Le capital se révèle dans les détails de la vie quotidienne. Ce n’est pas seulement du profit, mais cela produit un mode de vie, c’est une question de planification quotidienne avec des valeurs politiques et économiques. La solitude de l’individualisme est le support le plus solide de l’économie du profit. Les hommes et les femmes solitaires consomment non seulement pour se consoler, mais aussi pour « sentir qu’ils sont là dans la lutte quotidienne » parmi la solitude, et surtout, les choix marqués par la « singularité radicale » sont considérés comme des « libertés inaliénables ». Tout est au nom de l’individualité. Le mode de production capitaliste ne produit pas seulement de l’exploitation et des marchandises, c’est donc une vision du monde tentaculaire qui pénètre la vie des subjectivités en les soumettant à la mentalité individualiste. On est entraîné à la singularité et on la gratifie de l’hypertrophie des désirs qui cultivent un sentiment enfantin de toute-puissance.

L’individuum est le résultat final de la lente et inexorable pénétration du nihilisme passif, fondement du capitalisme. Tous les désirs sont légitimes, tant qu’ils produisent des effets économiques. Le PIB est l’empereur silencieux de toute vie.

Nous ne naissons pas individu, nous devenons un individu par un processus de désocialisation. Nous naissons en tant que communauté, le capital nous transforme en atomes de migrants errants. Nous migrons d’une zone géographique à l’autre comme d’une envie à l’autre. Le capital sépare, de sorte que l’individu est ce qui reste après un long processus de désintégration des unités : les peuples et les communautés s’évaporent devant la force destructrice du libéralisme individualiste.

À l’heure actuelle, les médias et la télévision d’État ont décrété la mort de la pratique communautaire, à sa place l’individu abstrait est resté, libéré de toute contrainte communautaire et éthique ; L’individu est le dernier résidu de cette opération d’érosion communautaire. Le capitalisme absolu n’est pas le pouvoir qui submerge les subjectivités, c’est un automatisme infiltrant qui remodèle les individualités avec une gradualité tenace et obsessionnelle. L’individu abstrait sans liens familiaux et communautaires réels et stables finit par être parlé par le capital. Dans cette course à la dissolution absolue, il ne reste que l’impuissance de la politique et la subsomption réelle. Le sujet solitaire, rendu déconstruit par le silence de la raison critique, n’est qu’une machine désirante qui écoute, perçoit et ne veut que ses désirs. Le type anthropologique qui permet au capitalisme de dominer l’incrusté est constitué d’appareils anatomiques qui perçoivent le monde dans une fonction désirante-consommatrice. Le capital est un état intérieur, il n’est pas en dehors du sujet, mais le gouverne en s’installant dans ses processus délibératifs. Le « je » a donc une valeur purement juridique et formelle, car nous sommes très souvent confrontés à la répétition sans médiation critique des désirs imposés de manière persuasive. La séduction est le principe émotionnel de l’individualité. Le séducteur est celui qui est séduit par le système capitaliste.

L’infantilisme de masse, résultat final de ce processus de déstabilisation de l’unité substantielle et rationnelle du sujet, se caractérise par un désir illimité. La réalité avec ses contraintes rationnelles et réelles est oubliée, il n’y a pas de contraintes éthiques et ontologiques, mais seulement des désirs au point que la réalité coïncide avec le désir. Nous sommes face à une « pensée magique » généralisée, ce qui est désiré à un moment donné doit devenir « réalité ». Les contraintes rationnelles et objectives sont donc non seulement impensées, mais il y a surtout une aversion générale pour la rationalité critique. Les personnalités déstructurées et enfantines ne veulent pas et ne désirent pas de critique, leur but est la « confirmation » dans le style des likes sur les médias sociaux. La grande victoire du mode de production capitaliste dans sa phase apogée est la réduction de la pensée à l’expression vocale des désirs et au calcul des actions, dans un cercle étroit, pour les réaliser. Si les désirs ne sont pas réalisables, la frustration est atténuée par l’intervention thérapeutique de psychologues et de soutiens pour soutenir la personne malheureuse.

