume du Maghreb, la Tunisie; quand bien même l’étincelle tunisienne a été antérieure. L’Egypte n’a pas attendu la Tunisie pour secouer son anachronisme.

En quatre ans (de 2006 à 2009), deux mille cent cinq manifestations sociales avaient été dénombrées. D’abord sectorielles, elles sont allées crescendo: deux cent soixante six en 2006, six cent quatorze en 2007, puis six cent trente en 2008, sept cent en 2009 pour englober les diverses composantes de la population, dans ses diverses déclinaisons politiques et religieuses.

«La montre Rolex avant cinquante ans»: Ce slogan brandi comme un signe de réussite sociale par le publicitaire tapageusement ostentatoire Jacques Séguéla, ne constitue pas un impératif de vie pour une large fraction de la planète. C’est, du moins, la conclusion qui s’est imposée au vu de l’impact de l’acte sacrificiel déclencheur des émeutes, l’immolation.

Loin de revêtir un phénomène de mode, l’immolation (acte éminemment proscrit par la religion musulmane, mais néanmoins transgressé à diverses reprises par nombre de protestataires), a constitué, dans cette optique, la forme la plus aiguë d’une protestation non bureaucratique. Elle témoigne du degré d’exaspération et de l’intensité de la désespérance humaine des «laissés pour compte» de la société d’abondance. Elle a représenté une réplique infra humanitaire à la non reconnaissance de l’humanité de l’être par son interlocuteur.

Toutefois, les émeutes populaires qui ont eu lieu simultanément, en 2010-2011, en Iran, en Chine, dans la zone périurbaine des villes françaises, de même que dans une dizaine de pays arabes, apparaissent rétrospectivement comme les premières émeutes globales de la mondialisation. Ces explosions de violence, sur tous les continents, ont démontré le caractère explosif de la combinaison corruption difficultés économiques, sur fond de hausse des prix des matières premières. Ces explosions de violences, qui ont retenti comme autant de symptômes, portent la marque du dysfonctionnement d’un système et d’un monde mu par une économie mondialisée.

Le consensus de Washington et son prolongement européen (le consensus de Bruxelles), avec leur cortège de programme d’ajustements structurels, de délocalisation, de privatisation, de libéralisation et de spéculation, ont provoqué une perte colossale de l’ordre de vingt cinq mille milliards de capitalisation boursière, soit un coût infiniment plus élevé que le budget prévu pour la réhabilitation et la dynamisation de l’ensemble des économies du tiers monde.

La modernité a un corollaire que le sociologue Zygmunt Bauman qualifie de «coût humain de la mondialisation»: une production croissante de larges zones de rebut de l’humanité, la version moderne du Lumpen prolétariat.
En trois ans (2008-2010), deux mille quatre vingt dix émeutes ont été dénombrées à travers le Monde, le terreau contestataire sur lequel a germé la révolte des peuples arabes de l’hiver 2011.

Si la crise financière de 2008 a signé le déclin des pays riches, la crise arabe est la première des crises sociopolitiques des pays émergents. C’est pourquoi elle est surveillée de près à Pékin, New Delhi, Johannesburg et Brasilia, même si aucun déterminisme économique ne peut rendre compte de la variété des situations, ni a fortiori prédire l’avenir (2).

La région MENA (Middle East North Africa) a connu une croissance moyenne de cinq pour cent sur la période 2000-2010 (bien supérieure à celle des pays occidentaux), sans que les minorités au pouvoir depuis trente ans abandonnent leur action prédatrice, au contraire renforcée par l’ouverture aux échanges économiques.

A l’épuisement du modèle de l’état rentier s’est superposée la transformation de la quasi-totalité des républiques arabes en dynasties familiales. Cela a entraîné un rétrécissement de l’offre politique, créant ainsi une source de mécontentement supplémentaire, sans la moindre perspective de promotion sociale ni de satisfaction internationale.
La révolte arabe de 2011 a rejoint ainsi, par son intensité, les grandes périodes de l’histoire contestataire de la fin du XVIIIème siècle, du milieu du XIXème (autour de 1848), lesquelles, bien que toutes réprimées, avaient consacré le thème de l’État nation moderne dans le monde. De même, après la première guerre mondiale (1914-1918), les révolutions bolcheviques et les révoltes de la décennie 1960 avaient impulsé le phénomène de la décolonisation.

