1- La Nouvelle-Calédonie, c’est où?

Comme le montre la carte, c’est vraiment très loin. On verra plus tard, ce que sont allés faire les Français dans cette galère. Pour l’instant, on présente cette partie du globe plutôt méconnue. C’est un ensemble d’îles et d’archipels français faisant partie de la Mélanésie et de l’Océanie lointaine, situé en mer de Corail, dans l’océan Pacifique sud. Son île principale est La Grande Terre. Son chef-lieu ou capitale est Nouméa, seule grande ville de l’archipel qui compte 182 341 habitants, soit les 2/3 des 300 000 personnes peuplant l’archipel.
Le continent Océanie est divisé entre Océanie proche qui comprend la Nouvelle-Guinée, les archipels (les îles de l’Amirauté, les îles Salomon) et l’Australie; le peuplement humain est ancien, de l’ordre de -35 000 ans. Elle s’oppose à l’Océanie lointaine, dont le peuplement humain ne date que de – 3 200. Ces 2 notions tentent de remplacer les subdivisions traditionnelles (Mélanésie, Micronésie et Polynésie) , héritées de Dumont d’Urville (19° siècle) dont la pertinence scientifique n’est plus d’actualité.

2- Son statut: oubliez le vilain mot de ”colonie”!
Les Départements et Régions d’Outre-Mer (DROM) sont des collectivités territoriales françaises soumises au régime juridique d’assimilation législative tel que défini par l’article 73 de la Constitution de la V° République.
En Martinique, en Guyane, à Mayotte, les compétences départementales et régionales sont exercées par des collectivités territoriales uniques, remplacant départements et régions. En Guadeloupe et à La Réunion , elles sont dévolues aux collectivités départementales et régionales.domaniale de l’État français. La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, lesTerres australes et antarctiques françaises,Wallis-et-Futun, sont encore considérés comme “Français”, mais on ne parle plus de colonies depuis 1946.
Les lois et règlements en vigueur en France y sont y applicables de plein droit, mais des adaptations existent. La Nouvelle-Calédonie dispose d’un statut sui generis (inclassable); Elle relève de la souveraineté française depuis 1853. Ce territoire regroupe 3 provinces ayant chacune le statut de collectivités territoriales de la République française. C’est une région ultrapériphérique de l’Union européenne, qui ne fait pas partie de l’espace Schengen. Son statut institutionnel actuel lui reconnaît un degré fort d’autonomie et le droit à l’autodétermination, suivant un processus original de décolonisation et de construction d’un destin commun entre le peuple autochtone, les Kanaks qui représentent 41% de la population, et les autres communautés de l’archipel tels les européens anciennement établis dits « Caldoches », les métis, et les habitants d’origine polynésienne, métropolitaine ou encore asiatique. La Nouvelle-Calédonie est inscrite sur la liste des territoires non autonomes selon l’Organisation des Nations unies (donc considérée comme non-décolonisés), depuis 1947
Elle dispose de signes identitaires, aux côtés des emblèmes nationaux français (un hymne, une devise et une graphie spécifique des billets de banque), les indépendantistes utilisent l’appellation de « Kanaky » et disposant de leur propre drapeau depuis 1984.

3- Vous avez dit “Barbares”, comme c’est bizarre
Les Kanaks, peuple autochtone de la Nouvelle-Calédonie, font partie des populations austronésiennes. Une étude génétique suggère que les racines profondes des locuteurs austronésiens, sont originaires des populations néolithiques du sud de la Chine et datent de 8 400 ans. Une recherche interdisciplinaire a permis de reconstituer une diffusion géographique des langues austronésiennes et de leurs techniques agricoles. Selon cette théorie, en –4000, des habitants du littoral de la Chine du Sud, cultivateurs de millet et de riz, commencent à traverser le détroit pour s’installer à Taïwan. Vers –2500, ces langues et ces techniques se diffusent de Taïwan vers les Philippines, puis vers Sulawesi et Timor et de là, les autres îles de l’archipel indonésien. Vers –1500, un autre mouvement les mène des Philippines en Nouvelle-Guinée et au-delà, les îles du Pacifique. Les Austronésiens sont les 1° navigateurs de l’histoire de l’humanité.
Dès – 1200, les populations Lapita sortent de l’archipel de nouvelle Guinée et, vers – 850, ils ont déjà visité tous les archipels jusqu’aux îles Samoa et le nord-est de Nouvelle-Guinée. On appelle Lapita, la culture des 1° habitants de la Nouvelle-Calédonie. Les rescapés du naufrage des bateaux de l’expédition La Pérouse en 1788 échouèrent près du Vanuatu, aux abords de lapita (qui donne son nom au site archéologique). Les scientifiques français survivants furent les 1° découvreurs de cette culture. A Koné sur la côte ouest de la Grande Terre, ont été découverts ses 1° vestiges, des fragments de poterie.
Le parallèle avec l’île de Laputa, inventée par Jonathan Swift pour Les Voyages de Gulliver publié en 1721, n’est qu’une coïncidence puisque les 1° Européens n’arrivent qu’en 1774.
Les sites Lapita voient le jour vers -1300 avec les 1° apparitions dans le Pacifique, de poterie aux décors de motifs pointillés complexes, incisée à engobe rouge, Les décorations des poteries lapita sont très riches et variées. Les dessins sont géométriques (imprimés en pointillés), pourtant des visages humains sont souvent représentés. Des modelages en argile pouvaient être appliqués (têtes humaines, oiseaux, animaux).
Les décors montrent le monde vu par les lapita : « monde d’en haut », celui des dieux ou des ancêtres divinisés, monde des vivants au milieu, et « monde d’en bas », celui des morts. Les astres (Soleil, Lune) semblent revêtir une importance particulière dans les croyances de ces navigateurs. Des marques décorées caractéristiques permettent de déterminer quelle famille ou quel clan a réalisé la poterie ; il est ainsi possible de retracer finement le parcours de la colonisation de cette partie du Pacifique entre –1300 et –800.
