Now there’s a way and I know that I have to go away

I know I have to go

          “Father and son“   Cat Stevens   1970

(traduction libre : Comment l’expliquer, quand j’essaye, ça m’échappe

C’est toujours la même rengaine

Dès que j’ai pu m’exprimer, on m’a ordonné d’écouter

Maintenant que c’est possible, je sais que je dois partir

Je dois y aller)

Qu’est-ce qu’être « Harrag » ? Être téméraire, rebelle, être inconscient ou au contraire éveillé, être démissionnaire, lâche, usé, courageux, désespéré, être un déserteur, ou prendre ses responsabilités…

Voilà comment sont qualifiés ces nouveaux  aventuriers   du 21° siècle.

Il faut en effet nuancer. Lâcheté est à retirer.  C’est quand même vrai, que quelque part, il faut une certaine dose d’audace, de culot, voire de folie pour prendre autant de risques. Mais de là, vouloir en faire un acte héroïque serait hâtif : car « harguer », ce n’est pas comme prendre le maquis.  Les comparer à de nouveaux résistants qui prennent le maquis contre l’oppression, l’arbitraire ou  la misère. C’est un acte de révolte contre un mal-être, la mal-vie, mais là, ne retrouve pas le sens du sacrifice. Ce n’est pas pour les autres, à savoir la population, la communauté, la famille, la patrie, la foi, etc. Il s’agit d’un acte avant tout individuel, même s’il relève d’une action collective, de groupe organisé, avec pour finalité solutionner une situation personnelle.

Les « harragas » sont souvent présentés, considérés comme des héros. Parce qu’ils ont osé. Ils suscitent parfois une admiration sans borne. Partir, ils l’ont fait. Ils ont  affronté tous les risques et réussi à passer l’autre côté, là où l’herbe est plus verte.

Qu’est-ce qui se passe dans la tête de ces gens jeunes ou moins jeunes qui  tentent l’aventure et «se cassent».                                              

Garçon ou fille, instruit ou pas, démuni ou aisé… on voit de tout dans ces exilés volontaires. Tous les « harragas » se ressemblent quelque part. Qu’ils prennent le « boaty » (la barque), ou partent avec un visa sans retour, ou  optent pour une émigration officielle. Les moyens diffèrent, tout comme les risques, mais un seul objectif : ALLER là-bas ou plus  juste PARTIR D’ICI.

Peu importe la destination. On va les retrouver dans les endroits les plus inattendus, sur tous les continents.

Pour eux, l’essentiel est de sortir, de s’évader de cette PRISON. Prison, nom qu’ils attribuent au pays, pays dans lequel ils se sentent étouffés, opprimés. Vrai, faux, exagéré ? En tout cas, c’est ainsi qu’ils le ressentent, c’est comme ça qu’ils le vivent, Une sensation de mort imminente. Cette asphyxie les pousse à des efforts et une énergie désespérée, incroyable. C’est le noyé cherchant à s’extraire des eaux. Il s’accroche à n’importe quelle planche, n’importe quelle promesse, n’importe quel récit, n’importe quelle information… pourvu qu’elle indique une issue de secours. Ce sont des milliers d’histoires, de témoignages qui se racontent, des appels « vidéos » transmis de là-bas, relayés par la rumeur, les réseaux sociaux, partagés et repris à l’envi.

La « harga » est devenu  banale, un passage obligé comme un parcours de vie : aller à l’école, travailler, se marier, etc. Il en est question partout et tout le temps. Dans les sketchs télévisés, le théâtre, les émissions, les chansons, en particulier dans les stades…

Bien sûr, chacun y va de sa touche personnelle et ajoute ses propres aspirations et ses fantasmes.

De nos jours,  il est difficile, sinon rare, de rencontrer des jeunes qui se projettent dans le pays, y voient leur avenir.

Peut-être ceux que les conditions familiales contraignent à rester ? Parents vieux et malades. Et encore !

Peut-être ceux qui ont un bizness et font de l’argent sur place ? Ce qui ne les empêche pas de prendre des dispositions sur l’autre rive par des transferts financiers, des investissements, des acquisitions immobilières, etc.

C’est une épidémie de départs (pour ne pas dire pandémie puisque de nombreux pays sont concernés).  Et l,  pas de vaccin pour ça!!! 

Tous n’ont qu’une idée en tête, la même, une obsession : comment partir ? Parce que partir ne se discute plus.

Tous les moyens sont bons. Toutes les possibilités sont explorées. 

Recouvrer la nationalité française en déterrant les archives de parents ou grands-parents citoyens ou anciens combattants.

