L’île, l’un des 5 territoires d’outre-mer de l’Asie-Pacifique gouvernés par la France, est sous domination coloniale française depuis 1853. Le peuple autochtone kanak a initié ce cycle de contestation après que le gouvernement français d’Emmanuel Macron a étendu le droit de vote aux élections provinciales à des milliers de colons français dans les îles. Les troubles ont conduit Macron à suspendre les nouvelles règles tout en soumettant les insulaires à une sévère répression. Ces derniers mois, le gouvernement français a imposé l’état d’urgence et le couvre-feu sur les îles et a déployé des milliers de soldats français qui , selon M. Macron , resteront en Nouvelle-Calédonie “aussi longtemps qu’il le faudra”.

Plus d’un millier de manifestants ont été arrêtés par les autorités françaises, y compris des militants indépendantistes kanaks comme Christian Tein, le chef de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), et certains d’entre eux ont été envoyés en France pour y être jugés. Les accusations portées contre Tein et d’autres, notamment pour crime organisé, seraient risibles si les conséquences n’étaient pas aussi dramatiques. Si la France a réprimé aussi sévèrement les manifestations en Nouvelle-Calédonie, c’est parce que la vieille nation impériale utilise ses colonies non seulement pour exploiter ses ressources (elle détient la 5° réserve mondiale de nickel), mais aussi pour étendre son influence politique à travers le monde – en l’occurrence, pour marquer de sa présence militaire aux abords de la Chine.

Les États-Unis et leurs alliés organisent des exercices RIMPAC depuis 1971. Les 1° partenaires de ce projet militaire sont l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis, également les 1° membres du réseau de renseignement Five Eyes (aujourd’hui Fourteen Eyes), créé pour partager des informations et mener des exercices de surveillance concertés. Ils sont également les principaux pays anglophones de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN, créée en 1949) et membres du traité stratégique Australie-Nouvelle-Zélande-États-Unis (ANZU.S.), signé en 1951. RIMPAC est devenu un exercice militaire biennal majeur attirant un certain nombre de pays présentant diverses formes d’allégeance au Nord (Allemagne, Belgique, Brésil, Brunei, Chili, Colombie, Équateur, France, Inde, Indonésie, Israël, Italie, Japon, Malaisie, Mexique, Pays-Bas, Pérou, Philippines, République de Corée, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande et Tonga).

Fatu Feu’u, Samoa, “Mata Sogia”, 2009.

Ces manœuvres comprennent la création de nouvelles bases militaires américaines dans les territoires et pays entourant la Chine, l’utilisation de navires militaires américains et alliés pour provoquer la Chine par le biais d’exercices de “navigation libre”, la menace de positionner des missiles nucléaires américains à courte portée dans des pays et territoires alliés des États-Unis, y compris Taïwan, l’extension de la base aérienne de Taïwan, la mise en oeuvre d’un système de contrôle du trafic aérien et d’un système de contrôle de l’accès à l’espace aérien, y compris Taïwan, l’extension de l’aérodrome de Darwin, en Australie, pour y déployer des avions américains équipés de missiles nucléaires, le développement de la coopération militaire avec les alliés des États-Unis en Asie de l’Est dans des termes qui démontrent précisément leur intention d’intimider la Chine, et l’organisation des manœuvres RIMPAC, ces dernières années.

Bien que la Chine ait été invitée à participer aux exercices RIMPAC 2014 et 2016, lorsque les tensions n’étaient pas aussi vives, elle n’a plus été conviée depuis RIMPAC 2018. Bien que les documents RIMPAC suggèrent que ces manœuvres militaires sont menées à des fins humanitaires, elles ne sont qu’un cheval de Troie. On en a vu un exemple lors du RIMPAC 2000, lorsque les militaires ont organisé l’exercice international d’entraînement à la réponse humanitaire Strong Angel. En 2013, les États-Unis et les Philippines ont coopéré pour fournir une assistance humanitaire après le typhon dévastateur Haiyan. Peu après, les États-Unis et les Philippines ont signé l’accord de coopération renforcée en matière de défense (2014), qui permet aux États-Unis d’accéder aux bases de l’armée des Philippines pour entretenir leurs dépôts d’armes et leurs troupes. En d’autres termes, les opérations humanitaires ont ouvert la voie à une coopération militaire plus poussée. RIMPAC est un événement militaire à tirs réels. La partie la plus spectaculaire de l’exercice est le Sinking Exercise (SINKEX), un exercice qui consiste à couler des navires de guerre déclassés au large des côtes d’Hawaï. Le navire cible de RIMPAC 2024 sera l’U.S.S Tarawa, un navire d’assaut amphibie de 40 000 tonnes, l’un des plus imposants à l’époque où il était en service. Aucune étude d’impact environnemental n’a été réalisée sur le naufrage régulier de ces navires dans les eaux proches des nations insulaires, pas plus que l’on ne connaît l’impact environnemental de l’organisation de ces vastes exercices militaires, non seulement dans le Pacifique, mais partout ailleurs dans le monde. RIMPAC fait partie de la nouvelle guerre froide contre la Chine que les États-Unis imposent à la région. Il est conçu pour provoquer des conflits. Cela fait de RIMPAC un exercice très dangereux.

Kelcy Taratoa, Aotearoa, “Episode 0010 de la série Who Am I ? Episodes”, 2004.

