17 décembre 2014 

Retour sur le parcours tragique du plus ancien parti transnational arabe, le doyen des mouvements fondamentalistes.

Paris – Si le Nil est l’artère vitale de l’Egypte, ses deux piliers en sont l’armée et les «Frères Musulmans» qu’une lourde querelle de légitimité oppose depuis un demi-siècle. Fondée en 1928, la confrérie des Frères Musulmans revendique un droit d’antériorité dans la lutte pour l’indépendance nationale. Dans la foulée de l’effondrement de l’empire ottoman, cette organisation panislamiste se proposait comme objectif la renaissance islamique et la lutte non-violente contre l’influence occidentale.

Dans une zone ployant sous le joug colonial, son idéologie exercera un fort attrait sur les élites intellectuelles, propageant rapidement le mouvement dans les pays musulmans (Egypte et Soudan), ou français, mais aussi en Afrique du Nord (Algérie et Libye), et dans une moindre mesure en Tunisie et au Maroc. Louvoyant entre la Monarchie égyptienne et le colonialisme britannique, alternant entre collaboration et opposition selon les nécessités de sa lutte, l’organisation sera frappée d’interdiction, à l’apogée de sa puissance en 1948, alors qu’elle revendiquait près d‘un million d’adhérents, représentant une force politique sur l’échiquier égyptien.

Son opposition fondamentale et violente aux États laïcs arabes a conduit à son interdiction, à tout le moins à la limitation de ses activités dans de nombreux pays notamment en Syrie et en Irak (dont elle combattra l’idéologie laïque du Baas), ou encore en Egypte. En Egypte, précisément, l’auteur du décret d’interdiction, Mahmoud Fahmi Nokrashi Pacha, sera assassiné le 28 décembre 1948, entraînant en représailles, deux mois plus tard, l’assassinat du fondateur du Mouvement Hassan Al Banna (12 février 1949).   

Sur fond de désastre militaire en Palestine et du choc traumatique à l’échelle arabe de la création d’Israël, ce règlement de comptes entre le trône égyptien et les Frères musulmans va saper les fondements de la Monarchie, en même temps qu’il va jeter un discrédit sur la confrérie en ce que cette guéguerre inter égyptienne sera perçue comme une opération diversion, dérisoire au regard du choc de la création d’une entité occidentale à l’épicentre du monde arabe: Israël.

Pendant longtemps pèsera sur les «Frères Musulmans» la suspicion d’être un instrument de dérivation du colonialisme anglais dans le conflit central des Arabes, la Palestine, au même titre d’ailleurs que le Parti populaire Syrien (PPS) et le parti pan syrien fondé par le libanais Antoun Saadé. Le chef du parti pan syrien, le Libanais Antoun Saadé, auteur présumé d’un coup de force au Liban, sera passé par les armes devant un peloton d’exécution, le 8 juillet 1949, six mois après son confrère égyptien. Son parti sera voué à la clandestinité tandis que l’ordonnateur de la condamnation, le premier ministre libanais Riad El Solh, sera assassiné à son tour, en 1951, lors d’un déplacement à Amman, fief par excellence du Royaume uni au Moyen Orient, et le refuge des deux formations de l’ère de l’Indépendance arabe, au parcours identique, le laïc PPS et le religieux Frères Musulmans.

L’armée égyptienne coiffera ainsi au poteau la confrérie et raflera la mise en emportant la monarchie en même temps que les rêves de pouvoir de l’organisation panislamiste, dissoute en 1954. Le coup d’état du «groupe des officiers libres», le 26 juillet 1952, expédie le Roi Farouk en exil et la confrérie dans la clandestinité. Erreur fatale. Depuis son nouveau refuge royal, la confrérie mène le combat contre Gamal Abdel Nasser, chef charismatique des Arabes auréolé d’une authentique légitimité populaire, cible d’une offensive occidentale sans précédent dans le Monde arabe.

Nasser avait les yeux rivés sur Tel Aviv, les Frères Musulmans sur La Mecque, la City et Wall Street. L’officier nationaliste percevait Israël comme la principale menace sur le Monde arabe et privilégiait la solidarité pan arabe alors que les Frères Musulmans prônaient la solidarité religieuse comme antidote à la laïcité, occultant le fait israélien. La confrérie, qui avait mené le combat contre le colonialisme britannique en Egypte, se ralliait ainsi aux pires ennemis de son pays: l’Arabie saoudite (le vassal émérite de l’Amérique), et la Jordanie (le gendarme britannique au Moyen Orient).

Depuis Amman, où il était en poste en tant que diplomate, Saïd Ramadan, le gendre et successeur d’Hassan Al-Banna, organisera sa contre attaque. Bénéficiant d’un sauf conduit jordanien pour faciliter ses déplacements, il entreprend sa guerre d’usure contre le régime nassérien, encouragé en sous main par les services occidentaux. Une collaboration est alors scellée officiellement lors d’une rencontre avec le président américain Dwight Eisenhower, en 1953, au paroxysme de la guerre froide soviéto-américaine.

L’Islam était considéré alors comme un contrepoids à l’athéisme soviétique dans le tiers monde. Les États-Unis considéraient les Frères musulmans comme des alliés potentiels contre Nasser et l’établissement de régimes communistes ou socialistes au Moyen-Orient.

Dwight Eisenhower (au centre) recevant une délégation de musulmans. Saïd Ramadan se trouve à droite, tenant des papiers entre les mains.

Alliée potentielle des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite, l’organisation est dissoute en 1954, au lendemain de la rencontre Saïd Ramadan-Dwight Eisenhower. Vingt mille de ses membres seront incarcérés, dont le numéro un actuel d’Al-Qaïda, Aymane Al-Zawahiri. Said Ramadan, le propre père de Tareq Ramadan, l’universitaire égypto-suisse, optera finalement pour la Suisse pour mener sa campagne de mobilisation anti nassérienne à l’aide des fonds saoudiens.

Le coup de pouce politico financier des Saoudiens et des Américains donne à l’organisation les moyens d’établir une structure islamiste juste à temps pour accueillir la vague d’immigration musulmane en Europe dans les années 1970. En 1961, Saïd Ramadan fonde, avec le soutien du futur Roi Fayçal d’Arabie, le Centre islamique de Genève, et prend la tête d’un organisme islamique de Munich: Le Islmische Gemeinschaft in Deutscland, chargé de recycler les transfuges musulmans de l’Armée rouge. Sous sa férule, ses partisans jouent un rôle important dans la fondation en 1962 de la Ligue Islamique Mondiale, la structure parallèle à fondement religieux mise sur pied par l’Arabie saoudite pour contrecarrer l’influence de la diplomatie nassérienne.

La défaite de juin 1967 puis la mort de Nasser en 1970, favorisent une nouvelle convergence entre le pouvoir égyptien et les Frères Musulmans, à la faveur du déplacement du centre stratégique du Monde arabe de la Méditerranée vers les pétromonarchies du Golfe et de l’utilisation de l’arme du pétrole en soutien à la guerre d’octobre 1973.

Anouar el Sadate, un ancien compagnon de route de la confrérie, jugera bon de s’appuyer sur les Frères Musulmans pour faire contrepoids à l’extrême gauche et intègre la charia dans les lois égyptiennes.

La lune de miel de cinq ans se brise en 1978, sur le processus de Camp David, première grave scission du mouvement. Les Frères Musulmans renoncent officiellement à la violence militaire, à l’exception du combat en Palestine. Mais les divergences stratégiques conduisent à la constitution de nouvelles structures rivales telles que Al-Gama’a Al-Islamliya (Groupe islamique), dont un des membres assassinera Sadate en 1981.

Illustration : Gamal Abdel Nasser et Hassan al banna

19 décembre 2014 

    Trois ans après l’assassinat de Sadate, son successeur Hosni Moubarak, confère, en 1984, une reconnaissance politique aux «Frères musulmans» sans toutefois leur concéder le statut de parti. Contournant l’obstacle, les Frères s’engagent sur le terrain politique sous l’étiquette «indépendant», participant aux manifestations visant à la réforme de la constitution et à l’abrogation de l’état d’urgence. Investissant le terrain social et financier, ils viennent en assistance aux classes défavorisés.

    La dimension islamique de la contestation populaire atteindra son apogée lors du rétablissement, sous la pression de la rue, du crime d’apostasie par la justice égyptienne et la promulgation d’un nouveau code restrictif de la presse égyptienne. Mais la tentative d’attentat contre le Président Hosni Moubarak, en juin 1995 -la vingtième du genre en quinze ans-, donne l’occasion au président égyptien de mettre au pas les formations islamistes dont l’activisme, jugeait-il, menaçait de gangrener les principaux rouages de l’Etat.
    Un mois après cette tentative à l’occasion du sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), Le Caire passe à l’offensive et mène une guerre à outrance contre les chefs de file des formations islamistes ayant revendiqué la responsabilité de cet acte. L’Egypte demande l’extradition de cent vingt islamistes égyptiens réfugiés en Afghanistan ou en Europe occidentale.