Organiser et concrétiser un regroupement familial.

Pour ceux qui  y ont leurs entrées et les moyens, inscrire ses enfants au lycée international pour passer le bac français, facilitant ainsi leur départ et par la suite celui des parents.

Partir faire des études ou des spécialisations, d’autant que les étudiants, dès la fin de leur cursus,  sont racolés (on dit « choisis ») par les chancelleries et instituts culturels (« campus France »).  D’ailleurs cette chasse aux têtes est de moins en moins offensive,  puisque les jeunes demandeurs se bousculent pour se présenter d’eux-mêmes.  Pas besoin de les chercher, ils se livrent à domicile, et  sans frais de transport.

Opter carrément pour l’émigration et l’installation,  seul ou en famille,  comme pour le Canada qui ouvre largement ses portes à du « sang  neuf ». Accueil de plus en plus facilité, en termes de conditions, surtout pour des jeunes, manuels ou intellectuels. Jusqu’à faciliter l’accès à l’émigration à un touriste !  Canada présenté comme un El Dorado et bon nombre de résidents en font la promotion bénévolement et souvent avec  un enthousiasme « patriotique ».  « Venez. Le canada a besoin d’un besoin d’un million de migrants ». Sans parler du canadian dream. « Ici en quelques mois, tu auras ta voiture puis une maison, ce que tu n’auras pas toute ta vie au Bled ». Plus canadiens que les canadiens eux-mêmes. C’est à se demander s’il n’y a pas de conflit d’intérêt quelque part.

Non seulement il y a des gens qui font la promotion du pays ou de la ville où ils se trouvent pour attirer d’autres compatriotes. Ils donnent parfois l’impression d’un acharnement, de vouloir régler le compte à leur pays qui leur a fait tant de mal, voulant en découdre à jamais. Peu importe les conséquences. C’est un peu comme ces couples séparés dans la violence et la haine  et qui balancent tout de l’intimité, tout ce qui peut faire mal à l’autre. Pour salir pour dévaloriser, pour détruire ce passé, pour justifier et faire comprendre que les torts sont de l’autre côté.

Certains vont plus loin. Se sentant ou étant investis d’une mission, ils passent à l’opposition active au nom de la démocratie, des droits de l’homme, de la liberté.  Ils se font le relai et la boîte de résonnance de tout ce qui va mal. Ils vont rapporter, diffuser tous les déboires,  les échecs, scandales, amplifier les rumeurs. Corruption, injustice, détournent, trafic, abus de pouvoir, népotisme, rien n’est omis… Confortant ainsi leur prise de position, ils reprennent des informations réelles ou fausses, vérifiées ou ion. Leur impact est loin d’être négligeable, augmentant le sentiment de malaise que vivent les gens. Véritables influenceurs, ils alimentent les motifs et raisons de partir.

L’essentiel est d’attirer ceux qui sont encore restés. Pourquoi ? Se sentir moins seul à l’étranger, se venger de ce pays, de ce peuple qui ne leur a pas donné ce qu’ils attendaient, ce qu’ils méritaient. D’un certain point de vue, ils ont brûlé leurs vaisseaux. Ils sont prêts à brûler leur terre d’origine.

Il en est même qui se sont fait un devoir de proposer des « guides » et recommandations  pour les futurs partants. Où descendre ? Où manger ? Où dormir ?Qui contacter ? Comment éviter les contrôles ? Que dire, que faire en cas d’arrestation ? Comment traverser les frontières ? etc.

Et aussi des petites ficelles éprouvées « si tu te déclares persécuté en tant qu’homosexuel ou chrétien, l’accueil sera autrement plus facile ». Pour les plus dégourdis, le mariage est une solution proposée. On dit que « des tas de femmes seules n’attendent que ça ».

Partir pour un pays qui n’exige pas de visa ou dont la délivrance est relativement facile. De préférence un pays proche de l’Europe, comme la Turquie, à partir duquel peut s’organiser la traversée des frontières. Des organisations biens rodées de passeurs sont à l’œuvre.

Opter pour un voyage organisé avec une agence de tourisme (parfois avec des visas collectifs) puis disparaître  dans la nature.

Profiter d’un évènement international sportif (tournoi de judo, d’échecs, etc.),  ou culturel (festival de musique ou de théâtre) pour prendre la clef des champs.

Moins fréquents mais réels, bien sûr, les faux papiers, par des réseaux de trafic de  passeports et de visas. Contre paiement, on obtient des rendez-vous de visa, la confection de dossier (hébergement, faux diplôme, fausse attestation de travail).