Ils utilisent des outils d’obsidienne provenant des volcans mélanésiens, des ornements et outils façonnés dans des coquillages (hameçons, bracelets)..Les Lapita sont des horticulteurs. Ils emploient des herminettes de pierre et cultivent des tubercules (igname, taro: genre de patate), des fruits (noix de coco, artocarpe, banane). Ils élèvent des cochons et des pintades, peut-être des chiens, On trouve des animaux importés d’îles de l’Asie du Sud-Est :poule, chien et porc. Des traces de plantes cultivées ont été relevées sur la poterie : le taro. Le complément alimentaire est assuré par la ressource maritime, poissons, des membres des Scaridae ou poissons perroquets, et des Diodontidae. , de –1300 à –200.
Ils fabriquent des pirogues et des catamarans avec le niaouli , un arbre originaire de la côte orientale de l’Australie et de Nouvelle-Calédonie. Il est recherché pour l’exploitation de son bois, de ses fleurs pour la production de miel. Des traces d’habitations sur pilotis ont été découvertes en Papouasie-Nouvelle-Guinée, aux îles Salomon, et aux îles Fidji.
De -1000 à -500, les groupes Lapita de chaque île, continuent leur évolution en relative autonomie, tout en conservant des contacts sur de plus longues distances. Chaque archipel commence à se différencier. Durant la période suivante, la culture kanak se différencie des autres mélanésiens, eux aussi issus de cette migration austronésiennes. Ils maîtrisent l’art de la pierre polie, et fondent leur civilisation sur la culture de la terre avec une organisation sociale clanique. Lors de rituels guerriers, ils pratiquent l’anthropophagie. À partir du début du IIe millénaire et jusqu’à l’arrivée des 1° Européens, les clans se sédentarisent, les langues kanak se singularisent et de grandes entités sociolinguistiques distinctes plus ou moins territorialisées, à l’origine des actuels « aires coutumières », apparaissent. Malgré cela, les échanges et alliances, matrimoniales, restent importants d’une île à l’autre, tandis que des apports extérieurs réguliers (de Wallis, dans le cadre des « voyages » d’exploration réalisés par ses habitants, ou des archipels du Vanuatu ou des Fidji) les influencent grandement.
L’extension géographique exceptionnelle des lapita ( 4 500 km) et leur rôle primordial dans la genèse des cultures océaniennes postérieures (polynésiens, mélanésiens) fournit un aperçu incomparable sur une migration par voie maritime. Les recherches récentes permettent d’affirmer que leur régime alimentaire a joué un rôle dans leurs possibilités de navigation et de colonisation.
4 – Et alors… Alors, les Européens (1774-1853) sont arrivés
En 1774, le navigateur et explorateur anglais James Cook, baptise cette terre inconnue New Caledonia en l’honneur de l’Écosse, dont son père est originaire (Caledonia est son nom latin). Le 1° contact avec des Kanaks a lieu le lendemain au nord-est de la Grande Terre, puis l’expédition britannique longe la côte Est et arrive jusqu’à l’île des Pins en 1774.
En 1788, l‘expédition française conduite par La Pérouse sombre dans un naufrage aux Îles Salomon. En juin 1792, un amiral français, part à la demande de Louis XVI pour le retrouver; il passe au large de l’île des Pins et de la côte Sud de la Grande Terre, longe sa côte Ouest et s’arrête aux Îles Loyauté. Mais on en attribue la découverte à l’explorateur français Jules Dumont d’Urville en 1827 puis 1840, car il a su les situer sur une carte.
Tout de suite, l’essor de la chasse à la baleine et de l’exploitation du bois de santal ou d’autres ressources insulaires (nacre, coprah, écailles de tortues marines) amènent régulièrement des navires anglo-saxons, sur les côtes. Des marins, aventuriers naufragés ou négociants, s’installent, fondent des familles avec des femmes mélanésiennes et créent des comptoirs pour assurer les échanges entre populations autochtones et les bateaux européens. On connait l’anglais James Paddon à l’île des Pins et à l’île Nou.
Un 1° déclin démographique entre 1774 et 1853, dû au choc épidémiologique né des 1° contacts avec les baleiniers et missionnaires, décime jusqu’à 80 à 90 % de la population comme dans beaucoup d’îles du Pacifique mieux connus (Fidji, Polynésie)). D’autres estimant la densité déjà faible avant l’arrivée des Européens, mettent en évidence les facteurs épidémiologiques (malaria) ou humains (cannibalisme, infanticide, guerres), et une forte mobilité des Mélanésiens
Ils sont évidemment accompagnés des acteurs de l’évangélisation de l’Océanie. La London Missionary Society décident, à partir de 1797, de christianiser le Pacifique. L’archipel néo-calédonien est atteint en 1840. Fin 1843, un navire de guerre français amène à Balade via Wallis un évêque et 4 missionnaires, qui, comme les protestants, réprouvent l’anthropophagie. Ils luttent contre la polygamie ou l’usage d’abandonner les malades. Mais les Kanak attaquent, en 1847, la mission de Balade et tue le prêtre. Ils s’implantent, avec succès cette fois, à l’île des Pins en 1848, qui va leur servir de base à l’évangélisation. Ces 1° contacts avec les Européens transforment rapidement et profondément les sociétés mélanésiennes, sur le plan technologique (l’outillage en fer remplaçant celui en pierre), alimentaire (introduction de nouvelles espèces, dont le cochon, ou l’alcool), religieux, social et démographique (abandon de la polygamie, de l’anthropophagie, des pratiques de régulation de la natalité, « choc microbien » et alcoolisme entraînant le début d’un déclin démographique.