La Tunisie a constitué un avertissement sans frais pour les gérontocrates arabes. Mais loin de participer d’un effet domino, le basculement de la Tunisie, vu du sud de la Méditerranée, a relevé, plutôt, d’un effet boomerang.

La focalisation égyptienne sur la levée d’une milice sunnite au Liban (alors qu’une grogne électorale et des contestations populaires régnaient en Egypte), a constitué la marque d’une aberration mentale absolue; un acte de dévoiement suicidaire du régime égyptien qui a eu pour effet de carboniser complètement son régime sur fond de paupérisation croissante de la population, en parallèle du bradage du patrimoine énergétique égyptien à Israël.

Ni la situation alarmante de l’Egypte sur le plan économique, ni sa fragilité diplomatique, n’ont ébranlé la léthargie du dirigeant égyptien. Le sort funeste de trois dirigeants pro occidentaux: Saddam Hussein (Irak), Rafic Hariri (Liban), Benazir Bhutto (Pakistan), pas plus que le confinement dans son complexe de Ramallah de Yasser Arafat, pourtant Prix Nobel de la Paix, n’ont aiguisé sa curiosité.

Bercé par le chœur des flatteurs occidentaux, le credo pro israélo-américain de Moubarak lui servait de viatique pour l’éternité. Du moins le pensait-il. Il lui sera de peu de secours dans cette épreuve de fin de vie, alors que le déclin de l’influence occidentale était sérieusement amorcé avec le bourbier afghan, l’enlisement irakien, les revers militaires israéliens et la crise bancaire spéculative de l’hiver 2008.

Devant la montée des périls, à son corps défendant, Hosni Moubarak se résoudra, aux derniers jours de son règne, à pourvoir au poste de vice président, laissé vacant pendant trente ans, désignant comme dauphin, Omar Souleymane (3), le chef du service des renseignements, le copilote de l’Egypte les cinq dernières années de son règne, le maître d’œuvre de la reddition pour le compte des américains, le gestionnaire de la «hot line», la liaison téléphonique quotidienne avec l’Etat major israélien pour la gestion de la lutte contre la contrebande et le terrorisme dans le Sinaï.

Mais pour avoir tardé à le faire, pour cause de rivalité de l’homme du renseignement avec son propre fils, Gamal, Hosni Moubarak se pulvérisera.

Couvert de morgue et d’honneur, la prépotence du co-président de l’Union pour la Méditerranée, pilier sud du dispositif euro arabe, le pivot de la diplomatie américaine à l’articulation du Monde arabe et du Monde africain, couvait en fait une impotence.

Emprisonné et condamné par la justice égyptienne après son départ du pouvoir, il est libéré en 2017 après avoir terminé de purger sa dernière peine de prison. Il meurt neuf ans après la fin de sa présidence
L’ancien chef de l’aviation égyptienne, l’artisan de la première frappe aérienne de la guerre d’octobre 1973 sur les lignes israéliennes du Canal de Suez, a manqué d’acuité visuelle. La vue obscurcie par les prismes déformants de la mégalomanie et de la courtisanerie, il s’écrasera en vrille, emporté par l’ouragan populaire de la Place Tahrir.

Le dernier pharaon d’Egypte entraînera dans sa chute et son dauphin filial, et la pérennité politique de sa dynastie, et son régime, et sa place dans l’histoire.

1- Zaki Laidi «Faillite des régimes rentiers. L’Egypte, entre révolution et répression», in Le Monde 4 Février 2011

2-Le décompte établi par Alain Bertho, professeur d’anthropologie à Paris VIII, auteur «Du Temps des émeutes» s’établit comme suit: 250 émeutes en 2008, 540 en 2009 et 1300 en 2010. Cf. Marianne, Propos recueillis par Régis Soubrouillard | Samedi 26 Février 2011.