Les formules sont multiples et à chaque période « sa mode », sa combine, en fonction des retours de ceux qui sont là-bas.

Mais la solution la plus simple, la plus populaire, la plus accessible reste « le bateau ». Même si elle comporte des risques, elle reste la préférée par ceux qui n’ont pas d’autre possibilité.  Ni visa, ni papier à fournir, ni justificatif de compte devises, ni de réservation d’hôtel ou d’hébergement, ni billet retour, ni PAF, ni douanes, et  pas de justificatif de service national…. La seule condition payer le tarif exigé pour la traversée.

Trouver l’argent en trimant dur (cas de ce chauffeur de taxi type Uber qui  bosse nuit et jour, le temps de rassembler la somme requise). Emprunter l’argent de la vieille qui vend ses bijoux pour aider son fils à monter son projet d’entreprise (ce qu’il lui a fait croire). Recourir à des moyens peu recommandables (trafics divers, larcins ou carrément prendre les économies des parents….). Les plus malins font prendre en charge le prix du voyage par l’Etat sous forme de prêt détourné (type ANSEJ et autres).

La coquette somme demandée s’explique, du fait des risques encourus, par les améliorations apportées aux conditions de transport : hors-bords modernes, moteurs puissants, gilets de sauvetage,  système de guidage GPS…On parle de ces bateaux ultra-rapides qui font la traversée en 3 ou 4 heures, venant d’Espagne, récupérer leur cargaison (souvent de la main d’œuvre commandée).

Ce qui réduit un tant soit peu les risques de naufrage, mais ne les empêche pas : surcharge de l’embarcation, du fait de la demande croissante, impatience des « harragas »  pour partir à l’occasion d’une fenêtre de beau temps…

Si on sait pour l’essentiel, comment partir, la question du pourquoi reste ouverte.

Et là, on tombe dans des discussions sans fin, difficiles, où les arguments sont multiples, où le rationnel  ne peut être invoqué.

Les mêmes propos s’entendent « Walou ! ma kayen walou fi hadha leblad » (Rien, il n’y a rien dans ce pays). Pour lui,  le bateau-pays  coule. Sauve qui peut !

Ne venez pas lui dire que ce qui l’attend là-bas.

Ne lui racontez pas les désillusions et les difficultés de la vie qui est loin, très loin de ce qu’il imagine.

Ne lui rappelez pas que ce qu’il laisse derrière lui (pour ceux qui ont un travail ou un logement) risque de ne pas être retrouvé.

Ne lui parlez pas de ses vieux parents. Il rétorque qu’il n’y peut rien et que s’il reste, il va crever. De là-haut, il enverra un message vidéo pour demander pardon à la maman, et implorer sa bénédiction. Juste le temps d’assurer son avenir, sachant, même s’il refuse d’y croire, qu’il ne la reverra probablement plus.

Ne lui parlez pas des risques qu’il fait courir à ses enfants pour ceux que leur famille accompagne. Sans appel, « c’est pour eux » qu’il le fait. Il veut les sauver.

Ne lui conseillez pas de patienter. La discussion sera aussitôt close.

Et n’allez surtout pas évoquer le nationalisme, la patrie, le sang  des martyrs, encore moins qu’avant l’indépendance, la situation était pire. Cela peut mal se terminer pour vous.

Pour lui, c’est foutu. C’est vous qui faites pitié de ne pas avoir encore compris.

Pour lui, il n’y a aucun avenir, aucun espoir. Les promesses d’un futur meilleur, d’un changement sont fausses. Pour eux, « ils » ont menti, « ils » ont trahi, « ils » ont même falsifié le passé. 

Même si de votre temps c’était mieux, avec ce qu’il voit ici et maintenant, il ne sait qu’une chose : sauver sa peau et vivre sa vie.

Avec toutes nos richesses, « ils » ne nous ont rien fait. « Ils » se sont servis. « Ils » ont tout pris, et rien laissé. Regarde ce qu’ils possèdent. Sans complexe et toute honte bue, « ils » déclarent  à qui veut l’entendre que tout ça, c’est grâce à Dieu  hadha bi fadhli Rabi.