5- Attention! Un Napoléon en cache un autre
Les Européens s’étaient partagés la planète à Vienne en 1815. Les Néerlandais et surtout les Britanniques sont déjà présents dans le Pacifique. La France de Napoléon III, celle de la Révolution Industrielle, souhaite leur faire face. La Nouvelle-Calédonie, proclamée colonie française en 1853, devient une colonie à part entière, affranchie de la tutelle de Tahiti en 1860. Rapidement, les militaires fondent au S-O de la Grande Terre, Port-de-France comme chef-lieu à la colonie, qui devient en 1866, une petite ville au nom de Nouméa
Napoléon III cherchait par ailleurs, une terre nouvelle, “libre de toute occupation”, pour y fonder une colonie pénitentiaire. Son 1° gouverneur Charles Guillain met en place le bagne. Il doit trouver des terres, non seulement pour garder les bagnards purgeant leur peine, mais aussi pour les confier aux libérés qui ont l’obligation de doubler leur peine dans la colonie en étant « libres »; le but est de les pousser à s’installer définitivement pour peupler la colonie. Il va aussi jeter les bases du statut de l’indigénat (formalisé en 1887), imposant une politique de cantonnement, fondée sur l’idée de « propriété collective » et de « réserves d’autochtones » pour les Mélanésiens dont les terres sont organisées en « tribus » ou « chefferies ». Il s’agit de la mise en réserve des kanaks.
6- Le bagne: que diable allaient-ils faire dans cette galère?
Le 1° convoi pénitentiaire arrive début 1864 (250 délinquants et criminels de droit commun, ou auteurs de délits ou petits crimes récidivistes). Bref, on se débarrasse des pauvres. Après la Commune de Paris, en 1871, la Nouvelle-Calédonie sert de lieu de déportation pour de très nombreux anciens communards, réchappés de la semaine sanglante, condamnés par les conseils de guerre, mis en place par le gouvernement d’Adolphe Thiers. Là, on se débarrasse des Révolutionnaires. Louise Michel qui y fut déportée pendant 7 ans, assista aux émeutes de 1878 et prit le parti des KanaKs. “Elle avait ouvert des écoles pour les enfants Kanaks, et elle avait recueilli des légendes et des poèmes publiés une 1° fois en 1875, 2 ans après son arrivée au bagne puis à son retour à Paris, en 1885 avec des illustrations de sa main dont une gravure qui représente Numbo où elle fut internée”.
De même, + de 2 000 condamnés d’Afrique du Nord, des résistants algériens civils à l’occupation française dès 1830, y furent envoyés. Le ”monstre Biribiri” avec ses tentacules dans toute l’Afrique du Nord, a accueilli 600 000 « mauvais » soldats dans ses centres disciplinaires de l’armée.
A partir de 1883, la colonie française, “protectorat”, en Indochine comprend du nord au sud du futur Vietnam, le Annam, le Tonkin et la Cochinchine. Les Chân Đăng désigne les « engagés sous contrat » vietnamiens, arrivés à partir de 1891, pour travailler en Nouvelle-Calédonie (et, pour une partie, aux Nouvelles-Hébrides–Vanuatu). L’expression dont ils se désignent eux-mêmes, se rapporte à la nature de leur contrat d’embauche. Dès 1895, le recrutement s’effectue directement au port de Hải Phòng, des travailleurs libres originaires du Tonkin, dans le delta du Fleuve Rouge au Nord Vietnam, des zones surpeuplées au niveau de vie très faible et où la famine sévit. Cette main d’œuvre est engagée pour 5 ans renouvelables, période à l’issue de laquelle elle est rapatriée. Leur arrivée se poursuit jusque dans les années 1930. Le 1° convoi est composé de 768 Vietnamiens dont 479 prisonniers du bagne de Poulo Condor. (La France avait des bagnes dans toutes ses colonies) 93 d’entre eux décèdent alors qu’ils sont encore au dépôt et les employeurs sont réticents à les engager en raison de leur provenance. Ceux qui arrivent, travaillent dans les mines de chrome et de nickel (ceux des Nouvelles-Hébrides, dans des plantations de cacaoyers et de caféiers). Les Vietnamiens comme d’autres travailleurs engagés (Indonésiens, Néo-Hébridais) sont soumis au régime de l’indigénat. Confinés à leurs baraquements, ils ne peuvent se déplacer librement, leur séjour à Nouméa est réglementé. De par la nature de leur engagement, ils ne peuvent rompre leur contrat. Chacun a un matricule par lequel il est nommé, y compris dans les documents officiels, leurs noms étant jugés trop difficiles à prononcer.

À partir de 1945, mécontents de leurs conditions de travail et du fait que les autorités françaises sont dans l’impossibilité d’effectuer leur rapatriement (partition du Vietman), ils s’engagent dans de violentes luttes sociales au cours desquelles ils affichent leur allégeance au Việt Minh engagé dans une lutte anticoloniale contre l’armée française. Plus tard (1960-64), la majorité est rentrée ( 4109 Vietnamiens); ceux qui restent (2000), s’intègreront à la société caldoche, par mariage. Leurs descendants continueront à transmettre leur héritage vietnamien au travers de manifestations culturelles bien qu’ils soient catholiques..
La présence des bagnards constitue un apport de main d’œuvre considérable, à l’origine des principaux grands travaux menés dans la 2° 1/2 du 19° siècle à Nouméa (aménagement du plan urbain avec remblaiement, construction de la cathédrale ou du temple protestant) et en « Brousse » (routes, ponts, tunnels…). Leur nombre est monté jusqu’à 11 110 en 1877, soit les 2/3 des “Européens” présents dans la colonie, et en 1897, date de l’arrêt des convois, ils sont encore 82 30, 2 300 en 1921, contestés par les colons libres qui subissent la concurrence de la main-d’œuvre des bagnards et de l’administration pénitentiaire qui accapare les meilleures terres.