3- Omar Souleymane: Bête noire des «Frères Musulmans», le candidat préféré des Israéliens disposait d’une ligne rouge directe avec l’État major israélien à qui il avait promis d’éradiquer la contrebande dans le Sinaï. Natif de Haute Egypte, son nom est synonyme de répression des Frères Musulmans et de compromissions avec Israël. L’homme, âgé de 75 ans, formé en URSS, puis à Fort Bragg (Caroline du Nord) dans les années 1980, est mouillé jusqu’au cou dans le scandale des prisons secrètes de la CIA. Le général Souleymane a, en particulier, été l’interlocuteur privilégié de la CIA américaine dans le programme dit «Rendition», lorsque l’administration Bush «externalisait» la torture des suspects dans sa «guerre contre le terrorisme». Souleymane était apprécié par Washington pour sa détermination contre les islamistes, et pour son hostilité envers l’Iran.

Pour la survie du régime, le général Souleymane n’a pas hésité à se salir les mains. C’est lui qui a fait interroger Ibn al-Sheikh Al-Libi, chef des moudjahidine d’Oussama Ben Laden à la bataille Tora-Bora en Afghanistan, pour lui arracher, sous la torture, de faux aveux sur les liens entre Al-Qaïda et Saddam Hussein et justifier l’invasion de l’Irak. Lui encore qui fait la chasse, en Egypte, aux Palestiniens du Hamas.

En 2007, selon un télégramme diplomatique américain révélé par WikiLeaks, un diplomate décrivait ainsi le général Souleymane: «Chef du renseignement égyptien et conseiller de Moubarak, Souleymane a souvent été cité comme un possible candidat au poste vacant de vice-président. Ancien combattant de deux guerres israélo-arabes, celle de 1967 et celle de 1973, il est aussi devenu, en grimpant dans la hiérarchie, l’interlocuteur privilégié de l’Etat hébreu, dont on sait, par les télégrammes diplomatiques de WikiLeaks, à quel point il était apprécié à Jérusalem. Il est donc, de ce fait, un homme rassurant pour les partenaires de l’Egypte: Israël, mais aussi les Etats-Unis qui le connaissent parfaitement.

Cet ancien homme de l’ombre a également été le médiateur entre le Hamas islamiste et l’Autorité palestinienne pour tenter de réconcilier les frères ennemis palestiniens, étant ainsi l’un des rares interlocuteurs d’Israël rencontrant également les dirigeants du mouvement qui contrôle la bande de Gaza. «Il est de loin le plus performant de tous les chefs de services de renseignements arabes», relevait admiratif l’ancien espion français, le général Philippe Rondot, dans un portrait du Figaro.

De ce fait, Omar Souleymane, qui venait tout juste d’être élevé le 29 janvier 2011 au poste de vice-président par Hosni Moubarak alors que les protestations commençaient place Tahrir et dans les grandes villes du pays, avait été présenté comme un élément de continuité pour le régime, afin d’organiser une transition douce et pas un effondrement du système. Omar Souleymane ne survivra pas à la chute de son président. Atteint d’un cancer den phase terminale, il succombera peu de temps après l’éviction de son supérieur.

Photo AFP/AHMED ARAB)

Source : https://www.renenaba.com/legypte-dix-ans-apres-2-3/

L’Égypte, dix ans après 3/3


Par : René Naba – le 21 juillet 2023

Un an de pouvoir a fracassé le rêve longtemps caressé d’un 4eme Califat, qui aurait eu pour siège l’Egypte, le berceau des «Frères Musulmans», devenue de par l’éviction brutale du premier président membre de la confrérie, la tombe de l’islamisme politique.

Le Califat est une supercherie lorsque l’on songe à toutes les bases occidentales disséminées dans les monarchies arabes, faisant du Monde arabe la plus importante concentration militaire atlantiste hors des Etats unis.

Dans un contexte de soumission à l’ordre hégémonique israélo-américain, le combat contre la présence militaire atlantiste paraît prioritaire à l’instauration d’un califat. Et le califat dans sa version moderne devrait prendre la forme d’une vaste confédération des pays de la ligue arabe avec en additif l’Iran et la Turquie soit 500 millions de personnes, des réserves énergétiques bon marché, une main d’œuvre abondante. En un mot un seuil critique à l’effet de peser sur les relations internationales. Faute d’un tel projet, en présence des bases de l’Otan, le projet de restauration du califat relève d’une supercherie et d’un trafic de religions.