Israël, pays non riverain de l’océan Pacifique, a participé pour la 1° fois à RIMPAC 2018, puis 2022 et 2024. Bien qu’Israël ne dispose pas d’avions ou de navires dans l’exercice militaire, il participe néanmoins à sa composante “interopérabilité”, notamment en mettant en place un commandement et un contrôle coordonnés et en collaborant à la partie de l’exercice relative au renseignement et à la logistique. Israël participe à RIMPAC 2024 alors même qu’il se livre à un génocide contre les Palestiniens de Gaza. Bien que plusieurs des États observateurs de RIMPAC 2024 (comme le Chili et la Colombie) aient ouvertement condamné le génocide, ils continuent de participer à RIMPAC 2024 aux côtés de l’armée israélienne. Il n’y a eu aucune mention publique de leur réticence quant à l’implication d’Israël dans ces dangereux exercices militaires interarmées. Israël est un pays colonisateur qui poursuit son apartheid meurtrier et son génocide contre le peuple palestinien. Bien que la participation d’Israël ne soit pas surprenante, le problème ne réside pas tant dans sa participation à RIMPAC que dans l’existence même de RIMPAC. Israël est un État d’apartheid qui mène un génocide, et RIMPAC est un projet colonial qui fait planer la menace d’une guerre d’anéantissement contre les peuples du Pacifique et de la Chine.

Dans le Pacifique, les communautés indigènes d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande) à Hawaï ont manifesté contre RIMPAC au cours des 50 dernières années, dénonçant des exercices se déroulant sur des terres et des eaux volées, indifférents à l’impact négatif pour les communautés indigènes, dont les terres et les eaux sont le théâtre d’exercices à tir réel (y compris des zones où des essais nucléaires atmosphériques ont été effectués par le passé), contribuant au désastre climatique qui fait monter le niveau des eaux et menace l’existence des communautés insulaires.Ce sont les noms d’îles déjà frappées par les essais nucléaires français. Il n’y a pas de ponctuation entre les noms, preuve, d’une part, que la disparition d’une île ou d’un pays ne signifie pas la fin de la contamination nucléaire, et que les eaux qui baignent les îles ne divisent pas les peuples vivant sur de vastes étendues océanes, mais les unissent contre l’impérialisme.

Te Kuaka (Aotearoa)
Red Ant (Australie)
Workers Party of Bangladesh (Bangladesh)
Coordinadora por Palestina (Chili)
Judíxs Antisionistas contra la Ocupación y el Apartheid (Chili)
Partido Comunes (Colombie)
Congreso de los Pueblos (Colombie)
Coordinación Política y Social, Marcha Patriótica (Colombie)
Partido Socialista de Timor (Timor Leste)
Hui Aloha ??ina (Hawai’i)
Communist Party of India (Marxist-Leninist) Liberation (Inde)
Federasi Serikat Buruh Demokratik Kerakyatan (Indonésie)
Federasi Serikat Buruh Militan (Indonésie)
Federasi Serikat Buruh Perkebunan Patriotik (Indonésie)
Pusat Perjuangan Mahasiswa untuk Pembebasan Nasional (Indonésie)
Solidaritas.net (Indonésie)
Gegar Amerika (Malaisie)
Parti Sosialis Malaysia (Malaisie)
Pas de guerre froide
Awami Workers Party (Pakistan)
Haqooq-e-Khalq Party (Pakistan)
Mazdoor Kissan Party (Pakistan)
Partido Manggagawa (Philippines)
Partido Sosyalista ng Pilipinas (Philippines)
The International Strategy Center (République de Corée)
Janatha Vimukthi Peramuna (Sri Lanka)
Tricontinental : Institut de recherche sociale
Parti communiste du Népal (socialiste unifié)
CODEPINK : Women for Peace (États-Unis)
Nodutdol (États-Unis)
Parti pour le socialisme et la libération (États-Unis)

Ralph Ako, Îles Salomon, “Toto Isu”, 2015.

Cet élan a poussé Déwé Gorodé à fonder le Groupe 1878 (du nom de la rébellion kanak de cette année-là), puis le Parti de libération kanak (PALIKA) en 1976, issu du Groupe 1878. Les autorités ont emprisonné Mme Gorodé à plusieurs reprises de 1974 à 1977 pour son rôle de leader dans la lutte du PALIKA pour l’indépendance vis-à-vis de la France. Pendant sa détention, Mme Gorodé a créé le Groupe de femmes Kanak exploitées en lutte avec Susanna Ounei. À leur sortie de prison, ces 2 femmes participent à la création du Front de libération nationale kanak et socialiste en 1984. Grâce à une lutte concertée, Déwé Gorodé a été élue vice-présidente de la Nouvelle-Calédonie en 2001. Lorsque les mobilisations populaires ont déferlé sur la Nouvelle-Calédonie au mois de mai, je me suis empressé de remettre la main sur un recueil de poèmes de l’indépendantiste kanak Déwé Gorodé (1949-2022) intitulé Sous les cendres des conques (1974). Dans ce livre, écrit l’année même où Déwé Gorodé rejoint le groupe politique marxiste des Foulards rouges, elle écrit le poème “Zoneinterdite”, qui se termine ainsi :

Reao Vahitahi Nukutavake
Pinaki Tematangi Vanavana
Tureia Maria Marutea
Mangareva MORUROA FANGATAUFA
Zone interdite
quelque part en Polynésie
Polynésie dite “française”.

Stéphane Foucaud, Nouvelle-Calédonie, “MAOW”, 2023.

En 1985, 13 pays du Pacifique Sud ont signé le traité de Rarotonga, qui instaure une zone dénucléarisée de la côte Est de l’Australie à la côte Ouest de l’Amérique du Sud. En tant que colonies françaises, ni la Nouvelle-Calédonie ni la Polynésie française ne l’ont signé, mais d’autres l’ont fait, notamment les Îles Salomon et Kki ‘Airani (Îles Cook). Déwé Gorodé est aujourd’hui morte, et les armes nucléaires américaines sont en passe de pénétrer le nord de l’Australie, en violation du traité. Mais la lutte ne faiblit pas pour autant.

Les routes sont toujours bloquées. Les cœurs sont toujours en éveil.