Un nouveau gouverneur nommé en 1894, Paul Feillet, veut couper « robinet d’eau sale ». La « transportation » (les peines de – 8 ans), sera interrompue, mais la déportation de prisonniers politiques continue jusqu’en 1931. Le dernier détenu a été Cheikou Cissé, tirailleur sénégalais condamné en 1918 à la déportation à perpétuité, jusqu’à son transfert en Guyane. En effet, Cayenne sera désormais choisi comme le meilleur endroit.
Fin du 19°- début du 20°siècle, plusieurs tentatives de peuplement libre ou pénale sont des semi-échecs. En plus du « doublement » de la peine par l’installation forcée des bagnards sur des terres agricoles qu’ils doivent mettre en valeur, des femmes de la région bordelaise, condamnées par la justice, ont été embarquer vers la Nouvelle-Calédonie afin de s’y marier avec d’anciens bagnards; regroupées au « couvent » de Bourail, 600 mariages ont été célébrés entre 1870 et 1895. L’installation durable de populations européennes libres sur des terres de l’île principale commence pour y pratiquer la culture du café ( la canne à sucre et le coton sont des échecs) ou l’élevage. Leur implantation avec la politique foncière et celle de l’indigénat qui en découle, menée par l’administration coloniale, provoquent des révoltes kanakes, en 1878 menée par le grand-chef Ataï.

7- On parque les animaux mais
Jamais les kanaks n’accepteront passivement la colonisation française.
Comme les Indiens d’Amérique, la population autochtone de Nouvelle-Calédonie a été cantonnée au sein de zones délimitées par le pouvoir colonial français jusqu’en 1946, dans une période où les spoliations foncières s’étendaient sur des parties toujours plus grandes du territoire. Une exception dans les pratiques coloniales françaises! C’est le besoin de terres, qui ont conduit à son adoption . La représentation coloniale de Kanaks « primitifs », qui ne pourraient pas être assimilables, a contribué à justifier la séparation des populations kanaks et françaises.
Les réserves en 1868-L’objectif de l’administration est de peupler la colonie de Français, des détenus qui auraient été « régénérés » par des années de travail au bagne. Des terres, les concessions, leur sont octroyées, une fois parvenus au terme de leur peine. L’administration favorise aussi la colonisation libre, des colons volontaires. Le gouverneur Guillain, dans une 1° étape, constitue une liste de « tribus » kanakes. Puis, par arrêté, il crée des « réserves tribales », auxquelles elles sont rattachées à tel ou tel territoire. Mais il se garde la possibilité de les réduire « en cas de nécessité ».
La superficie des réserves ne forme que 7 % du territoire de l’île principale, la
Grande Terre, Seules les îles Loyauté (plus petites) où la terre est ingrate, sont une réserve intégrale, où les colons ne peuvent s’établir.
La terre a une dimension symbolique forte pour les Kanaks, qui l’associent aux ancêtres et attribuent à certains lieux, comme les sentiers ou les creux des rochers, des significations spirituelles. La colonisation a déstructuré le territoire kanak, elle « lui a confisqué sa force vitale et a rompu les sentiers coutumiers entre les différents clans. ». Les réserves constituent, selon le géographe Alain Saussol, un «faux espace coutumier». La mise en réserves représente une «catastrophe économique» pour les Kanaks, dont l’activité principale est l’agriculture.
Les réserves «insuffisantes en sols et en espace ont gêné l’extension des cultures commercialisables». De plus, les Kanaks sont tenus malgré eux hors de la
modernité économique, sans échanges monétaires avec le reste du monde.
Le cantonnement a créé de véritables ghettos, du fait de l’assignation à résidence, et de la séparation des groupes, auparavant en relations. Des zones ont été attribuées à des groupes qui n’y vivaient pas et des clans ennemis ont été obligés de cohabiter dans le même périmètre.
En conséquences, la ségrégation entre Kanaks et Européens était très prononcée: un enfant issu d’une couple mixte ne pouvait être que européen ou kanak; soit, reconnu par le père européen, il était élevé parmi les Blancs ; soit, il était relégué dans une réserve . L’isolement des Kanaks dure jusqu’à la 2° guerre mondiale et laisse une société coupée en 2 qui en garde des séquelles.
Si les Français peuvent accéder à la propriété privée, les Kanaks se voient attribuer la propriété collective inaliénable des réserves. L’administration coloniale prêtait aux populations mélanésiennes un fonctionnement collectiviste, à tort ; les Kanaks connaissaient la propriété privée
. Selon Isabelle Merle, «la réserve est pensée comme un espace placé hors des transactions monétaires, hors de l’économie coloniale ; les Kanak y vivront avec leurs coutumes sous l’emprise directe des seuls missionnaires». Les Kanaks se voient
interdire la circulation hors de ces zones, sauf exception, comme 15 jours par an où ils doivent s’acquitter d’un travail obligatoire pour de payer l’impôt de capitation.
Mis en réserves, les Kanaks sont placés sous l’autorité de «chefs de tribus» servant d’intermédiaires entre le pouvoir français et la population. Or selon l’anthropologue Michel Naepels, «les chefs de village ne pouvaient en aucun cas parler au nom de tous». L’administration coloniale attribue un pouvoir exorbitant à ces chefs, celui de désigner les personnes chargées du travail obligatoire et ils ont donc toute latitude d’exercer des vengeances ou de favoriser leurs alliés.

Délimitations- Pendant plusieurs années, les délimitations des zones ne sont pas effectuées par l’administration, ce qui a conduit à des accaparements de terres de la part des colons
Ainsi en 1871, le gouverneur promulgue un « Permis d’occupation » des terrains domaniaux, mais des colons en profitent pour occuper indûment des terres, couvertes en principe par le statut de « propriété collective inaliénable » des Kanaks. Une 1° délimitation a lieu en 1876. Le pouvoir colonial accorde aux Kanaks ce qu’il considère comme étant leurs terres cultivées, et garde le reste. Mais toujours selon notre anthropologue: «le modèle horticole kanak repose sur un système de jachères à rotation très longue (20 ans), qui mobilise des étendues bien plus vastes. Ces territoires étant jugés inoccupés, les Kanaks ne font l’objet d’aucune compensation financière ou matérielle». L’impossibilité de pratiquer la jachère et la faible fertilité des sols qui leur étaient alloués, les ont obligé à transformer leurs techniques horticoles. La grande révolte de 1878 s’explique dans une large mesure par le rétrécissement de l’espace dont disposent les Kanaks.