L’Egypte, épicentre du Monde arabe, est diverse. Le premier président néo islamiste élu aurait dû se pénétrer de cette réalité plutôt que de mener une politique sur une base sectaire. Les Frères Musulmans n’ont pas su mettre à profit leur holdup up sur le pouvoir en proposant un projet de dépassement des clivages antérieurs en ce que Morsi n’aurait jamais dû oublier le conflit de légitimité historique qui oppose l’armée aux Frères Musulmans depuis Nasser (1952). Morsi paie aujourd’hui le prix de sa tardive adaptation au principe de réalité et des rapports de force.

Le déclic populaire contestataire a été le fait des franges de la société informelle arabe, les Frères Musulmans l’ont subverti du fait de leur discipline et de leurs considérables moyens financiers. Ils devaient tenir compte de la diversité de la population égyptienne, et non d’imposer à une population frondeuse une conception rigoriste de la religion.

Ployant sous le fardeau de l’inflation et de la pénurie, sans perspective d’avenir, sans la moindre percée politique, à la remorque de la diplomatie islamo atlantiste, dans la crainte de la menace de strangulation que fait peser sur l’Egypte le projet de percement d’un canal rival israélien au Canal de Suez, le Canal Ben Gourion, le peuple égyptien, pour la deuxième fois en trois ans, déjouant tous les pronostics, particulièrement les universitaires cathodiques, a créé la surprise, dégommant des palais nationaux ce président néo islamiste. Avec le consentement et le soutien actif de l’armée et surtout des plus hautes autorités religieuses musulmanes et chrétiennes du pays.

L’Egypte est diverse: Il y a deux siècles, sous les Fatimides, elle était chiite. Les Coptes, des arabes chrétiens, est une population consubstantielle à l’Histoire du pays. L’Histoire tout comme la population s’est constituée par sédimentation. Si de nos jours, la très grande majorité de la population est musulmane sunnite, cela ne suffit pas à faire une politique. Une politique sunnite n’existe pas en elle-même. Elle se fait en fonction du legs national. Il serait insultant au génie de ce peuple de le réduire à une expression basique d‘un islam rigoriste.

L’Egypte, c’est le pays de Nasser, d’Oum Kalthoum, mais aussi de Cheikh Imam et de Ahmad Fouad Najm, d’ Ala’a Al Aswani, des personnalités contestataires. Plutôt que de promouvoir une politique de concorde nationale, Mohammad Morsi a pratiqué une politique revancharde. N’est pas Mandela qui veut. Il n’était pas pourtant sorcier de comprendre que seule une politique de rassemblement et non de division avait une chance de réussir.

Au risque de déplaire, les tombeurs de Morsi sont d’abord l’Arabie saoudite et les Etats Unis, les deux éléments qui lui ont servi de béquille pendant un demi-siècle. Les manifestations ont servi de prétexte. Les parrains historiques des Frères Musulmans ont remercié Morsi car il ne répondait plus à leurs attentes. Sa chute est intervenue dix jours après la destitution de l’Emir du Qatar. L’Arabie ne pouvait tolérer deux théocraties sur son flanc nord l’Iran, un réformiste démocratiquement élu, mais chiite, et sur son flanc sud en Egypte, un islamiste démocratiquement élu mais plus grave sunnite; la négation de tout le dispositif la dynastie wahhabite fondé sur l’hérédité et la loi de la primogéniture.

L’Arabie saoudite qui a financé la construction d ‘un barrage de retenue d’eau en Éthiopie, privant l’Égypte d’une substantielle quantité d’eau du Nil nécessaire à son irrigation. L’Arabie saoudite, un pays arabe, musulman et rigoriste tout comme les frères Musulmans. La déstabilisation de Mohammad Morsi par l’Arabie saoudite est la preuve éclatante qu’il ne saurait y avoir une politique sunnite en soi.

Soixante ans d’opposition démagogique ont trouvé leur conclusion dans le pitoyable épilogue de la mandature Morsi. Luxe de raffinement ou de perfidie, sans doute pour bien marteler le message, les protestataires ont mobilisé près de vingt millions de manifestants, soit le nombre d’électeurs que Morsi avait recueilli lors de son élection présidentielle.

Plutôt de s’enfermer dans un déni de réalité, Mohammad Morsi et les Frères musulmans devraient se livrer à une sévère introspection de leur prestation politique et admettre, enfin, qu’un mouvement qui se veut un mouvement de libération ne saurait être un allié des occidentaux, les protecteurs d’Israël en ce qu’il s’agit d’un positionnement antinomique.