    A partir du premier choc pétrolier et, surtout, de la guerre antisoviétique en Afghanistan, dans la décennie 1980, les Saoudiens renoncent à la sous-traitance pour prendre directement en main la gestion de l’Islam européen, établissant leurs propres centres et mosquées financés par la Ligue mondiale, aux dépens, paradoxalement, des structures des Frères Musulmans. C’est ainsi que les Frères Musulmans participent, en 1973 (l’année du premier choc pétrolier), à la fondation du Conseil islamique d’Europe, dont le point d’orgue sera la fondation de l’Union des organisations islamiques en Europe (UOIE) et de l’Union des organisations islamiques de France, en 1983, en pleine phase de montée en puissance de la troisième génération issue de l’immigration arabo musulmane.
    Durant cette période, l’Europe occidentale faisait office de base arrière «aux combattants de la liberté» où soixante dirigeants islamistes y avaient résidence, dont quinze disposaient du statut de «réfugié politique». A lire la liste des hôtes de marque de l’Europe, la «guerre contre le terrorisme» paraît risible, ce qui témoigne de la duplicité de la diplomatie occidentale tant vis-à-vis de l’opinion occidentale que vis-à-vis du Monde arabe.

    • Aymane Al-Zawahiri, le N°1 d’Al Qaida depuis l’élimination d’Oussama Ben Laden le 2 mai 2011.
      Il résidait à l’époque en Suisse avec le titre de commandeur des groupements islamistes en Europe. Adhérant dans les années 1980 à la formation «Al-Jihad», il avait été condamné à trois ans de prison dans l’affaire de l’assaut de la tribune présidentielle lors de l’assassinat du président égyptien Anouar el-Sadate, en octobre 1981. A sa sortie de prison, il a séjourné en Afghanistan avant de se rendre en Europe.
    • Mohamad Chawki Al-Islambouli, frère du meurtrier de Sadate, Khaled Al-Islambouli. Innocenté lors du procès de l’assassinat du chef de l’Etat égyptien, il a rallié les rangs des combattants anti-israéliens au sud-Liban avant de se rendre à Peshawar. Résidant à Kaboul, Chawkat Al-Islambouli a été condamné par contumace dans le procès des «égypto-afghans».
    • Talaat Fouad Kassem, porte-parole de mouvements islamistes en Europe, chargé de la coordination des activités des divers responsables et de la transmission des consignes, des instructions et des subventions entre l’Europe et les militants de base en Egypte. Condamné à 7 ans de prison au moment de l’assassinat de Sadate, il a été le premier à rejoindre les rangs des combattants islamistes afghans où il s’est distingué au sein des escadrons de la mort dans des opérations de guérilla antisoviétique. Avant le Danemark, il était responsable des groupements islamistes à Peshawar (Pakistan), point de transit des Moudjahidin vers l’Afghanistan. Talaat Fouad Kassem sera conduit alors en veilleuse les activités de son bureau de Copenhague à la suite de l’attentat anti Moubarak en 1995.

    A cette époque, avant d’être touchée à son tour par un attentat faisant 50 morts le 7 juillet 2005 (jour de la tenue du Sommet du G8 sur son territoire, au lendemain de la décision du Comité Olympique Internationale de lui attribuer l’organisation des Jeux Olympiques de 2012), Londres était la capitale mondiale de l’Islam contestataire, puisqu’elle comptait parmi ses hôtes les principaux opposants islamistes tels que le tunisien Rachid Ghannouchi, le soudanais Moubarak Fadel Al-Mahdi, le pakistanais Attaf Hussein (chef du parti d’opposition Muhajir Qawmi Movement (MQM)) ainsi que l’algérien Kamar Eddine Katbane (vice-président du comité du FIS (Front Islamique du Salut)).

    Un prosélytisme tous azimuts s’était en effet mis en route à la faveur du choc pétrolier et de la guerre d’Afghanistan. C’est l’époque où la Ligue du Monde Islamique prend son envol et où l’Arabie Saoudite, pour briser la prééminence égyptienne dans les affaires arabes, propulse «le Conseil de coopération du Golfe» (sorte de «syndicat de défense des intérêts des émirs pétroliers du golfe pro américain», selon l’expression en vigueur à l’époque au sein de l’opposition anti-monarchique), une instance dont seront exclus tant l’Irak que l’Iran pourtant d’importants pays pétroliers de surcroît riverains de la voie d’eau.

    Si le «Conseil de Coopération du Golfe» devient l’instrument de la diplomatie régionale de l’Arabie, la Ligue du Monde islamique sera l’instrument d’encadrement par excellence des communautés musulmanes de la diaspora.

    Siégeant à La Mecque, dirigée statutairement par un saoudien ayant la haute main sur la formation des Imams et des prédicateurs, l’attribution des bourses d’études, le développement des instruments de communication à vocation pédagogique (diffusion du Coran et de documents audio-visuels), elle supervisera aussi la mission du «Conseil Supérieur des Mosquées» qui lui est affilié et dont la tâche exclusive est la promotion des lieux de culte dans le monde.

    En Europe, la Ligue a disposé de représentations dans la plupart des métropoles (Londres, Bruxelles, Rome, Genève, Vienne, Copenhague, Lisbonne et Madrid). La pénétration des populations musulmanes s’est faite de manière stratégique par la multiplication des centres culturels et religieux et d’institutions spécialisées. L‘Arabie Saoudite a réparti ses principales institutions entre les grandes capitales européennes dans le souci d’impliquer le plus grand nombre des pays de l’Union à sa politique de sensibilisation islamique et de prévenir toute vacuité institutionnelle qui profiterait à ses rivaux. Si le Conseil Continental des Mosquées d’Europe a choisi Bruxelles pour siège, l’Académie Européenne de Jurisprudence Islamique est basée à Londres.
    L’existence de la Ligue du Monde Islamique traduit alors le souci constant des dirigeants wahhabites de s’assurer la supervision de la gestion de la sphère spirituelle au sein du Monde Musulman. Véritable structure de diplomatie parallèle, la Ligue Islamique est le précurseur et la matrice de l’Organisation de la Conférence Islamique, vaste rassemblement d’une cinquantaine de pays représentant près d’un milliard de personnes, devenu l’un des plus importants forum du Monde non occidental.

    Le mot d’ordre de l’époque n’était pas le «péril islamiste» ou le «choc de civilisations», mais l’alliance contre l’athéisme antisoviétique sur fond de recyclage de pétrodollars.

    Pour répondre à la demande, au plus fort du Djihad Afghan, l’Arabie alloue une subvention annuelle de près de 750.000 (sept cent cinquante mille) dollars à l’Université islamique d’Islamabad dirigée à l’époque par un Recteur dont l’allégeance lui permet ainsi de superviser la production de la jurisprudence islamique d’une institution, qui constitue avec le Centre Islamique de Lahore (Pakistan), l’une des plus fécondes sources de jurisprudence du monde musulman, loin devant l’Université égyptienne d’«Al Azhar».

    Le Royaume se dote même en 1984 d’une imprimerie spéciale: «Le complexe du Roi Fahd pour l’impression du Livre sacré», éditant annuellement huit millions d’exemplaires dans les principales langues de la sphère musulmane (français, anglais, arabe, espagnol, haoussa, urdu, turc), se hissant au rang de principal pourvoyeur du Livre Saint dans le monde. Au total, durant la décennie 1980, l’Arabie éditera cinquante trois millions d’exemplaires du Coran offrant gracieusement trente six millions d’exemplaires aux fidèles de soixante dix huit pays à l’occasion du Ramadan.
    Vingt six millions d’exemplaires ont été offerts aux fidèles des pays d’Asie, cinq millions pour l’Afrique, un million pour l’Europe, autant pour l’Australie et pour l’Amérique et le reliquat aux pèlerins à l’occasion du pèlerinage de La Mecque.

    L’Arabie Saoudite, qui a consacré durant la décennie 1980 près d’un milliard de dollars (10 milliards de FF au taux de l’époque) à l’entretien des lieux de culte, compte trente mille mosquées, quatre vingt dix Universités et Facultés théologiques, record mondial absolu par rapport à la densité de la population. Durant cette même décennie, le Roi Fahd va également procéder à l’expansion des sites situés dans l’enceinte du périmètre sacré des lieux Saints de l’Islam, décuplant leur superficie et leur capacité d’accueil, respectivement de sept cent trente mille fidèles pour La Mecque et six cent cinquante mille pour Médine, alors que simultanément l’effort se portait sur l’enseignement religieux à l’aide des deux grandes universités islamiques du Royaume: l’Université de l’Iman Mohamad Ben Saoud de Riyad qui a procédé à la formation de vingt trois mille étudiants d’une quarantaine de nationalités et l’Université Oum Al Qorah à La Mecque, (seize mille étudiants de quarante sept nationalités), se muant en autant de zélés propagateurs d’une conception saoudienne de l’Islam au sein de la communauté des pays musulmans.

    A cette époque, le Président Moubarak avait dû faire face à une vingtaine d’attentats dont les plus célèbres auront été, en 1993, l’attaque de Sidi Barani contre le convoi présidentiel alors que le président égyptien se rendait par la route en Libye pour rencontrer le colonel Kadhafi, et en 1994, la tentative aux Etats-Unis qui avait entraîné la mise en cause du Cheikh Omar Abdel Rahman, chef des intégristes égyptien en exil sur le territoire américain.