Une société de victimes désirantes se révèle chaque jour. Dans ce climat de violence, où les victimes d’automatismes inconscients sont des subjectivités réduites à des machines désirantes, pour comprendre le « capital », il convient d’analyser la réalité dans plusieurs directions et de les réunir : la finance et la vie quotidienne. Une observation attentive nous révèle la violence qui produit la rupture de toute communauté et de tout lien rationnel. La solitude à laquelle l’humanité est contrainte produit des habitudes anormales derrière lesquelles il y a un désir inconscient de communauté et de liens, auxquels nous répondons de manière irrationnelle. Il arrive de plus en plus souvent de rencontrer des individus avec des chats en laisse et des chiens en poussette. Bien sûr, personne n’ose dire un mot. Le chat n’est pas un animal à tenir en laisse, et le chien, même s’il est petit, n’est pas un animal de poussette. Des considérations triviales qui, dans le chaos de l’irrationnel, ne sont pas l’objet d’un jugement. La solitude ne permet pas à la raison rationnelle et émotionnelle de prendre forme. Le désir naturel de compagnie, normalement nié par la compétition et le délire individualiste, conduit à la solitude narcissique. Le vide communautaire est perçu, mais il n’est pas conceptualisé ; L’ensemble du système empêche cela. Vous n’êtes plus touché émotionnellement par quoi que ce soit, mais vous êtes perpétuellement exposé à la recherche tragique de l’attention. La rationalité, pour se transformer en pensée capable de saisir les contraintes naturelles de l’altérité, exige une bonne habitude d’être prêt à écouter les paroles des autres ainsi qu’à vérifier les différences naturelles entre les espèces. Dans ce climat d’irrationalité croissante, le désir personnel assimile l’altérité à l’innocence, car chez les personnes qui pratiquent et développent de telles habitudes, il n’y a pas de désir de nuire, au contraire elles sont mues par une affectivité sincère. Il n’y a pas de volonté de mal, mais c’est la solitude qui rend certains comportements réels. Le système applaudit les solutions solitaires. Là où il n’y a pas de relation entre égaux, il n’y a pas de politique.

Gaza

L’animal de compagnie est humanisé par la solitude. Le vide ontologique est comblé non seulement par les choses, mais aussi par les animaux créés en créatures anthropomorphes. L’affection sans le don de liens risque donc de devenir une forme de violence non reconnue. Les observations pourraient être étendues : de plus en plus souvent les oliviers qui donnent l’huile nourrie par la terre et son humus sont devenus des arbres d’ornement, ils sont contraints de vivre dans de petits espaces, dans des pots qui mutilent la vitalité ensoleillée et terreuse de l’arbre. Ils perdent leurs fruits perdus sur la terre aride de briques et d’asphalte. Les olives qui tombent du corps de l’arbre offensé et humilié ressemblent aux larmes noires d’une plante qui cherche la terre profonde, et qui est au contraire obligée de vivre de manière non naturelle et d’être l’objet de regards et de jugements esthétiques. Nous regardons la forme, mais rien n’est compris de son histoire millénaire qui lie la terre à l’homme par son fruit précieux. Dans ce cas également, une contrainte a été refusée. La solitude de l’olivier en pot, des plantes parfois monumentales, est la solitude de la terre qui est de moins en moins travaillée et de plus en plus abandonnée ou exploitée par les multinationales. Sans la culture de la terre, la vie se décompose en « déracinement » sans contraintes objectives.

Pour puiser l’énergie et la motivation nécessaires à la lutte contre le capitalisme, nous devons réapprendre à regarder le monde pour faire ressortir la dévastation qui se cache derrière la richesse apparente. Ramener les phénomènes qui nous parviennent à la totalité d’où ils émergent est l’un des moyens les plus importants de comprendre à quel point le capital a un impact mortel, même dans les gestes les plus simples et les plus immédiats. Ce qui nous semble évident révèle des vérités profondes.

Dans la solitude offensée de tant de nature penchée sur les désirs induits des humains, se reflète notre terrible et dépressive réalité quotidienne, qui est impitoyable. Anthropomorphiser la nature, c’est la dissimuler et n’en faire qu’un moyen.