Les raisons de partir sont diverses, évidentes ou cachées, souvent  complexes et intriquées. Elles sont toutes bonnes. Fuir le terrorisme ou au contraire le contre-terrorisme. Celui-ci fuit une société où la religion prend de plus en plus de place, une position étouffante L’autre considère son identité et sa culture marginalisées, opprimées. Celui-là  fuit le virage moderniste et la dépravation progressive de la société,  perdant ses repères et oubliant  les traditions ancestrales.  Il y a celui ou celle qui veut profiter de la vie et de sa jeunesse, qui veut s’amuser, danser, nager, s’éclater… celui qui rêve de liberté d’expression, de culte… celui qui ne veut pas gâcher sa jeunesse au service militaire… Celui ou celle qui fuit la pression familiale,  éviter un mariage forcé, protéger d’un scandale à cause d’un comportement, de rumeurs,  d’une vidéo compromettante, d’une « bêtise », afin de préserver l’honneur. Celle ou celui qui rêve de posséder une voiture, une maison, un sac Vuitton, un foulard Hermès  ou simplement prendre une bière sur une terrasse de café…

Sans oublier les medias, les films, les influenceurs qui, jour après jour, nuit après nuit, depuis des dizaines d’années ont occupé, habité les esprits de plusieurs générations.

Et tous ces modèles de réussite qu’on vante. Ce médecin parti devenu chef de service dans un hôpital parisien, ce chercheur à la tête d’un grand Instruit aux USA, ce footballeur qui a percé dans un grand club européen, cet inventeur qui a vendu son brevet à Dubai,  alors qu’il était considéré moins que rien chez lui, ce professeur qui travaille à la NASA,  celui qui est devenu parlementaire,  conseiller, expert…. Reconnus, sollicités et respectés. La radio et la télévision nationale leur consacrent des émissions spéciales, Ils sont la fierté nationale,  parce qu’ils sont « nés chez nous ».  La preuve : ils ont obtenu le label et la norme ISO. Quoi de plus vrai puisque « vu à la télé ».

Tout compte fait, on fait quand même de la bonne pâte.

Et face à ce modèle de société présentée sur les écrans, les gens vont comparer, s’identifier, rêver. Oui voilà, c’est ça la vraie vie. Où tout est si net, si beau, si facile… où il n’y a pas de pénurie de lait ou de lentilles, de coupures d’eau et d’internet. Où les gens sont estimés et reconnus à leur mérite et à leur compétence, sans recourir au bakchich ou au piston. Où la justice est juste, sans passe-droit. Où tu es libre de bouger, de parler…

C’est la belle vie, virtuelle certes, mais concrète pour lui. C’est celle qu’il voit, qu’il touche presque  et à laquelle il croit dur comme fer.

En attendant, il suffoque, n’en peut plus. L’idée de suicide  l’a déjà effleuré,  acte généralement écarté du fait de la religion. Heureusement qu’il peut décharger ses tensions  sur des gradins,  parmi les supporters de son équipe, et aussi compter sur le recours « salvateur » aux stupéfiants, prenant de plus en plus de place dans le quotidien.  Mais il sait que c’est transitoire. Car le véritable  espoir réside dans cette lumière au bout du tunnel et qui l’appelle : aller là-bas.

On ne peut discuter avec quelqu’un qui est en souffrance extrême. C’est lui qui a mal, qui ressent cette douleur dans son corps, dans sa tête. Il doit y  mettre un terme à tout prix. Il s’accroche à n’importe quoi. Or, aujourd’hui, partir se présente comme LA SOLUTION, la seule et unique solution, qui monopolise les esprits et les énergies.

Et on n’y peut rien. Que ce soit pour les partants ou les encore restants, partants en sursis.

Certes, ils ne fuient pas la famine, ni la guerre, ni une catastrophe naturelle.

Mais ils partent. Et ceux qui sont partis, ont-ils trouvé leur paradis ?

Beaucoup ne veulent plus ou ne peuvent plus revenir (situation irrégulière, problème de papiers, de passeport). On a encore l’image insupportable de ces « harragas » hurlant et se débattant alors qu’on les traîne de force pour les expulser.

Certains, malgré des situations dramatiques s’acharnent à rester. Problème d’ego, non aveu d’échec ou encore « c’est toujours mieux ici ». On entend même ces « harragas » dénoncer ceux qui parlent de difficultés  à l’étranger : c’est parce qu’ils ne veulent pas partager leur chance, en tirant l’échelle à eux (hassadine).

Très peu, à travers les médias et réseaux sociaux, reconnaissent et admettent regretter leur aventure.  Dans les faits, ils ne sont pas audibles… Le discours dominant est celui de ceux qui ont réussi à passer et ne sont pas prêts de revenir. Force est de reconnaitre que certains ont trouvé leur voie et ont construit leur nid.