    Pendant deux décennies, Hosni Moubarak alternera la carotte et le bâton, utilisant les Frères Musulmans comme soupape de sûreté aux trop fortes pressions israéliennes ou américaines, concédant à la confrérie une large autonomie dans la gestion de la sphère culturelle et sociale, la bridant au gré des virages, réservant à sa coterie les lucratifs contrats de marchés publics. Par un lent travail de grignotage de la sphère de la vie civile, la confrérie réussira à devenir le premier groupe d’opposition à l’assemblée du peuple avec un contingent de quatre vingt huit députés sur quatre cent cinquante quatre, sans toutefois réussir à infléchir, ni la logique de vassalité égyptienne à l’égard de l’axe israélo-américain, ni la paupérisation croissante de la société du fait de la politique népotique et corruptrice de Hosni Moubarak.

    Disposant d’un statut hybride au sein de l’état égyptien, une association tolérée mais non légale, la confrérie se trouvait en pleine stagnation, conduisant des membres influents à prôner un véritable «aggiornamento» pour sortir de l’impasse dans lequel le pouvoir égyptien tentait de les enfermer. Bon nombre des membres de l’organisation opteront ainsi pour le costume à l’occidentale, renonçant à la tenue traditionnelle, élargissant leur recrutement aux diplômés des grandes écoles.
    Une impasse idéologique suicidaire se manifeste alors avec acuité lors de la destruction de l’enclave palestinienne de Gaza (décembre 2008-janvier 2009), avec la complicité passive des grands pays arabes sunnites (Egypte, Arabie saoudite, Jordanie). L’alliance avec le chef de file de l’Islam sunnite arabe (l’Arabie saoudite), conduit à la destruction de l’unique organisation sunnite arabe prônant la lutte armée contre Israël (le Hamas, filiale palestinienne des Frères Musulmans), laissant le champ libre au Hezbollah chiite, et, indirectement au mouvement «Al Qaeda», le rival idéologique de la confrérie sur le plan sunnite.

    Pareille déconvenue était survenue à d’autres organisations islamiques, notamment le GIS algérien de M. Abassi Madani, lors du débarquement de cinq mille soldats occidentaux (été 1990), en Arabie Saoudite, pour se lancer à l’assaut de l’Irak depuis la terre sainte de l’Islam.

    A la fin de février 2011, alors que le pouvoir de Hosni Moubarak chancelait, les Frères Musulmans décident de créer le «Parti de la liberté et de la justice»: un bras politique à l’effet d’influer sur l’avenir du pays.
    S’il est vrai que la révolte égyptienne a été impulsée et conduite par une coalition de forces politiques, secondée par des réseaux d’internautes, à dominante laïque et démocratique, il n’en est pas moins vrai que les organisations de la mouvance islamique ou leurs membres à titre individuel ont pris part à ce mouvement. Sur un pied d’égalité avec des formations d’importance marginale avant le début du soulèvement, des groupes plus proches des dissidents est-européens de 1989 que des partis de masse ou des avant-gardes révolutionnaires, acteurs traditionnels des révolutions sociales.
    Si dans le cas tunisien, la discrétion du mouvement islamiste a pu s’expliquer par la férocité de la répression qui a entravé la capacité d’action du parti En Nahda, c’est paradoxalement dans leur statut même de parti toléré par le régime militaire que se trouve la clé de l’attitude pusillanime adoptée par les Frères musulmans égyptiens.

    A l’instar de son prédécesseur Sadate qui avait retourné contre lui l’opinion lors de son «automne de la colère» (1981) en muselant l’opposition, Moubarak, présumant de ses forces, commet la même erreur 30 ans plus tard. A la veille des élections législatives de décembre 2010, prélude à la reconduction d’un sixième mandat à la tête de l’Etat, il écarte l’opposition de la consultation électorale avec la complicité passive de ses parrains occidentaux qui réservaient alors – et exclusivement – leurs critiques et leurs menaces au seul Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire, dont la réélection a eu lieu le même jour que le scrutin égyptien.

    L’un comme l’autre se lancent dans une opération de diversion à connotation religieuse. Sadate bannit dans un couvent du Sinaï le chef de l’Eglise copte, le Pape Shenouda, alors que sept millions de coptes vivent en Egypte, représentant dix pour cent de la population et autant dans la diaspora occidentale, particulièrement aux Etats-Unis et en Europe.
    Habitants originels, le pays tirant son nom du leur, ils sont la minorité chrétienne la plus importante du Moyen Orient. Shenouda, un patriote à toute épreuve, s’est distingué comme simple soldat sur le front de Suez, en 1956, et, par crainte d’une instrumentalisation des coptes dans le conflit israélo-arabe, avait interdit à ses ouailles d’effectuer le pèlerinage des Lieux Saints chrétiens de Jérusalem tant que les Palestiniens n’auront pas eu droit à leur Etat.

    Dans une opération de diversion, Moubarak, par l’entremise de son ministre de l’intérieur, Habib Al Adli, cautionnera l’attentat contre une église d’Alexandrie lors de la fête de la nativité des Coptes (fin décembre 2010), suscitant une vague d’indignation à travers le Monde et un élan de solidarité sans pareil au sein de la population égyptienne, prélude aux manifestations Place Tahrir. Présomption fatale qui abrogera son mandat et démasquera son imposture aux yeux de l’opinion internationale.
    Au total, depuis l’avènement de la République en Egypte, les relations en dent de scies entre l’armée et les Frères Musulmans se sont soldées négativement par l’assassinat d’un président (Sadate) par un islamiste, et par la participation des Frères Musulmans à la chute d’un deuxième président (Moubarak), en représailles à la répression dont ils auront été l’objet de sa part, tout au long.

    La devise de la confrérie constitue tout un programme et retentit comme un véritable appel à la mobilisation: «Allah est notre objectif. Le Prophète est notre chef. Le Coran est notre loi. Le Jihad est notre voie. Mourir dans la voie d’Allah est notre plus grande espérance».
    Son logo était constitué de deux sabres croisés. Il a été abandonné au profit d’un logo moins agressif, deux mains jointes autour d’une motte de terre où prend racine une pousse verte.

    L’un des principaux dirigeants du mouvement, Khairat Al Shater, a été libéré de prison dans la semaine qui a suivi le dégagement de Moubarak. Ce fut également le cas du doyen des prisonniers politiques égyptiens Abboud Al Zoummor, chef du Jihad islamique égyptien, et de son frère Tareq. Tous les deux avaient été incarcérés pour leur implication dans l’assassinat d’Anouar Al Sadate. Né en 1947, dans la province de Guizeh, Abboud Al Zoummor, est un ancien officier de l’armée décoré au front, en 1973, pour sa bravoure dans des «opérations derrière les lignes ennemies». Il avait officiellement purgé sa peine en 2001, mais il a été maintenu en prison dix ans de plus jusqu’à la chute de Moubarak.

    Deux ans plus tard, les Frères Musulmans retrouvaient le chemin de la prison, avec, en tête du cortège, Mohamad Morsi et son état major, ses fidèles sévèrement pourchassés et réprimés.

    Sans surprise pour ceux qui ont suivi ce récit, Rached Ghannouchi, Waddah Khanfar, Waël Al-Ghoneim, Bernard Henry Lévy et Nicolas Sarkozy ont été distingués en 2011 par la revue «Foreign Policy» parmi les «personnalités les plus influentes de 2011».

    Des lauréats qui ne manquent pas d’allure: Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste tunisien An Nahda, longtemps la bête noire des Occidentaux, Waddah Khanfar, l’ancien directeur islamiste de la chaine Al Jazira, et interlocuteur des services de renseignements américains ainsi que Waël Al-Ghoneim, responsable pour l’Egypte du moteur de recherche américain Google, amplificateur du soulèvement populaire égyptien place Tahrir.

    Parmi les «100 plus grands intellectuels» honorés cette année-là, figuraient une brochette de belliciste à tout crin: Dick Cheney, ancien vice-président de George Bush jr, un des artisans de l’invasion de l’Irak, de même que Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat de George Bush, le sénateur John Mac Cain, le président français Nicolas Sarkozy, le couple Bill et Hilary Clinton, le ministre de la défense de Bush jr et de Barack Obama, Robert Gates, le premier ministre turc Recep Teyyeb Erdogan et l’incontournable Bernard Henri Lévy.
    Et sur le plan arabe, outre les trois personnalités précitées, ont figuré l’ancien Directeur de l’agence atomique de Vienne Mohamed Baradéï et le politologue palestinien Moustapha Barghouti, que nous aurions souhaité être distingué par un autre aréopage que Freedom House ou Global Voice Project.

    Avec mention spéciale pour Ghannouchi «l’un des plus grands intellectuels de l’année 2011». Rached Ghannouchi, il est vrai, avait mis à profit son séjour aux Etats Unis pour rendre visite au «Washington Institute for Near East Policy», très influent think tank fondé en 1985 par M. Martin Indyk, auparavant chargé de recherche à l’American Israel Public Affairs Committee ou AIPAC, le lobby israélien le plus puissant et le plus influent aux Etats-Unis. Le chef islamiste, longtemps couvé médiatiquement par la Chaine Al Jazira, a pris soin de rassurer le lobby pro-israélien quant à l’article que lui-même avait proposé d’inclure dans la constitution tunisienne concernant le refus du gouvernement de collaborer avec Israël.