8- Ataï mène l’insurrection kanak contre les colonisateurs français.
C’est le « grand chef » kanak de Komalé, près de La Foa. (côte S-O de la Grande Terre). La colonisation l’en chasse. Il trouve refuge du côté du pénitencier de Pwero, (renommé La-Barrière-d’Ataï).
En 1878, Ataï déclare au gouverneur français, en déversant d’abord un sac de terre : « Voilà ce que nous avions », et ensuite déversant un sac de pierres : « Voici ce que tu nous as laissé ». Au gouverneur qui lui conseille de construire des barrières pour protéger ses cultures des dégâts commis par le bétail des colons, il répond : « Quand mes taros [des tubercules] iront manger ton bétail, je construirais des barrières. » Ses efforts pour s’entendre avec les Blancs ayant été vains, il choisit la lutte armée.
Le pouvoir colonial réussit à s’assurer le soutien d’autres tribus kanakes (les Baxéa de Canala, ceux qui iront à l’exposition coloniale à Paris) contre Ataï et ses partisans. Sans ces auxiliaires, il ne pouvait poursuivre un ennemi qui se fondait dans la nature. L’insurrection met à feu et à sang le Centre-Ouest de la Grande Terre. Après des victoires importantes qui inquiètent l’administration coloniale de la 3° République, il est tué le 1er septembre 1878 à Fonimoulou par le Canala Segou, de la colonne Le Golleur-Gallet formée de Kanaks, de francs-tireurs (des déportés politiques), de Mercury (un surveillant du bagne, déporté de droit commun).Ataï se battra jusqu’à la mort. Louise Michel, déportée sur la presqu’île de Ducos l’évoque:
« Ataï lui-même fut frappé par un traître. Suivant la loi canaque, un chef ne peut être frappé que par un chef ou par procuration. Nondo, chef vendu aux blancs, donna sa procuration à Segou, en lui remettant les armes qui devaient frapper Ataï. Entre les cases nègres et Amboa, Ataï, avec quelques-uns des siens, regagnait son campement, quand, se détachant des colonnes des blancs, Segou indiqua le grand chef, reconnaissable à la blancheur de neige de ses cheveux. Sa fronde roulée autour de sa tête, tenant de la main droite un sabre de gendarmerie, de la gauche un tomahawk, ayant autour de lui ses 3 fils et le barde Andja, qui se servait d’une sagaie comme d’une lance, Ataï fit face à la colonne des blancs. Il aperçut Segou. Ah ! dit-il, te voilà ! Le traître chancela un instant sous le regard du vieux chef ; mais, voulant en finir, il lui lance une sagaie qui lui traverse le bras droit. Ataï, alors, lève le tomahawk qu’il tenait du bras gauche ; ses fils tombent, l’un mort, les autres blessés ; Andja s’élance, criant : tango ! tango ! (maudit ! maudit !) et tombe frappé à mort. Alors, à coups de hache, comme on abat un arbre, Segou frappe Ataï ; il porte la main à sa tête à demi détachée et ce n’est qu’après plusieurs coups encore qu’Ataï est mort. Le cri de mort fut alors poussé par les Canaques, allant comme un écho par les montagnes. […] Que sur leur mémoire tombe ce chant d’Andja : Le Takata, dans la forêt, a cueilli l’adouéke, l’herbe bouclier, au clair de lune, l’adouéke, l’herbe de guerre, la plante des spectres. Les guerriers se partagent l’adouéke qui rend terrible et charme les blessures. Les esprits soufflent la tempête, les esprits des pères ; ils attendent les braves ; amis ou ennemis, les braves sont les bienvenus par delà [sic] la vie. Que ceux qui veulent vivre s’en aillent. Voilà la guerre ; le sang va couler comme l’eau sur la terre ; il faut que l’adouéke soit aussi de sang. »

En 1878, sa tête qui avait été mise à prix 200 Francs est achetée, ainsi que celle de Sandja (Takata, c’est-à-dire sorcier-guérisseur d’Ataï) par Navarre, un médecin de marine. Conservée dans un bocal de formol et montrée à Nouméa, elle est expédiée en métropole en 1878 au musée d’ethnographie du Trocadéro. Navarre en fait don à la Société d’anthropologie de Paris fondée par Paul Broca qui, dans le cadre d’une étude, fait exécuter un moulage de plâtre de la tête par le préparateur Félix Flandinette avant de la décharner et de découper la boîte crânienne pour en extraire le cerveau, faisant graver à même l’os « Ataï, chef des Néo-calédoniens révoltés, tué en 1879 ». La pratique qui consiste à extraire le cerveau du défunt était courante dans la France, puisqu’en 1883, le père fondateur de la 3° République, Léon Gambetta, avait subi le même sort. Son cerveau a été pesé, son cœur enveloppé dans du papier journal avec sa tête, le tout conservé par des proches.