De la même manière, autre vérité d’évidence, que l’on ne saurait solliciter en permanence l’aide d‘une grande puissance sans en payer le prix un jour. Et que d’une manière générale Morsi retiendra sans doute la leçon de savoir que quand les Occidentaux accordent leur satisfecit à un individu, c’est que cette personne a certainement commis une certain degré de reniement de soi. Kadhafi a été couvert d’éloges lorsqu’il a révélé aux occidentaux tout un pan de la coopération clandestine nucléaire inter arabe, avant qu’il soit abattu sans ménagement.

Au pouvoir, les Frères Musulmans auraient dû prendre en compte des profondes aspirations d’un peuple frondeur et tombeur de la dictature, de même que les impératifs de puissance que commande la restauration de la position de l’Egypte dans le Monde arabe. Faire preuve d’innovation, par le dépassement du conflit idéologique qui divise le pays depuis la chute de la monarchie, en 1952, en une sorte de synthèse qui passe par la réconciliation de l’Islam avec le socialisme. Cesser d’apparaître comme la roue dentée de la diplomatie atlantiste dans le Monde arabe, en assumant l’héritage nassérien avec la tradition millénaire égyptienne, débarrassant la confrérie de ses deux béquilles traditionnelles ayant entravé sa visibilité et sa crédibilité, la béquille financière des pétromonarchies rétrogrades et la béquille américaine de l’ultralibéralisme.

Sous la direction de la confrérie, l’Egypte aurait dû, enfin, prendre en outre l’initiative historique de la réconciliation avec l’Iran, le chef de file de la branche rivale chiite de l’Islam à l’effet de purger le non-dit d’un conflit de quinze siècle résultant de l’élimination physique des deux petits-fils du prophète, Al-Hassan et Al-Hussein, acte sacrilège absolu fruit sinon d’un dogmatisme, à tout le moins d’une rigidité formaliste.

L’Egypte fait face à de manœuvres d’asphyxie (retenue d’eau du Nil en Ethiopie, Canal Ben Gourion, concurrentiel du canal de Suez), Morsi aurait dû jouer de l’effet de surprise, en retournant la situation en sa faveur en levant le blocus de Gaza, un accord que l’Egypte n’a même pas ratifié, et,  surtout normaliser avec l’Iran en vue de prendre en tenaille tant Israël que l’Arabie saoudite, c’est-à-dire les deux des grandes théocraties du monde

Sur fond de concurrence avec la mouvance rivale salafiste, cette épreuve a été infiniment plus redoutable que près de soixante ans d’opposition déclamatoire souvent à connotation sinon démagogique à tout le moins populiste.

Les Frères Musulmans seraient donc avisés de se livrer à une sérieuse étude critique de la mandature Morsi, avant de se lancer dans une nouvelle aventure dont toute l’Egypte sera perdante ? Pour le plus grand bénéfice d’Israël  et de l’Islam wahhabite saoudien

Malsain de tout rejeter sur les manigances occidentales. Si les occidentaux ont leur plan, il importe aux Arabes de ne pas se lancer tête baissée devant tout chiffon rouge agité devant eux. Songez à l’impasse du Hamas, qui a déserté la Syrie, par solidarité sectaire avec le djihadisme erratique, expulsé du Qatar où il avait trouvé refuge avant de perdre son fief égyptien, à la merci d’un coup de bambou israélien.

La 1re faute: Le djihad en Syrie. La faute stratégique de Mohammad Morsi, à l’origine de l’abrogation de son mandat, aura été d’avoir «décrété le djihad en Syrie». Une décision prise par 500 oulémas réunis au Caire. Convoqué par Mohammad Morsi, ce congrès s’était tenu le 15 juillet 2013 avec la participation des représentants de 70 associations islamistes des pétromonarchies du Golfe (Qatar, Arabie Saoudite, Koweït, Bahreïn) ainsi que des courants islamistes d’Égypte, du Yémen et de la Tunisie.