    En trente ans d’exil, cet ancien nassérien modulera sa pensée politique en fonction de la conjoncture, épousant l’ensemble du spectre idéologique arabe au gré de la fortune politique des dirigeants, optant tour à tour, pour le nassérisme égyptien, devenant par la suite adepte de l’ayatollah Ruhollah Khomeiny (Iran), puis de Hassan Al Tourabi (Soudan), pour jeter ensuite son dévolu sur le turc Reccep Tayeb Erdogan, avant de se stabiliser sur le Qatar, soit sept mutations, une moyenne d’une mutation tous les quatre ans.

    Du grand art qui justifie a posteriori le constat du journaliste égyptien Mohamad Tohi3ma «Les Frères Musulmans, des maitres dans l’art du camouflage et du contorsionnement mercuriel», article paru dans le journal libanais «Al Akhbar» en date du 1er octobre 2011 reprenant une tribune de Mohamad Tohima, directeur du quotidien égyptien «Al Hourriya». Du grand art. En attendant la prochaine culbute. La prochaine chute ?

    Pour aller plus loin sur la stratégie de Rached Ghannouchi visant à masquer la faillite du pouvoir islamiste en Tunisie: http://mondafrique.com/lire/politique/2014/03/02/tunisie-guerre-de-religion-au-sein-du-mouvement-islamiste-ennadha

    Quant au 2eme lauréat, Waddah Khanfar, son parcours résume à lui seul la confusion mentale arabe et la duplicité du Qatar. Ancien journaliste de la chaine gouvernementale américaine «Voice of America», ce palestinien natif de Djénine, en Cisjordanie occupée, était parent par alliance de l’ancien premier ministre jordanien Wasfi Tall, surnommé le «boucher d’Amman» pour sa répression des Palestiniens lors du septembre noir jordanien (1970), dont il a épouse la nièce. Cet Islamiste notoire était aussi un interlocuteur des services de renseignements de l’US Army. Une opacité typique du comportement du Qatar.

    Deux reproches ont pesé sur sa gestion de huit ans à la tête d’Al Jazira (2003-2011): sa volonté d’imposer un code vestimentaire ultra strict aux présentatrices de la chaine, en conformité avec l’orthodoxie musulmane la plus rigoureuse, ce qui a entrainé la démission de cinq journalistes femmes, ainsi que sa publication des documents confidentiels sur les pourparlers israélo palestiniens «The Palestine Paper», discréditant les négociateurs palestiniens; ce qui a conduit le chef des négociateurs palestiniens, Saeb Oureikate, à réclamer sa démission, de même que l’Arabie saoudite effrayée par la crainte que la large couverture des soulèvements arabes par la chaîne du Qatar n’ait des répercussions sur la stabilité des pétro monarchies.
Propulsé à la direction de la chaîne Al Jazira par son ami libyen, Mohammad Jibril. Il sera remercié de la chaîne, en 2011, au terme de l’épisode libyen, mais gratifié de la distinction américaine. Maigre consolation. L’homme a quitté la scène publique, avec de substantielles indemnités, sans bruits, emportant avec lui ses secrets et sa part d’ombre, les raisons de sa gloire et de sa disgrâce.

    Echevelé, livide au milieu des tempêtes, le touriste de guerre a poursuivi sa quête incompressible du Graal, sautillant de Benghazi à la Syrie au secours de la liberté défendant le Monde Arabe, brandissant ses méfaits qu’il confondait avec des trophées, réussissant le tour de force d’instaurer la Chariah en Libye, provoquant la talibanisation de la zone sahélienne par l’implosion de la Libye.

    Point n’est pourtant besoin de boussole. Un arabe ou un musulman, voire tout citoyen du monde un tant soit peu patriote, doit se ranger impérativement dans le camp adverse à celui de Bernard Henry Lévy, le fer de lance médiatique de la stratégie israélo-atlantiste dans la sphère arabo-musulmane. Songeons à la guerre antisoviétique d’Afghanistan (1980-1989) et à la mystification des «combattants de la liberté» magnifiés par BHL, qui aura opéré le plus grand détournement du combat arabe de la Palestine vers Kaboul avec les désastreuses conséquences qui en découlent encore de nos jours, au niveau de son excroissance djihadique et de ses dérives erratiques.

    Cf. BHL ou comment se rendre ridicule http://www.marianne.net/elie-pense/BHL-ou-comment-se-rendre-ridicule-pour-la-posterite_a364.html

    Ci-joint son dernier exploit: Harangué les foules de Kiev, sous cadrage des vétérans de l’armée israélienne. http://www.jta.org/2014/02/28/news-opinion/world/in-kiev-an-israeli-militia-commander-fights-in-the-streets-and-saves-lives

    Selon le site israélien alyaexpress-news.com, ce groupe de 35 combattants armés et cagoulés de la place Maidan, était dirigé par 4 anciens officiers de l’Armée israéliennes. Ces anciens officiers ont dès le début des événements rejoint le mouvement aux côtés du parti de la Liberté (Svoboda), bien que celui-ci ait la réputation d’être violemment antisémite. La présence d’unités israéliennes avait été signalée dans des événements similaires en Géorgie, aussi bien lors de la «révolution des roses» (2003) que lors de la guerre contre l’Ossétie du Sud (2008), où, en parfait synchronisme, BHL avait harangué les foules depuis son hôtel de Tbilissi, à plusieurs kms du champ de bataille. Manque à l’appel un lauréat: Hamad du Qatar: The Air and Field Marshal de Libye.

    Sur ce lien le chainon manquant: http://www.renenaba.com/lhomme-de-lannee-2011/

    En trois ans, deux des principaux libérateurs de la Libye, Les Etats Unis et la France, ont été la cible d’attentats de représailles, et, sur fond de sanglants règlement de compte entre factions rivales, de pillages du gigantesque arsenal libyen, le Sahel a muté en zone de non droit absolu, fragilisant considérablement le pré carré africain de la France, alors que, parallèlement, les maîtres d’œuvre de la contre révolution arabe sombraient dans la guerre intestine, menaçant de paralysie le Conseil de coopération du Golfe, la seule instance de coopération régionale arabe encore en activité.
    Répudier la servilité à l’égard des Etats-Unis, bannir le dogmatisme régressif sous couvert de rigueur exégétique, concilier Islam et diversité, en un mot conjuguer Islam et modernité …Tel était le formidable défi que les Frères Musulmans se devaient de relever à leur accession au pouvoir et non de mener une politique revancharde contreproductive, qui a conduit directement en prison leur chef de file égyptien et débouché sur la désintégration morale du Hamas, unique mouvement de libération national de l’Islam sunnite, dans un retour retentissant à la case départ.

    La satisfaction légitime de la chute d’un dictateur ne saurait occulter le gâchis stratégique provoqué par l’effondrement d’un pays à la jonction du Machreq et du Maghreb et son placement sous la coupe de l’OTAN, le plus implacable adversaire des aspirations nationales du Monde arabe.

    Acte stratégique majeur comparable par son ampleur à l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, le changement de régime politique en Libye, sous les coups de butoirs des occidentaux, était destiné au premier chef à neutraliser les effets positifs du «printemps arabe» en ce qu’il devait accréditer l’idée que l’alliance atlantique constituait le gendarme absolu des revendications démocratiques des peuples arabes.

    Aucune intervention occidentale à l’encontre du Monde arabe, même la plus louable, n’est jamais totalement innocente, tant perdurent les effets corrosifs des actions passées et vivace le souvenir de leurs méfaits. Et l’intervention en Libye n’échappe pas à la règle en ce qu’elle ne cible qu’un régime républicain, à l’exclusion de toute monarchie, les exonérant de leurs turpitudes et de l’impérieuse nécessité de changement.

    L’histoire retiendra que la révolution libyenne aura été «la première révolution assistée par ordinateur» et le meurtre libératoire de l’ancien bourreau l’objet d’une assistance à distance. La fin de Kadhafi est la fin d’une longue lévitation politique en même temps que d’une illusion lyrique.

    Les Libyens vont devoir purger le cauchemar qui a peuplé leur subconscient et leur inconscient et apporter la démonstration qu’ils ne constituent pas un peuple d’assistés permanents.
Le combat contre la dictature ne saurait être sélectif. La démocratie du Tomahawk a affranchi le djihadisme erratique et projeté dans l’arène la foultitude des paumés de l’islam takfiriste. Le sommeil de la raison a engendré des monstres.

    23 décembre 2014 

    Paris – Le «printemps arabe» marquera l’apogée de la confrérie avec un président démocratiquement élu dans le plus grand pays arabe, l’Egypte, un pays charnière du Maghreb; la Tunisie, habituelle plaque tournante de l’espionnage franco israélo américain dans leur escarcelle, sous la couverture d’un ancien opposant Mouncef Marzouki;  un allié de taille en Turquie avec le néo islamiste et sa diplomatie néo-ottomane, Recep Tayyip Erdoğan, et un crésus à la clé, l’Emir du Qatar. Pour la deuxième fois de son existence tumultueuse, la confrérie des «Frères Musulmans» se retrouvait aux portes du pouvoir dans un contexte radicalement bouleversé.

    Un an plus tard, elle retombait à son périgée. Il aura suffi en effet d’un an de pouvoir pour fracasser le rêve longtemps caressé d’un 4eme Califat, qui aurait eu pour siège l’Egypte, le berceau des «Frères Musulmans», devenue de par l’éviction brutale du premier président membre de la confrérie, la tombe de l’islamisme politique.