Les crânes d’Ataï et d’Andja sont étudiés en 1882, entreposée au musée Broca (musée de la société d’anthropologie de Paris) qui se trouvait dans l’ancien couvent des Cordeliers, le musée parisien des « monstruosités ». En 1951, les crânes d’Ataï et de Sandja rejoignent les collections du Musée de l’homme. Il devient une figure emblématique à partir d’un écrit du prêtre kanak Apollinaire Anova (1929-1966), texte pratiquement inconnu jusqu’à une publication partielle en 1969, mais dont l’essentiel a été transmis oralement. Il devient alors une référence du nationalisme kanak
Durant les années 2000, alors que les Kanaks continuent de revendiquer sa restitution, promise lors des accords de Matignon, une rumeur la déclare perdue. Un roman de Didier Daeninckx, Le Retour d’Ataï évoque cette quête et propose une explication romanesque du devenir des restes d’Ataï. En 1983, « les gens des côtes est et ouest se sont réconciliés à l’occasion d’un échange coutumier… Les gens de Thio-Canala ont demandé pardon à leurs frères pour leur responsabilité dans la mort du chef Ataï à la fin de l’insurrection de 1878 »Le 28 août 2014, les crânes d’Ataï et d’Andja ont été remis officiellement , aux clans de l’aire coutumière concernée (Xaracuu), représentés par Bergé Kawa, grand chef du district de La Foa.
9- Petit à petit, l’oiseau fait son nid
La colonie française, avec une législation de conquête, est favorable à toute alliance, adversaire de toute résistance. Les oppositions coutumières, rivalités, rancœurs, dissensions intertribales sont les bienvenues. En 1858, à part les commerçants de Nouméa (bois de Santal), il n’y a qu’une centaine de civils à Nouméa. L’implantation de colons reste restreinte, à proximité des places fortes. Pourtant de 1853 à 1868, elle doit faire face à des soulèvements fréquents, mais ponctuels et localisés: 25 révoltes ont pourtant failli mettre fin à la colonisation. En effet, en 1858, le Gouverneur décrète propriété du gouvernement français toutes les terres non occupées (souvent en simple jachère), par les Mélanésiens .
Les avancées européennes ne se font pas sans résistance. Le grand-chef Bouarate de Hienghène, après l’attaque de la Mission de Pouébo en 1857, est arrêté et exilé à Tahiti. En 1858, le Grand Chef Kuindo, de la chefferie de Païta (la grande région S-O dont Nouméa, est condamné et exécuté par sa tribu, pour s’être rallié aux Français et avoir vendu des terrains. En 1868, la pacification de la Grande Terre semble accomplie avec la mort du chef Gondou Poala.
En 1867, sans se soucier du mode de fonctionnement des clans, un arrêté administratif crée la notion de tribu, afin d’affirmer la responsabilité solidaire des habitants d’un même espace physique, en cas d’exaction. « Chacune d’elles représente un être moral collectif, administrativement et civilement responsable des attentats commis sur son territoire, soit envers les personnes, soit envers les propriétés. », accompagné de l’instauration des chefferies, avec ‘’petits chefs’’ et ‘’grands chefs’’. Dans les réserves, « la propriété indigène ne peut être ni louée, ni vendue ni cédée gratuitement; la tribu demeure autant que possible sur le Territoire dont elle a la jouissance traditionnelle». Le front pionnier (d’accaparement des terres) remonte vers le nord, à partir de Nouméa, l’État se réservant « la propriété des mines, minières, cours d’eau de toutes sortes et sources », et la bande littorale, et le droit perpétuel d’expropriation. En 1871, l’administration crée le permis d’occupation des terrains domaniaux, pour éviter d’attendre que toutes les délimitations soient établies. Dans les faits, les colons sont autorisés à délimiter eux-mêmes leurs concessions et les réserves autochtones se restreignent, à l’exception des îles Loyauté, déclarées réserves mélanésiennes intégrales parce que les terres y sont incultivables.
Le recensement officiel donne 40 000 autochtones. Un autre comptabilise, au 01/01/1877, 2 752 colons ou assimilables (dont 1 424 à Nouméa, 800 hommes et 624 femmes), 3 082 militaires et employés civils, 3 836 déportés et 6 000 transportés, soit environ 16 000 non kanak. Nouméa a été un village de 200 civils et 100 militaires, mais la population est de 1 200 habitants en 1864, de 2 340 (dont 706 militaires) en 1866, et d’environ 8 000 en 1887.
10- Les Kanaks l’appellent la guerre d’Ataï
Le mécontentement profond des Mélanésiens s’est déjà exprimé. En 16 ans, 72 blancs sont recensés comme tués, victimes d’indigènes. En 1857, l’assassinat des Bérard est marquant : 13 occidentaux et 20 employés non canaques. Le nombre de kanak tués est difficile à renseigner. Les affrontements entre indigènes sont peu coûteux en vies humaines.
En 1878, Ataï, grand chef de Komalé, rencontre le gouverneur; les chefferies se sont concertées, avec des messages de guerre, en de longues négociations, par des alliances. Ataï, paraît en être le symbole, avec comme second Baptiste. Les promoteurs seraient d’autres chefs, dont Cavio, chef de Nékou et Dionno, chef de guerre à Bourail. Sont concernés les chefs Bouarate (de Hienghène), Watton, Poindi-Patchili, Kaké, Gélina. Les tribus du Sud sont restées neutres, car plus en mesure d’agir ; des individus kanak ont pu participer. Les tribus côtières du Nord ont peu participé, globalement (à part Koumac, au début). Le projet est d’attaquer Nouméa par surprise : cela serait le meilleur moyen de déstabiliser la colonisation, voire la présence française. La date est fixée à la fin de la récolte des ignames, en juillet. Elle est repoussée au 24 septembre. Mais, le 19 juin précédent, à Ouaménie (Boulouparis), un groupe kanak attaque violemment la propriété Dézarnauld, de la famille du gardien Chêne, ancien forçat, marié à Medon, une indigène de Poquereux. La réaction de l’administration est l’incarcération de 10 chefs.