Cette décision a été très mal perçue par la hiérarchie militaire égyptienne en raison de la fraternité d’armes qui liait les armées égyptiennes et syriennes dans les quatre batailles qu’ils ont livré contre Israël, en 1948, en 1956 (expédition de Suez), 1967 et 1973, (destruction de ligne Bar Lev sur le Canal de Suez et récupération d’une portion du Golan par la Syrie).

La 2ème faute: L’immunité: L’octroi au président d’une «IMMUNITÉ POUR TOUTES LES DÉCISIONS PASSÉES ET FUTURES»; une disposition sans pareille dans le monde, qui fera de Mohammad Morsi, un PHARAON plus puissant que le plus puissant des Pharaons.

3eme: Les «fautes stratégiques» des Frères Musulmans, de leur propre point de vue.-De leur propre aveu, les Frères Musulmans ont commis les «fautes stratégiques» suivantes : Avoir bénéficié du soutien des Etats Unis et d’Israël, les meilleurs alliés d’Hosni Moubarak avant sa chute. Négliger complètement la force de la revendication populaire.

Négliger la pesanteur des partisans de l’ancien président Hosni Moubarak encore aux postes de commande dans la haute administration et les gouvernorats. Le noyautage des Frères Musulmans de l’appareil d’état se fera à l’accession de Mohamad Morsi à la présidence de la république, mais l’armée ne lui laissera pas le temps de s’en accaparer, ni de s’incruster.

Négliger les SALAFISTES, dont les Services de Renseignements sous Hosni Moubarak s’en servaient comme contre pouvoir au FM. Le conflit FM-Salafiste était en effet plus violent que le conflit qui opposait la confrérie à Moubarak.

A cela s’est greffé l’autoritarisme de Mohammad Morsi. Moubarak a gouverné sous le régime de l’État d’urgence dès son accession au pouvoir, pendant trente ans (1981-2011).

Erreur fatale, Mohammad Morsi a commencé sa présidence par une fanfaronnade qui a abrégé son mandat. A peine élu, le premier président néo islamiste de l’Egypte a fait une déclaration d’une arrogance démesurée: «Nous sommes au pouvoir et nous le demeurerons pendant cinq siècles.

Joignant le geste à la parole, il a, d’un trait de plume, relevé de leurs fonctions la totalité des directeurs des publications égyptiennes pour leur substituer des hommes à sa dévotion. De même, il a ordonné la suppression de tous les programmes scolaires en vigueur sous Moubarak et leur substitution de nouveaux programmes, plus conformes à l’idéologie des FM.

Pis, lors de la proclamation de la nouvelle constitution Morsi prévoyait une «IMMUNITÉ POUR TOUTES LES DÉCISIONS PASSÉES ET FUTURES» du président; une disposition sans pareille dans le monde, qui fera de Mohammad Morsi, un PHARAON plus puissant que le plus puissant des Pharaons.

Mal perçu par le peuple égyptien frustré de sa révolution, le triomphalisme et l’autoritarisme de Mohammad Morsi vont alimenter un mécontentement et relancer une nouvelle mobilisation populaire.

L’Egypte, épicentre du Monde arabe, est diverse. Le premier président néo islamiste démocratiquement élu aurait dû se pénétrer de cette réalité plutôt que de mener une politique sur une base sectaire.

Les Frères Musulmans n’ont pas su mettre à profit leur holdup sur le pouvoir en proposant un projet de dépassement des clivages antérieurs en ce que Morsi n’aurait jamais dû oublier le conflit de légitimité historique qui oppose l’armée aux Frères Musulmans depuis Nasser (1952). Morsi paie aujourd’hui le prix de sa tardive adaptation au principe de réalité et des rapports de force.

Quant au Qatar, parrain de la Confrérie, l’activisme qu’il a déployée contre l’un des meilleurs alliés des Etats Unis dans le Monde arabe, placera cette principauté de rite wahhabite sous blocus des pétromonarchies et de l’Egypte, ses dirigeants d’alors, Hamad Ben Khalifa et Hamad Ben Jassem, évincés sans ménagement du pouvoir par leur tuteur américain, portant un coup fatal à la crédibilité de son fleuron médiatique la chaîne Al Jazeera

Pour aller plus loin sur ce thème, cf ces deux liens:

Le déclic populaire contestataire a été le fait des franges de la société informelle arabe. les Frères Musulmans l’ont subverti du fait de leur discipline et de leurs considérables moyens financiers. Ils devaient tenir compte de la diversité de la population égyptienne et non d’imposer à une population frondeuse une conception rigoriste de la religion.