    Le Califat constituait en fait une supercherie lorsque l’on songe à toutes les bases occidentales disséminées dans les monarchies arabes, faisant du Monde arabe la plus importante concentration militaire atlantiste hors des Etats Unis. Dans un contexte de soumission à l’ordre hégémonique israélo-américain, le combat contre la présence militaire atlantiste se devait d’être prioritaire à l’instauration d’un califat. Et le califat dans sa version moderne devait prendre la forme d’une vaste confédération des pays de la ligue arabe avec en additif l’Iran et la Turquie soit 500 millions de personnes, des réserves énergétiques bon marché, une main d’oeuvre abondante. En un mot un seuil critique à l’effet de peser sur les relations internationales. Faute d’un tel projet, en présence des bases de l’Otan, le projet de restauration du califat relève d’une supercherie et d’un trafic de religions.

    Les Frères Musulmans qui avaient subverti du fait de leur discipline et de leurs considérables moyens financiers le déclic populaire contestataire enclenché par des franges de la société informelle arabe, auraient dû tenir compte de la diversité de la population égyptienne et non d’imposer à une population frondeuse une conception rigoriste de la religion. 

    L’Egypte, épicentre du Monde arabe, est diverse. Le premier président néo islamiste démocratiquement élu aurait dû se pénétrer de cette réalité plutôt que de mener une politique sur une base sectaire.

    Les Frères Musulmans n’ont pas su mettre à profit leur holdup up sur le pouvoir en proposant un projet de dépassement des clivages antérieurs en ce que Morsi n’aurait jamais dû oublier le conflit de légitimité historique qui oppose l’armée aux Frères Musulmans depuis Nasser (1952). Il en paiera le prix de sa tardive adaptation au principe de réalité et des rapports de force.

    Ployant sous le fardeau de l’inflation et de la pénurie, sans perspective d’avenir, sans la moindre percée politique, à la remorque de la diplomatie islamo atlantiste, dans la crainte de la menace de strangulation que fait peser sur l’Egypte le projet de percement d’un canal rival israélien au Canal de Suez, le Canal Ben Gourion, le peuple égyptien, pour la deuxième fois en trois ans, déjouant tous les pronostics, particulièrement les universitaires cathodiques, a créé la surprise, dégommant des palais nationaux ce président néo islamiste.  Avec le consentement et le soutien actif de l’armée et surtout des plus hautes autorités religieuses musulmanes et chrétiennes du pays.

    L’Egypte est diverse: deux siècles aurapravant, sous les Fatimides, elle était chiite. Et les Coptes, des arabes chrétiens, une population consubstantielle à l’Histoire du pays. L’Histoire tout comme la population s’est constituée par sédimentation. Si de nos jours, la très grande majorité de la population est musulmane sunnite, cela ne suffit pas à faire une politique. Une politique sunnite n’existe pas en elle-même. Elle se fait en fonction du legs national. Il serait insultant au génie de ce peuple de le réduire à une expression basique d‘un islam rigoriste.

    L’Egypte est le pays de Nasser, d’Oum Kalsoum, mais aussi de Cheikh Imam et de Ahmad Fouad Najm, d’Ala’a Al Aswani, des personnalités contestataires. Plutôt que de promouvoir une politique de concorde nationale, Mohamad Morsi a pratiqué une politique revancharde. N’est pas Mandela qui veut. Seule une politique de rassemblement et non de division avait une chance de réussir.

    Au risque de déplaire, les tombeurs de Morsi ont été ses parrains historiques: l’Arabie saoudite et les Etats Unis, dont il portait la nationalité, à qui il a prêté serment de loyauté en sa qualité d’accrédité auprès de la NASA, l’agence spatiale américaine. Deux  parrains qui lui ont servi de béquille pendant un demi-siècle et l’ont remercié en ce qu’il ne répondait plus à leurs attentes. Il n’est pas indidférent de noter que sa chute est intervenue dix jours après la destitution de l’Emir du Qatar dans une grande opéraiton de nettoyage du printemps.

    L’Arabie ne pouvait tolérer deux théocraties, sur son flanc nord l’Iran, un réformiste démocratiquement élu, mais chiite, et sur son flanc sud en Egypte, un islamiste démocratiquement élu mais plus grave sunnite. La négation de tout le dispositif de la dynastie wahhabite fondé sur l’hérédité et la loi de la primogéniture.

    Consciente de la menace qui pesait sur elle, l’Arabie saoudite a financé la construction d’un barrage de retenue d’eau en Ethiopie, privant l’Egypte d’une substantielle quantité d’eau du Nil nécessaire à son irrigation. L’Arabie saoudite, un pays arabe, musulman et rigoriste tout comme les frères Musulmans. La déstabilisation de Mohamad Morsi par l’Arabie saoudite est la preuve éclatante qu’il ne saurait y avoir une politique sunnite en soi. En témoigne, la Turquie, l’alliée stratégique d’Israël.

    Le grand écart, un exercice dans lequel excellaient les Frères Musulmans, était difficile à assumer longemps: Il n’est pas possible en effet de réclamer la criminalisation de la normalisation avec Israël et se fourrer dans les jupons de l’AIPACC. Soixante ans d’opposition démagogique ont trouvé leur conclusion dans le pitoyable épilogue de la mandature Morsi. Luxe de raffinement ou de perfidie, sans doute pour bien marteler le message, les protestataires ont mobilisé près de vingt millions de manifestants, soit le nombre d’électeurs que Morsi avait recueilli lors de son élection présidentielle.

    Plutôt de s’enfermer dans un déni de réalité, Mohamad Morsi et les Frères Musulmans devraient se livrer à une sévère introspection de leur prestation politique et admettre, enfin, qu’un mouvement qui se veut un mouvement de libération ne saurait être un allié des occidentaux, les protecteurs d’Israël en ce qu’il s’agit d’un positionnement antinomique.

    De la même manière, autre vérité d’évidence, que l’on ne saurait solliciter en permanence l’aide d‘une grande puissance sans en payer le prix un jour. Et que d’une manière générale Morsi retiendra sans doute la leçon de savoir qu’un satisfecit occidental n’est jamais concédé que lorque le récipendiaire aura acté un reniement de soi.  L’exemple de Moammar Kadhafi en fait foi…… couvert d’éloges en révélant aux occidentaux tout un pan de la coopération clandestine nucléaire inter arabe, avant qu’il ne soit dégagé à coups de Tomahawk.

    Au pouvoir, les Frères Musulmans auraient dû prendre en compte des profondes aspirations d’un peuple frondeur et tombeur de la dictature, de même que les impératifs de puissance que commande la restauration de la position de l’Egypte dans le Monde arabe. Faire preuve d’innovation, par le dépassement du conflit idéologique qui divise le pays depuis la chute de la monarchie, en 1952, en une sorte de synthèse qui passe par la réconciliation de l’Islam avec le socialisme. Cesser d’apparaitre comme la roue dentée de la diplomatie atlantiste dans le Monde arabe, en assumant l’héritage nassérien avec la tradition millénaire égyptienne, débarrassant la confrérie de ses deux béquilles traditionnelles ayant entravé sa visibilité et sa crédibilité, la béquille financière des pétromonarchies rétrogrades et la béquille américaine de l’ultralibéralisme.

    Sous la direction de la confrérie, l’Egypte aurait dû, enfin, prendre en outre l’initiative historique de la réconciliation avec l’Iran, le chef de file de la branche rivale chiite de l’Islam à l’effet de purger le non-dit d’un conflit de quinze siècle résultant de l’élimination physique des deux petits-fils du prophète, Al-Hassan et Al-Hussein, acte sacrilège absolu fruit sinon d’un dogmatisme, à tout le moins d’une rigidité formaliste.

    L’Egypte fait face à de manœuvres d’asphyxie (retenue d’eau du Nil en Ethiopie, Canal Ben Gourion, concurrentiel du canal de Suez), Morsi aurait dû jouer de l’effet de surprise, en retournant la situation en sa faveur en levant le blocus de Gaza, un accord que l’Egypte n’a même pas ratifié et surtout normaliser avec l’Iran en vue de prendre en tenaille tant Israël que l’Arabie saoudite, c’est-à-dire les deux des grandes théocraties du monde

    Sur fond de concurrence avec la mouvance rivale salafiste, cette épreuve a été infiniment plus redoutable que près de soixante ans d’opposition déclamatoire souvent à connotation sinon démagogique à tout le moins populiste. Les Frères Musulmans seraient donc avisés de se livrer à une sérieuse étude critique de la mandature Morsi, avant de se lancer dans une nouvelle aventure dont toute l’Egypte sera perdante. Pour le plus grand bénéfice d’Israël et de l’Islam wahhabite saoudien

    Il est malsain de tout rejeter sur les manigances occidentales. Songeons à l’impasse du Hamas, qui a déserté la Syrie, par solidarité sectaire avec le djihadisme erratique,  désormais à la merci d’un coup de bambou du Qatar.

    Conséquence des revers de Syrie, une révolution de palais, sous pilotage direct du Roi, sest produite en Arabie saoudite, entrainant l’éviction des postes de responsabilité de toute une fratrie, le clan Sultan, responsable au premier chef du désastre saoudien, avec la promotion concomitante des propres fils du roi Abdallah, fait sans précédent dans les annales du royaume.