L’objectif de Nouméa est abandonné, et remplacé par une série d’attaques sur l’ensemble du front pionnier, de Poya (côte ouest), Baie Saint-Vincent, à Canala (côte est). On cible d’abord La Foa, point important de colonisation, et centre de clans mélanésiens virulents. Fin juin, une troupe de 3.000 révoltés investit La Foa, assassine 4 gendarmes, libère le chef emprisonné Touatté (de Dogny) et massacre des colons, éleveurs isolés des savanes boisées. Puis, c’est le tour de Boulouparis : massacre de gendarmes, de forçats, de colons, avec femmes et enfants. Enfin, la vallée de Thio est occupée. Le centre minier est évacué ( le nickel a vu son cours baisser énormément). Les Européens cèdent du terrain, laissent les révoltés piller et incendier. Certains peuvent être évacués par mer vers Nouméa. D’autres se regroupent au poste de Téremba (La Foa). Le commandant Rivière arrive en bateau, et empêche qu’il soit pris.
Nouméa panique, et interne sur l’île Nou les 130 Mélanésiens qui y vivent et y travaillent . Un groupe de gentlemen se constitue spontanément, et, au bac de la Dumbéa, fusille tous les kanak qui se présentent. La réaction se veut énergique, avec le commandant du lieutenant-colonel Gally-Passebosc. Dans cette contre-offensive inadaptée, il est tué et remplacé par Rivière. Les troupes kanak remportent des succès militaires, comme au Cap Goulvain, aux Roches d’Adio (nord de Bourail), ou à Poya.Le fort Teremba, qui accompagne le pénitencier de La Foa, est réaménagé et renforcé pour servir de place-forte et de refuge éventuel, avec une garnison de 80 militaires. Les travaux sont achevés en août. Les révoltés, estimés à 500 guerriers mélanésiens, échouent devant le fort, surpris par l’efficacité des chassepots. Et des renforts d’infanterie de marine arrivent d’Indochine et resteront sur l’île jusqu’en 1879. Ouégoa (Nord de la côte Est) se voit doté d’un fort à Ouamali. Le lieutenant-de-vaisseau Senan parvient à rallier le chef Gélima, le chef Kaké, le chef de guerre Nondo, et part seul avec eux, à la recherche des responsables du massacre, à partir de Ciu. Le 1er septembre, Ataï, son fils, et son takata Andia sont tués à coups de sagaies, et décapités par Segou et ses hommes, les kanak de Canala. Un bambou gravé provenant de Ni ou de la vallée de Bouirou, apporte un témoignage de l’exhibition de 7 têtes, de bras coupés, et de corps décapités surveillés par un guerrier kanak nu-pieds avec fusil. Le chef Baptiste aussi est tué, entre La Foa et Moindou.

C’est le tournant de la révolte : l’initiative est désormais à l’armée, aux auxiliaires kanaks, aux corps-francs broussards (déportés et transportés), et aux Algériensdont Boumezrag El Mokrani, leader de l’insurrection kabyle de 1871, qui se joignent au mouvement car ils ont été attaqués par les kanak à Bourail, en septembre. Naïna remplace Ataï, Kaupa remplace Baptiste, et le chef François dirige les tribus autour d’Ourail.
Pour lutter contre cette guerre d’embuscades, la tactique est la réduction des sources de ravitaillement des insurgés : incendies de villages et de cocoteraies, destruction de plantations, de récoltes. L’insurrection reprend en septembre, plus au Nord, à Poya et à Bourail, se poursuit en octobre, puis, le soulèvement se renforce à l’Ouest. La forteresse kanak d’Adio tombe en décembre. « On donnait, 5 francs pour une paire d’oreilles coupées, ce qui sera transformé en une prime par tête coupée pour éviter de payer pour les femmes et les enfants.» (Jean Guiart)
Fin 1878, les territoires des alliés et ralliés (engagement réel, ou simple neutralisation) sont sur la côte Est ; les insurgés sont sur la côte Ouest. L’armée s’y transporte et promet la vie sauve aux tribus qui se rendent. La reddition des tribus commence au Sud, et se poursuit, par ratissage systématique. A partir de janvier 1879, les chefs sont tués; Naïna, Daouï (Népoui), Cham ( Owi), Judano « Djeuda » ( Owi). En juin, l’état de siège est levé. Les opérations a causé 1 800 morts, soit 200 européens et 1 600 kanaks. Rivière a été l’artisan efficace de la victoire française, assisté par les chefs de poste: le capitaine de Joux (Païta, Bouloupari), le lieutenant Vanauld (Ouraïl), le lieutenant Maréchal (Moindou), le capitaine Lambinet (Koné), le capitaine Merlaud (Houaïlou), le lieutenant Garcin (Thio), le lieutenant de vaisseau Merlan (Canala).
1000 à 1500 kanak sont déportés dans les îles proches, île des Pins (600), Lifou, ou lointaines, Bélep (extrême nord, 200), et plus tard, Tahiti, et même Obock. Les chefs rebelles sont exécutés, sans jugement, sauf un, condamné en cour martiale, Areki (tribu des Oua-Tom, La Foa, province sud). Le général Arthur de Trentinian (1822-1885) reconnaît, dans son enquête sur les causes de l’insurrection de 1878, que « les spoliations de terres indigènes, les dégradations subies par le bétail, les réquisitions abusives de main-d’œuvre ont fait naître un sentiment d’injustice chez les indigènes. ».
Les conséquences de la grande révolte sont désastreuses pour les Kanak. Les tribus rebelles qui se sont rendues sont déplacées (dont celle de Farino). Dès 1879, sont promulguées les lois d’amnistie pour une partie des bagnards, mais astreints à rester sur le territoire. Vers 1899, la Nouvelle-Calédonie compte 20 000 habitants d’origine européenne, dont la 1/2 d’anciens bagnards. Le code de l’indigénat de 1874 est totalement appliqué à partir de 1887 : privation pour les ‘’sujets français’’ de la majeure partie de leur liberté et de leurs droits politiques ; conservation sur le plan civil de leur seul statut personnel, d’origine religieuse ou coutumière. L’espace autochtone est restreint, par confiscation des terres des rebelles, et accaparement des terres par la colonie. La spoliation signifie le cantonnement des mélanésiens dans des réserves étriquées. De 1891 à 1912, en Grande Terre, les réserves descendent à 13 % de la superficie initiale.