L’Egypte est diverse: Il y a deux siècles, sous les Fatimides, elle était chiite. Les Coptes, des arabes chrétiens, constituent une part consubstantielle à l’Histoire du pays. L’Histoire tout comme la population s’est constituée par sédimentation. Si de nos jours, la très grande majorité de la population est musulmane sunnite, cela ne suffit pas à faire une politique. Une politique sunnite n’existe pas en elle-même. Elle se fait en fonction du legs national. Il serait insultant au génie de ce peuple de le réduire à une expression basique d‘un islam rigoriste.

L’Egypte, c’est le pays de Gamal Abdel Nasser, d’Oum Kalsoum, mais aussi de Cheikh Imam et de Ahmad Fouad Najm, d’Ala’a Al Aswani, des personnalités contestataires. Il n’était pas pourtant sorcier de comprendre que seule une politique de rassemblement et non de division avait une chance de réussir. Plus judicieux de promouvoir une politique de concorde nationale.

Un an de pouvoir a fracassé le rêve longtemps caressé d’un 4eme Califat, qui aurait eu pour siège l’Egypte, le berceau des «Frères Musulmans», devenue de par l’éviction brutale du premier président membre de la confrérie, la tombe de l’islamisme politique

Mohammad Morsi a pratiqué une politique revancharde. Il a été un homme du dissensus et non du consensus. N’est pas Mandela qui veut.

Sous Hosni Moubarak, l’Egypte marchait sur sa tête et réfléchissait comme un pied; Sous Abdel Fattah Sissi, pire, l’Egypte, atteinte d’éléphantiasis, est devenue un géant sans tête.

L’Egypte est un géant sans tête. (O’umlak Bila R’as), selon l’expression de Mamdouh Habachi, figure de proue de l’opposition démocratique égyptienne. Mamdouh Habashi est le disciple et le successeur de Samir Amine, le théoricien de l’alter-mondialisme. Chargé des Relations Internationales au sein du «Socialist Popular Alliance Party d’Egypte, Mamdouh Habashi est également Vice Président du «World Forum For Alternatives» (WFA).

Un géant décapité. L’éclipse de l’Egypte durant la séquence Sadate (1970-1981), consécutive à la signature du traité de paix égypto-israélien, a entraîné un affaissement du Monde arabe. Il ne saurait y avoir de redressement possible du Monde arabe sans un rôle pionnier de l’Egypte.

Sous la mandature du Maréchal Abdel Fattah Al Sissi, l’Egypte n’est pas un sujet actif, mais un sujet passif des Relations Internationales (Layssa fah’ilan bal mafh’oul), une diplomatie marquée par son suivisme à l’égard des pétromonarchies du Golfe, sous la supervision américaine, sans la moindre influence sur les grands conflits régionaux, ni le Yémen, ni la Syrie.

Les conditions du «suivisme» ont été mises en place par Anouar El Sadate, lequel, en répudiant l’alliance stratégique avec l’Union soviétique et en signant son traité de paix avec Israël (1979), s’est placé sous la coupe des Américains et des Israéliens. Le suivisme s’est poursuivi sous Hosni Moubarak, qui s’est placé sous la dépendance israélienne pour favoriser la promotion de son fils Gamal comme son successeur à la tête de l’Etat égyptien.

A tous égards, Camp David, le traité de paix égypto-israélien, aura été une malédiction pour l’Égypte, le Monde arabe voire même Israël, désormais gouvernée par une coalition ultra droitière faisant de l’État hébreu une «démocratie illusoire». Déclassé, le plus grand pays arabe et le plus puissant militairement dispose désormais d’une influence infiniment moindre que les acteurs para étatiques de la zone, le Hezbollah libanais, les Houthistes du Yémen et le Hamas palestinien.

Un des pivots des guerres de libération du tiers monde sous Nasser, (De l’Algérie, au Yémen, au Congo Léopoldville), l’Égypte est désormais réduite à un rôle de comparse de la diplomatie internationale, vivant des subsides des pétromonarchies. Un sujet passif des Relations internationales.

Source : https://www.renenaba.com/legypte-dix-ans-apres-3-3/