    Trois membres éminents du clan Sultan, du nom de l’inamovible patron du ministère de la défense pendant trente ans, ont été évincés par une série de décrets parus le 14 mai 2014. Bandar Ben Sultan, l’ancien chef des services de renseignement, dégagé en février, a ainsi entrainé dans sa disgrâce ses deux frères, Salman Ben Sultan, son adjoint opérationnel en Jordanie au sein du PC intégré de l’alliance islamo atlantiste, ainsi que leur frère ainé, Khaled Ben Sultan, vice-ministre de la défense, tous les deux déchargés de leurs fonctions. Khaled Ben Sultan, l’ancien interface du général Norman Schwarzkoff lors de la première guerre contre l’Iran, en 1990-1991, est propriétaire du journal Al Hayat. Son fils avait fait l’objet d’une interception spectaculaire de la police new yorkaise, l’été 2013, verbalisé, menotté et plaqué à terre, pour «stationnement abusif et rébellion à agent de la force publique ayant autorité». Salman, lui, a longtemps été le plus proche collaborateur de son frère Bandar du temps où son ainé occupait le poste d’ambassadeur d’Arabie saoudite à Washington. 

    Dans la guerre de Syrie, il dirigeait depuis Amman (Jordanie), le PC opérationnel du bloc islamo-atlantiste groupant l’Arabie saoudite, les Emirats arabes Unis, la Jordanie, les Etats Unis, la France, le Royaume Uni et la Turquie, coordonnant le ravitaillement en armes et munitions des djihadistes, leur financement, leur rétribution de même que leur transport sur le champ de bataille.

    La succession de revers qui s’abat sur cette fratrie apparaît parait comme la sanction d’un échec de ce clan, longtemps détenteur du secteur névralgique de la défense, de surcroît pour le plus pro américain de la configuration saoudienne.Les fils du Roi aux commandes

    Le roi, octogénaire, de santé déclinante, a ainsi verrouillé sa succession en confiant à ses propres fils, les postes clés du royaume, au prétexte de sanctionner les responsables au premier chef du désastre de Syrie.

    Acteur-clé au Moyen-Orient et premier exportateur mondial de pétrole brut, le Roi Abdallah, prudent et prévoyant, a ainsi placé son fils aîné, Mout’eb au poste stratégique de deuxième vice-président du conseil, scellant l’ordre de succession au bénéfice de son fils, sans possibilité d’en modifier l‘ordre de succession. Son deuxième fils, Mecha’al, a été nommé gouverneur de la région de la Mecque, la capitale religieuse du royaume et son 3eme fils, Turki, gouverneur de Ryad, sa capitale politique et financière. La fratrie Abdallah conserve dans son giron la «Garde Nationale», traditionnelle contrepoids aux forces régulières.

    Ce tsunami dans l’ordre successoral du royaume et son ordre de préséance ne s’est accompagné de la moindre compensation pour les autres composantes de la famille royale, particulièrement en faveur de l’autre grande branche de la famille royale, le clan Soudeiry, rivale historique du clan Shammar, dont est issu le Roi Abdallah. Le clan Soudeiry, du nom patronymique de l’une des épouses du fondateur du Royaume Abdel Aziz, groupait autour du roi Faysal, ses six frères, le roi Fahd, Le prince Sultan, ministre de la défense, le prince Mohamad, ministre de l’intérieur, le prince Salman, gouverneur de Ryad, le prince Ahmad, gouverneur de La Mecque ainsi que le prince Abdel Rahman, ancien vice-ministre de la défense.  Les héritiers du Roi Fahd, décédé en 2005, ont été écartés de la scène publique, en l’espace d‘un an, sans susciter la moindre protestation, tant leur inaptitude au pouvoir était manifeste: Abdel Aziz Ben Fahd, ministre d’état sans portefeuille et ancien partenaire en affaires de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, a été démissionné du gouvernement, sans autre forme de procès, déconsidéré par les gazouillis d’un mystérieux délateurs au nom de «Moujtahed».  Son frère Mohamad, lui, a été relevé de ses fonctions de gouverneur de la région orientale du Royaume, la zone pétrolifère de Zahrane. Tous deux sont désormais mal placés dans la course à la succession. Le prince Turki Ben Salman, président d’un important groupe de presse saoudien, le groupe «As Chark Al Awsat», et propre fils du prince héritier Salman, a été dégagé de ses responsabilités le 6 avril 2014.

    La propulsion des fils du Roi aux commandes de l’état s’est accompagnée d’une importante promotion d’officiers supérieurs à la tête des états-majors des trois armes (air terre mer). Question sans doute de s’assurer l’allégeance du commandement interarmes saoudien longtemps aux mains du Clan Sultan : http://www.al-akhbar.com/node/20652

    A grand renfort de pétrodollars, l’Arabie saoudite a lancé une vigoureuse contre offensive politique pour neutraliser les effets des soulèvements populaires arabes, forgeant un glacis diplomatique autour des pétromonarchies par l’adjonction du Maroc et de la Jordanie, injectant quantités de dollars aux organisations islamistes arabes, en Egypte pour inciter le courant salafiste à se rendre maitre de la contestation populaire, en Syrie pour déstabiliser le régime de Bachar Al-Assad. Sans crainte du ridicule, Ryad a même été jusqu’à sommer la Syrie de procéder à des réformes, sans se rendre à quelle point cette exhortation était malvenue en ce qu’elle plaçait la monarchie saoudienne, qui passe pour être parmi les plus autoritaires du monde, en porte à faux avec les aspirations de son propre peuple, dont elle bride ses plus élémentaires libertés, particulièrement la conduite des femmes au volant.

    Talonnée par la Turquie, qui se propose de devenir le pôle de référence régionale sur la base de sa diplomatie néo ottomane, la dynastie wahhabite, le foyer de l’intégrisme entend fédérer les états arabes non pas contre Israël, dont il est le principal bénéficiaire de ses coups de butoir contre le noyau dur du monde arabe, mais contre l’Iran chiite, parvenue au rang de puissance du seuil nucléaire en dépit d’un embargo de trente ans, dont il projette d’en faire, après l’Egypte nassérienne dans la décennie 1960, et l’Irak baasiste dans la décennie 1980, un nouvel abcès de fixation en vue de détourner la foudre qui risque de s’abattre sur la dynastie wahhabite.

    L’interview à la télévision israélienne de l’ancien Vice président syrien, Abdel Halim Khaddam, transfuge baasiste allié des Frères Musulmans, la participation de la branche syrienne des Frères Musulmans à un colloque de l’opposition syrienne à Paris, en juillet 2011, sous l’égide de Bernard Henry Levy, le fer de lance de la stratégie médiatique israélo américaine sur le théâtre européen, ainsi que le rôle de ministre occulte des affaires étrangères assumé par le philosophe français auprès de la rébellion libyenne ont jeté un voile de suspicion sur les motivations profondes de la confrérie.

    Quarante deux ans de coopération stratégique avec les Etats-Unis ont débouché sur la judaïsation quasi complète de Jérusalem, la colonisation quasi-totale de la Palestine, l’implosion de l’Irak et la perte du pouvoir sunnite à Bagdad, le démembrement du Soudan par l’aménagement d’une enclave pro israélienne à l’embouchure du Nil, l’implosion de la Libye, sans pour autant que l’Arabie saoudite ne remette en question sa collaboration avec le Grand protecteur d’Israël, la caution de tous ses passes droits.

    Le meilleur allié des pays occidentaux contre le nationalisme arabe et son partenaire essentiel dans l’implosion de l’Union soviétique, via la guerre d’Afghanistan, est, paradoxalement, le plus stigmatisé en la personne du petit fils d’un des fondateurs Tareq Ramadan par les intellectuels les plus pro américains de la scène européenne comme en témoignent les imprécations quasi quotidiennes de Sainte Catherine Fourest contre «Frère Tariq».

    Des informations de presse ont fait état, de manière répétitive, de contacts entre les Frères Musulmans (FM) et l’administration américaine visant à la réhabilitation politique de la l’organisation pan islamique, particulièrement active alors en Egypte et en Libye, depuis le coup de force de l’Otan, de même qu’en Syrie, dans une moindre mesure en Tunisie, et dont la branche palestinienne n’est autre que le Hamas. La levée de l’ostracisme qui frappait la confrérie était destinée à s’assurer sa coopération dans la stratégie américaine et compenser quelque peu l’impéritie des Etats-Unis dans la zone, du fait de son impuissance face à Israël en ce qui concerne le gel de la colonisation et la relance des négociations israélo-palestiniennes.

    La rencontre, en Mai 2011, au Caire du ministre français des affaires étrangères, M. Alain Juppé, avec des représentants de la confrérie, ressortissait d’un tel schéma, dont le terme ultime devait être, selon le schéma américain, la mise en parenthèse de l’hostilité de l’organisation pan islamique à l’Etat hébreu.

    Sous couvert de guerre contre le terrorisme, l’Arabie saoudite a opéré un rapprochement tangible avec Israël, criminalisant la confrérie des Frères Musulmans, renouant avec Mahmoud Abbas, dans une tentative de renflouement de la question palestinienne, la grande oubliée du «printemps arabe», en vue d’accompagner le règlement du conflit israélo-arabe selon un schéma américain conférant un statut minoré au futur état palestinien.