L’individu est politiquement muet et passif, parce qu’il est décontextualisé par rapport à la communauté, c’est une personne déracinée qui cherche désespérément un point d’ancrage à sa solitude oppressante. La seule participation autorisée est le vote pour exclure les candidats de télé-réalité. La participation à la vie politique et sociale est remplacée par des votes visant à exclure ; Une pédeutique (pédagogie) perverse dans laquelle le caractère naturel de l’exclusion pour des raisons émotionnelles est enseigné. La passivité est masquée par des « interventions télévisées ». Elle est soutenue par la solitude ; Le système offre des semblants de sociabilité. La démocratie est devenue une pratique perverse de la passivité dans la société du spectacle. Le geste banal du vote du spectateur doit être conceptualisé par une critique publique rationnelle, afin de réactiver les énergies rationnelles endormies d’une longue passivité.

La solitude dans l’abondance n’est pas pour tout le monde : une partie de la classe moyenne qui sombre dans la précarité vit en consommant les dernières splendeurs du passé. La décontextualisation est le paradigme avec lequel l’homme occidental lit la réalité. Il est émotionnellement analphabète. La solitude est la barrière  boueuse à transcender, pour que « la dimension du politique » puisse à nouveau être le protagoniste. « Barrière de boue », car elle est toujours à un pas de sa démolition. Le malheur et la frustration sont les fissures à travers lesquelles comprendre la violence irrationnelle du temps au nom du capital. Rien n’est perdu, les êtres humains peuvent nous donner des “surprises  politiquement incorrectes “. On se disperse pour se retrouver, l’état de réification n’est pas un destin prédéterminé.

La nature peut aussi nous parler, si nous sommes prêts à l’accueillir dans sa vérité, car tout contact suppose un seuil de respect. Une fois le seuil franchi, l’autre ne devient plus qu’un instrument nié dans sa nature. Pour sortir de l’irrationalité qui oblitère le sens éthique, il faut réapprendre à regarder en mettant la représentation en contact avec le logos. De ce scandale éthique et politique peut commencer l’exode de la micro-violence qui se déroule parallèlement à la macro pour faire converger le tout vers le désert qui avance inexorablement et transforme la vie et la pensée en sable informe. Là où il y a la vie, il y a la forme qui présuppose que la fin objective doit être respectée, tout cela en ce moment historique semble tragiquement perdu.

Le présent n’est pas tout, nous devons donc réorganiser notre raison et notre regard vers la réalité et rétablir le contact entre la raison et la réalité. À la macrophysique du capital, il est nécessaire d’ajouter, pour que l’analyse soit complète, la microphysique avec laquelle détecter la vérité du capital. Chacun a la grande tâche de ne pas se taire et d’être le véhicule d’une nouvelle conscience dans un monde sans cœur et sans raison. À l’heure actuelle, la radicalité de la critique ne peut être différée, et elle doit permettre l’acquisition de catégories matérielles qui permettent de ramener les manifestations phénoménales naturalisées à leur vérité historique. Les gestes, les paroles et les nouvelles habitudes doivent être compris et conceptualisés en les ramenant à la Totalité – Totalitarisme du capitalisme. La liberté dans le cône d’ombre du capitalisme doit se révéler dans sa vérité : l’asservissement à la logique de la consommation. La critique radicale est la condition préalable à la préparation de l’alternative. La barbarie est parmi nous, seule l’élaboration d’un processus alternatif peut nous sauver du crash final. Nous devons revenir sur notre parole et nous donner des dons de concept afin de reprendre possession de la nature politique et communautaire de l’être humain. Le don du mot-concept est le premier pas pour bannir le « bavardage » du capital avec ses effets quotidiens. Le long travail de l’esprit qui nous attend pour ramener l’humanisme communiste dans la vie quotidienne ne doit pas dédaigner la critique radicale, qui doit étendre sa capacité d’analyse dans le macro comme dans le micro, révélant le rapport entre les lois d’airain de la finance et les petites et grandes tragédies de la vie quotidienne. La solitude n’est pas un événement fatal, c’est l’effet des politiques économiques du capitalisme dans sa phase cannibale absolue. Reconstruire les généalogies et les dynamiques de la solitude à l’ère du capitalisme est l’un des moyens de sortir de la grotte sombre de la finance.