L’expansion coloniale reprend. En 1883, il n’y a pas de propriété inférieure à 600 ha, la moyenne est de 1000 ha, la maximale de 10.000. La découverte de la garniérite, minerai à forte concentration de nickel date de 1870 et provoque une « ruée vers le nickel ». Thio, capitale du nickel à partir de 1875. L’exploitation minière se développe, avec la création en 1880 de la Société Le Nickel (SLN). L’immigration reprend, javanaise, vanuataise….
Les structures sociales kanak sont disloquées : perte de terres coutumières, perte de grottes où reposent les restes des ancêtres, déracinement, perte d’identité, asthénie durable, dénatalité, abandon de pans entiers de la coutume. Le 1° recensement officiel donne 42 519 kanak en 1887, 27 768 en 1901, (ce qui constitue une saignée de 5 % de la population mélanésienne) dont 17 000 sur la Grande Terre entre 1900 et 1920. La décroissance démographique des peuples mélanésiens et polynésiens est générale à la fin du 19° siècle: Nouvelle-Zélande, Hawaï, Tahiti, Marquises, Vanuatu, et s’accompagne de résistances à la colonisation et à l’expropriation. Des événements similaires et contempororains ont lieu de la part des Nord-Amérindiens (dont la bataille de Little Bighorn de 1876), les guerres cafres en Afrique du Sud, les aborigènes d’Australie, et les Maoris de Nouvelle-Zélande.
La mémoire collective kanak se manifeste, une dernière fois sans doute, dans les bambous gravés, dont témoigne la collection de Gustave Glaumont, commissaire de l’administration pénitentiaire, en poste à l’Île des Pins de 1880 à 1891. Et pendant ce temps à Paris, l’Exposition universelle de 1889 a son village nègre et son village canaque, avec sa grande case, avec une délégation menée par Pita, fils du grand chef Gélima, de Canala.

11- En 1917, la guerre est bien mondiale!
Paul Feillet, gouverneur entre 1894-1902, veut favoriser la colonisation rurale. Il s’empare des terres les plus fertiles des Kanaks pour les attribuer à de nouveaux colons paysans. Son travail est facilité par la diminution spectaculaire de la démographie kanake, causée par le choc bactériologique (les maladies des Européens sont mortelles pour eux). Notre anthropologue explique que “Feillet regroupe des villages en déplaçant les populations, désaffecte des réserves, violant leur inaliénabilité”. Ces évolutions sont une des causes de la révolte kanak de 1917,
En 1916, puis en 1917, 2 cyclones très violents causent de sérieux dommages. Pour comprendre cette révolte, il faut prendre en compte que les tribus kanak sont loin d’être unies contre l’adversaire colonial. Il y a les animistes, les protestantes, les catholiques, à l’intérieur desquelles il a des rivalités ou des amitiés. Ajoutons à cela, les divisions entre loyalistes au pouvoir colonial, les proches des colons et les indépendantistes. Il existe donc des guerres coutumières ( de chefferies), ou des solidarités claniques. Les guerres tribales diminuent mais on note encore: la guerre de Hienghène (1897), la guerre de Poyes (1901). Elles sont durement réprimées par l’admnistration coloniale.
La révolte kanak de 1917 est un soulèvement de tribus kanaks contre l’administration coloniale en pleine guerre mondiale. Le statut de l’indigénat (1887-1946) fait des Kanaks, des « sujets français » , et non pas « citoyens français ». Il les soustraie donc à la conscription dans les armées françaises. La France a déjà beaucoup de bons guerriers, et n’a donc pas besoin des “redoutables guerriers kanaks.” Mais ils sont invités à participer à la victoire finale, d’autant que le lot commun (pécule, logement, uniforme, armement, nourriture, soins médicaux, hospitalisation, transport, rapatriement) leur est promis, plus des avantages ( médaille(s), suppression de l’impôt de capitation, emploi réservé, citoyenneté, lot de terres en toute propriété). Et des menaces sont également proférées pour les tribus qui n’enverraient pas de volontaires qui sont en fait, des requis.

Elles organisent un pilou (fête avec danse guerrière traditionnelle) à Tiamou en avril pour désamorcer les tensions grandissantes entre les tribus animistes et les catholiques. Le chef de Tiamou, Noël Néa Ma Pwatiba, se ravise le jour de la cérémonie et brûle sa case en signe de révolte contre l’autorité française. Après l’arrestation de membres de sa tribu, il se réfugie dans la brousse et entame avec d’autres membres de tribus animistes, dont Cavéat, chef de Ouen-Kout, une forme de guérilla contre l’administration française qui les traque dans les montagnes jusqu’en mai 1918.
Le départ de 2 000 hommes à la guerre, perturbe la tenue des exploitations et la vie des villages. Les conditions de vie des de toutes les communautés se dégradent. Mais les rebelles attaquent (arc, casse-tête, hache, lance/sagaie, fronde, fusil contre Chassepot, Lebel, Remington, Winchester) des stations (habitations, exploitations, ranchs, fermes) : brutalités, exactions, destructions de biens, spoliations, incendies, crimes, massacres. C’est la guerre à Konè, Tipindjé et Hienghène. L ’ensemble des troubles aurait été le fait de 300 guerriers, partiellement soutenus par les populations. La répression suit : harcèlement, mitrailleuse, incendie de village sympathisant des rebelles, destruction de cultures…
Le désarroi kanak s’accompagne de méfiance entre clans rebelles et clans loyaux, d’échanges de réconciliation, d’un appel kanak au dialogue avec les colonisateurs. Les Mélanésiens connaissent l’aggravation de l’impôt de capitation (1923, 1933), l’accroissement des prestations exigées pour participer à « l’effort de colonisation » (réquisition, travail obligatoire pour les services publics, en 1925 et 1929 ( 3 mois/an )