    Mais la chute de la place forte islamiste de Yabroud en Syrie, le verrou de Damas, aux mains des forces gouvernementales syriennes, le 15 mars 2014, le jour même du référendum du rattachement de la Crimée à la Russie traduit une exacerbation de la rivalité des puissances entre le bloc atlantiste et ses adversaires, à l’effet de fausser les plans des Américains et de leurs alliés saoudiens tant en Syrie que dans l’hinterland stratégique de la Russie et propulser l’ancien Empire des tsars au rang d’interlocuteur fiable au niveau du Monde arabe, longtemps diabolisé du fait de l’athéisme marxiste soviétique.

    La chute de Yabroud, 10 mois après le perte de Qoussayr, devrait sécuriser les voies de ravitaillement du Hezbollah libanais et tarir quelque peu le flux djihadiste de Syrie vers le Liban. Un tel développement stratégique, tant sur le plan militaire en Syrie que diplomatique en Ukraine, devrait donner plus d’écho à la retentissante mise en garde de Mahmoud Abbas, dépité par le comportement américain:

    «Ne faites jamais confiance aux Américains. Si vous voulez récupérer vos droits, adressez-vous aux Russes», a lancé le dirigeant palestinien exacerbé par les nouvelles requêtes américaines concernant de nouvelles concessions palestiniennes en faveur d’Israël. Pour le lecteur arabophone, la totalité de cette déclaration sur ce lien: http://www.al-akhbar.com/node/202185

    Ni l’offre du Qatar de louer à des prix faramineux les deux bases russes en Syrie, sur la Méditerranée, ni la proposition mirobolante de Bandar Ben Sultan d’un partenariat énergétique entre l’Arabie saoudite et la Russie, -un pacte de non concurrence dans le domaine du pétrole et du gaz, doublé d’un contrat militaire de 14 milliards de dollars-, n’auront eu raison du soutien russe à la Syrie en ce que Moscou a voulu apporter, dans la bataille de Syrie, au-delà des considérations stratégiques, la preuve de sa loyauté à l’égard d’un pays qui aura été, avec l’Algérie, le seul allié arabe fiable en dépit de l’effondrement de l’empire soviétique. Pour le lecteur arabophone, l’offre de Bandar à Poutine: http://www.al-akhbar.com/node/191263

    Soldant sans état d’âme l’ère Bandar, l’ancien patron de la nébuleuse islamiste, la dynastie wahhabite pense avoir déblayé la voie à la grande réconciliation saoudo américaine, concrétisée par la visite à Ryad de Barack Obama, fin mars, une période correspondant à la reprise des négociations irano américaines sur le nucléaire iranien.

    Dans un mouvement de balancier, le royaume saoudien a accordé le grand pardon royal à ses enfants prodiges djihadistes, diabolisant les Frères Musulmans, son ancien pupille, et, dans un ultime cadeau d’un roi octogénaire en phase crépusculaire de son règne, le Roi Abdallah a couplé cette démarche en impulsant une refonte de l’archaïque système éducatif saoudien, si préjudiciable à l’image du Royaume, à l’image de l’Islam et à la stratégie de ses alliés du bloc atlantiste.

    Au-delà des rivalités de voisinage et des conflits de préséance, la diabolisation des Frères Musulmans, la matrice originelle d’Al Qaida et de ses organisations dérivées, apparait ainsi comme une grande opération de blanchissement des turpitudes saoudiennes et de dédouanement de la dynastie à son soutien à la nébuleuse du djihadisme erratique depuis son apparition dans la décennie 1980 lors de la guerre anti soviétique d’Afghanistan.

    Un parrainage qui a valu à l’Irak d’assumer, par substitution, la fonction de victime sacrificielle d’un jeu de billard à trois bandes, en 2003, en compensation au châtiment de l’Arabe saoudite pour sa responsabilité dans les attentats du 11 septembre 2001 contre les symboles de l’hyperpuissance américaine.

    Cette décision à l’encontre d’une confrérie, qu’elle a longtemps couvée, qui fut de surcroît son instrument docile dans sa guerre contre les régimes républicains du versant méditerranéen du Monde arabe, témoigne du brutal retournement de situation à l’égard d’une organisation, jadis portée au pinacle désormais vouée aux gémonies.

    A l’apogée de sa puissance au début du «printemps arabe», en 2011, l’unique formation transnationale arabe se retrouve à son périgée trois ans plus tard, en butte désormais aux coups de butoir conjugués de son pays d’origine, l’Egypte, et de son pays incubateur, l’Arabie saoudite, les deux plus grands pays arabes, le premier par sa puissance militaire, le second par sa puissance économique.

    La criminalisation des Frères Musulmans s’est doublée, dans la foulée, de l’inscription sur la liste des organisations terroristes, deux autres de ses excroissances, le Front As Nosra de Syrie et l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), et pour faire bonne mesure, deux organisations chiites, les rebelles zaïdites dits Houthis du Yémen, et, naturellement, le Hezbollah Libanais, le diable habillé en Prada iranien. Elle a coïncidé avec le grand chamboulement du personnel diplomatique opérant sur le front de Syrie avec la mise à l’écart d’une personnalité majeure du conflit, Robert Ford, le cerbère américain auprès de l’opposition off–shore et l’évacuation sanitaire du prince Bandar Ben Sultan, de même que l’exfiltration vers le Qatar du représentant français Eric Chevallier, ancien chargé de mission auprès de Bernard Kouchner, conséquence des revers du camp atlantiste en Syrie et du déferlement djihadiste qui s’en est ensuivi.

    Un tel ravalement cosmétique devait doter les alliés arabes du bloc atlantiste d’une image bonifiée et offrir, dans l’esprit de ses ordonnateurs, une meilleure exposition médiatique à l’opinion internationale. Mais c’était sans compter sur le surgissement de Da’ech, fruit de la copulation contre nature entre la grande démocratie américaine et le royaume des ténèbres saoudiens.

    Cette crise, la plus violente depuis la création du Conseil de coopération du Golfe, il y a trente ans, parait devoir entraver le fonctionnement de l’ultime instance régionale de coopération arabe encore en activité.

    En pointe dans le combat de la contre révolution arabe, ce syndicat des pétromonarchies du Golfe, sous haute protection militaire occidentale, parait devoir réduire sa voilure, non seulement en raison de la guerre entre les frères ennemis du wahhabisme, mais aussi du fait du souci du 6eme membre, le Sultanat d’Oman, de se maintenir à l’écart de ce conflit fratricide, cherchant auprès de l’Iran un contrepoids à la prééminence du duo saoudo qatariote au sein de cette organisation. Un pont reliant Oman à l’Iran devrait être édifié via le détroit d’Ormuz concrétisant l’alliance scellée à l’occasion de la visite du président iranien Hassan Rouhani à Mascate, le 12 mars 2014. Formé des six pétromonarchies du Golfe, (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Koweït, Qatar, Sultanat d’Oman), le Conseil de Coopération du Golfe a été mis sur pied dans la décennie 1970 au moment de l’accession à l’indépendance de l’ancienne côte des pirates, dans la foulée du retrait britannique à l’Est de Suez. Les six pétromonarchies abritent chacune une importante base occidentale, faisant de la zone la plus importante concentration militaire atlantiste, hors de l’Otan.

    Que le Mufti de l’Otan (87 ans) soit parvenu, au soir de sa vie, à saborder les relations entre les meilleurs alliés de l’Otan, ses supplétifs dans la recolonisation du Monde arabe donne la mesure de la fragilité de cet édifice et de ses adhérents.

    La rivalité entre Qatar et l’Arabie est historique quoique feutrée. Elle remonte à la fondation du royaume wahhabite au début du XX me siècle, lorsque le Roi Abdel Aziz, fondateur de la dynastie wahhabite, avait ordonné le rattachement du Qatar à la province saoudienne d’Al Hassa, faisant de la principauté un département de son royaume. Un contentieux résolu en 1965 à la suite de fortes pressions de Haut-Commissaire britannique enjoignant aux deux pays de ratifier un accord de délimitation des frontières.

    Le rebond de la crise résulte tant du refus viscéral de l’Arabie saoudite de cautionner des coups d’état comme mode de changement de régime au sein des pétromonarchies, -comme ce fut le cas à deux reprises au Qatar-, que de la volonté de Doha de se soustraire de la tutelle de l’Arabie saoudite, pesante sur le fonctionnement du Conseil de coopération du Golfe. En soutenant les Frères Musulmans, honnis par la dynastie wahhabite et les Houthistes du Yémen, le Qatar a exacerbé les tensions entre les deux monarchies. http://www.al-akhbar.com/node/202041

    La mise à l’index des Frères Musulmans tant par l’Arabie saoudite qu’auparavant par l’Egypte a  fragilisé considérablement la branche syrienne de la confrérie, un des principaux vecteurs du combat anti Assad, de même que les formations rigoristes sunnites de Tripoli (Nord Liban), dont les membres, tiraillés entre leurs anciennes excroissances  djihadistes, -Jabhat  An Nosra et Da’ech-,  paraissent devoir payer le prix de ses divisions.

    Les rencontres répétées avec les dirigeants israéliens de Turki Ben Faysal, leparrain originel d’Oussama Ben Laden durant la guerre d’Afghanistan, dans la décennie 1980, tant à Monaco, le 10 décembre 2013, avec son ancienne collègue du Mossad Tzipi Livni, chargée des négociations avec les Palestiniens, qu’à Davos, en février 2014 avec le président israélien Shimon Pérès, de même que le déplacement à Ramallah du prince Walid Ben Talal ont constitué les signes avant-coureurs de cette évolution. De même que l’attribution par l’Arabie saoudite à une société israélienne la responsabilité de la sécurité du pèlerinage à La Mecque et de l’aéroport de Doubaï, le lieu même du meurtre du dirigeant militaire du Hamas Al Mabhouh.

    La maison-mère G4S fournit non seulement des équipements de sécurité aux colons dans les territoires occupés palestiniens, mais participe aux interrogatoires musclés de détenus palestiniens dans plusieurs prisons israéliennes. Dans le monde arabe, elle emploierait 44 000 personnes dans 16 pays, notamment aux aéroports de Bagdad et de Dubaï.

    Outre l’intérêt financier de ces contrats, la filiale saoudienne de la société israélienne Al Majal G4S peut disposer des relevés d’identité de millions de pèlerins musulmans, y compris leur photo et leurs empreintes digitales.

    A l’instar de son rival du Qatar, la dynastie wahhabite, pour la survie de son trône, a fait donc le choix d’Israël contre l’Iran, pourtant en phase ascendante……sous couvert de lutte contre les Frères Musulmans, dont l’alliance contre nature avec le philo-sioniste Bernard Henry Lévy tant en Libye que dans la bataille de Syrie ne leur a été d’aucun secours, de même que leur rôle de facteur de nuisance des Etats Unis dans la zone depuis la fin de la 2eme guerre mondiale.

    La centralité de l’islam wahhabite dans la sphère spirituelle musulmane ne saurait souffrir la moindre compétition. Tel est le message de la dynastie wahhabite aux éventuels contestataires de son leadership. Autrement dit, «plus religieux que les wahhabites tu meurs».

    Dans un contexte exacerbé de surcroît par l’accession de l‘Iran au statut de «puissance du seuil nucléaire», la confrérie pouvait-elle demeurer, sans dommage, la courroie de transmission de la diplomatie saoudo américaine? Sera-telle, du fait de la scissiparité qui la menace, phagocytée par la révolution?

    Destituée en Egypte après un an de pouvoir, mise à l’index à Gaza en dépit du succès électoral de sa branche palestinienne, le Hamas, sur la défensive en Tunisie, débordée sur son extrême droite par des groupements dont elle a constitué l’ossature militaire et idéologique (Al Qaida et Jabhat An Nosra), la confrérie surmontera-t-elle sa pente naturelle en cherchant à briguer des responsabilités bonifiées par les enseignements de ses errements longtemps calamiteux pour l’ensemble de la sphère arabo musulmane?

    Au XX me siècle, à l’apogée de la guerre froide, face à l’ennemi officiel de ses parrains, l’Union soviétique, les Frères Musulmans ont parfaitement rempli leur mission, contribuant à l’implosion de l’ogre athée en Afganistan, et à la déstabilisation de ses alliés arabes, l’Egypte et la Syrie.

    Au XXI me siècle, l’ennemi à abattre est un pays musulman, l’Iran chiite en voie de nucléarisation, un défi autrement plus douloureux en ce que la confrérie et la révolution islamique iranienne ont constamment veillé à observer un modus vivendi entre leur deux systèmes politiques à fondement religieux et, à leur décharge, à prévenir les guerres instestines interreligieuses, sur une base sectaire.

    L’irruption du dijihadisme salafisite takfiriste à l’échelle planétaire, particulièrement l’Etat Islamique, a changé la donne en ce que le disciple se veut «incontrolable», dans son combat tous azimut, sa sulfateuse omnidirectionnelle, aussi bien contre les impies que contre les rénégats. Une posture qui convient mieux à la configuration géostratégique de la zone et aux prédispositions mentales de son parrain originel: la dynastie wahhabite, engagé dans une politique de la terre brulée pour la survie de son trône.

    Une alliance de revers entre l’Iran et la confrérie des FM pourrait prendre en tenaille leur adversaire commmun saoudien, par un dépassement de l’antagonisme chiite sunnite. Un retournement qui rendrait caduc le discours wahhabite et obsolète l’instrumentalisation de son succédané Da’ech.

    Pour ce faire, il incomberait auparavant aux Frères Musulmans d’Egypte, la matrice de l’organisation, de se purger de ses scories, en s’amputant de sa branche syrienne virusée par sa connivence avec les groupements takfirites dans la guerre de Syrie et qui menace de gangréner l’ensemble de la confrérie. Quelque soit le détenteur du pouvoir au Caire, le maréchal Abdel Fatah Sissi ou les Frères Musulmans, une convergence entre l’Egypte et l’Iran réduirait nécessairement la nuisance de la triplette Israël-Turquie-Arabie saoudite. N’est pas Clausewitz qui veut. 

    Faute d’un sursaut salvateur, à défaut d’une sérieuse remise en cause de son mode opératoire, à n’y prendre garde, le doyen des mouvements fondamentalistes du Monde arabe et musulman pourrait apparaître rétrospectivement comme un vestige de la guerre froide soviéto américaine… Avec comme unique trophée les stigmates de son parcours erratique, qui fera passer dans l’histoire cette formation quasi centenaire comme une NEO (Net Errors and Omissions) par excellence de cette séquence, comme il se dit dans la comptabilité occulte des paradis opaques saoudo-américains.

    L’histoire retiendra que le poignard dans le dos des Frères Musulmans a été planté, non par de mécréants laïcs, ou d’affreux nationalistes arabes, voire même d’horribles communistes, mais par un régime théocratique se réclamant de la même religiosité intégriste qu’eux. Le commerce de la religion peut réserver, parfois, de bien vilaines surprises.

    1. Pour une problématique de l’alliance de l’Islam sunnite avec les Etats-Unis d’Amérique depuis la fin de la II me Guerre Mondiale, Cf à ce propos «Les Révolutions arabes ou la malédiction de Camp David» René Naba, Editions Golias – Mai 2011.
    2. Les Frères Musulmans ailleurs dans le Monde arabe
    • En Syrie sur ces liens https://www.madaniya.info/2014/09/01/freres-musulmans-syrie-et-organisations-takfiristes/
    • https://www.madaniya.info/2014/09/01/revolte-hama-1982-repetition-generale-du-soulevement-syrien-2011/
    • En Palestine, la confrérie est représentée par le Hamas (le Mouvement de la résistance islamique créé en 1987), dont la charte précise bien la filiation avec «le Mouvement de la résistance islamique, l’une des ailes des Frères Musulmans en Palestine». Vainqueur des élections législatives de 2006, avec soixante quatorze sièges contre quarante cinq pour le Fatah, le gouvernement Hamas d’Ismail Haniyeh sera tout de même évincé par le président Mahmoud Abbas en juin 2007, lorsque les forces armées du Hamas ont pris par la force le contrôle de la bande de Gaza. La branche jordanienne des Frères Musulmans (créée en 1942) est le principal parti d’opposition du pays, le seul parti politique jordanien toléré par le roi Hussein, sous le nom de « Front islamique d’action».
    • Au Soudan, Les Frères Musulmans sont présents depuis 1949 et ont pour chef Hassan Al-Tourabi. Des partis islamiques kurdes sont également plus ou moins proches des Frères Musulmans.
    • L’Union islamique du Kurdistan est présente au Parlement kurde, mais reste minoritaire face à des partis laïcs comme l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) du président irakien Jalal Talabani, et le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani, chef du district du Kurdistan irakien.
    • La tentative d’OPA des salafistes égyptiens sur le mouvement contestataire égyptien 29 juillet 2011 à Tahrir, «le vendredi de la réaction et du sectarisme vu par Hossam El-Hamalawi http://egyptesolidarite.wordpress.com/2011/08/06/29-juillet-2011-a-tahrir-le-vendredi-de-la-reaction-et-du-sectarisme-vu-par-hossam-el-hamalawi/
    • Sur les perspectives post révolutionnaires des relations Armée Frères Mususlmans. Cf Analyse des racines de la «révolution démocratique» en Egypte par Omar El-Shafei http://egyptesolidarite.wordpress.com/2011/07/22/analyse-des-racines-de-la-revolution-democratique-en-egypte-par-omar-el-shafei/
    • Ainsi que le cri d’alarme de 36 ONG le 24 août 2011 au Caire qui dénoncent les «successeurs du régime Moubarak et leurs assauts répétés contre la société civile et la liberté d’association».

    Journaliste-écrivain, ancien responsable du Monde arabo musulman au service diplomatique de l’AFP, puis conseiller du directeur général de RMC Moyen-Orient, responsable de l’information, membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme et de l’Association d’amitié euro-arabe. Auteur de « L’Arabie saoudite, un royaume des ténèbres » (Golias), « Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire français » (Harmattan), « Hariri, de père en fils, hommes d’affaires, premiers ministres (Harmattan), « Les révolutions arabes et la malédiction de Camp David » (Bachari), « Média et Démocratie, la captation de l’imaginaire un enjeu du XXIme siècle (Golias). Depuis 2013, il est membre du groupe consultatif de l’Institut Scandinave des Droits de l’Homme (SIHR), dont le siège est à Genève et de l’Association d’amitié euro-arabe. Depuis 2014, il est consultant à l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève. Editorialiste Radio Galère 88.4 FM Marseille Emissions Harragas, tous les jeudis 16-16H30, émission briseuse de tabous. Depuis le 1er septembre 2014, il est Directeur du site Madaniya.