Mais combien sont-ils à dormir dehors, dans les parcs ? Combien sont-ils  entassés au Pas-de-Calais à attendre l’arche qui les mènera de l’autre côté ? Combien sont-ils, sans instruction, sans qualification à errer ? Et ceux qui survivent comme ils peuvent, avec des boulots précaires, au noir, sous-payés. Combien sont-ils à accepter n’importe quelles conditions pour n’importe quelle  tâche qu’il n’aurait jamais acceptée dans son propre pays ? Mais il paraît qu’un job dégradant effectué chez l’étranger est plus supportable que chez le compatriote. Ou à finir comme vendeur à la sauvette de cigarettes ou… Et il est des employeurs qui en profitent bien et même très bien.

Combien sont-ils à se cacher, à raser les murs, à craindre un contrôle, à subir des regards de rejet, le racisme verbal ou physique ?

Aucune idée : pas de statistiques !

Pour l’heure, c’est le pessimisme qui règne.

Pour l’heure,  il ne semble pas qu’il y ait grand-chose à faire. En tout cas, pas de formule clef en main. Cette  situation de crise est  à la fois grave, profonde et durable.

Ce n’est pas la crise d’adolescence ou de croissance d’un pays qui cherche sa voie et qui finira par passer. Cela va au-delà. Elle découle d’actions délibérées, organisées, multiples, répétées,  qui remontent  dans le temps, que ce soit à travers la culture, les medias, les ONG, les universités, les bourses d’études, les formations et stages, les invitations, les salons etc., pour ne citer que cela. Elles vont s’inscrire dans une politique de domination néocoloniale visant au pillage des richesses de pays en développement, compromettant tous leurs efforts et les chances de s’en sortir. Et parmi ces richesses, tout le potentiel de jeunesse, de forces physiques et intellectuelles qui naissent, grandissent, se forment, et sont préparées dans leur pays d’origine pour être exportées, détournées, livrées et utilisées ailleurs. Au-delà du fait que certains d’entre eux y trouvent leur « bonheur », ils vont pout l’essentiel, tout en compensant leur crise démographique, constituer une masse de main d’œuvre taillable et corvéable à merci, une armée de réserve, moyen de pression et de chantage contre les population des pays d’accueil. D’où leur recul du niveau de vie, qui ne cesse de s’aggraver, en termes de droits sociaux, pouvoir d’achat, retraite, de prise en charge des soins etc.

La solution s’insère dans le cadre de l’indépendance totale par le recouvrement des richesses nationales, y compris humaines, et comme toute tâche libératrice  et d’émancipation, la prise de conscience est incontournable.

Pour l’heure, il faut croire et souhaiter des changements réels et sensibles  face… à cette hémorragie de forces vives qui sont en train de  quitter, de fuir le pays.

Certains faits sont parlants.

Dans ce cadre, l’expérience récente du Hirak avait soulevé un tel enthousiasme et de si grands espoirs de changements. Avec  les premiers résultats : adieu au 5° mandat,  premières sanctions contre des « intouchables », etc.  Qui aurait osé y croire quelques semaines auparavant.

Et c’est pendant cette période que les candidats au départ se sont réduits à un niveau très bas. C’est pendant cette période que les gens ne parlaient plus de partir et déclaraient « c’est décidé, je reste ».

Ce puissant mouvement unitaire, solidaire  a redonné la foi en un futur possible,  ici, sur place, a permis d’entrevoir qu’une société plus fraternelle,  plus respectueuse,  capable d’adhérer à des valeurs plus élevées de justice, de paix, de liberté. Et de dire que c’est possible.

                                                          

Malheureusement, le cours en fut entravé par des manœuvres de détournement, d’infiltration,  des provocations, des tentatives de récupération. La déception fut d’autant plus grande et douloureuse qu’ils ont  presque touché du doigt cet avenir radieux.

La fin et le reflux de cette vague d’espoir a fini par les  ramener au point de départ, sur une des plages d’où ils regardent à nouveau l’autre côté.

Mais cela a révélé qu’un potentiel immense existe. L’engagement pour le travail, l’éducation, le partage était là réel, éprouvé. Et donc espérer que ce n’est qu’une mauvaise passe à traverser pour un mieux-être.

Reste à retrouver, à redonner de véritables raisons de croire nouveau. Cela sera difficile. Face aux problèmes qui se sont accumulés, aux nouveaux problèmes apparus, reprendre confiance n’est pas une mince affaire. Même si des signes concrets de progrès, dans le sens d’une amélioration des conditions de vie, de travail, d’étude, se présentent, il faudra faire preuve d’une patience et d’une tolérance infinie.  Que de diversions, détournements, manipulations, trahisons auxquels ont été confrontés les citoyens.  Adhérer aux nouvelles perspectives demandera du temps, des garanties et une mise à l’épreuve.

Nulle parole, ni montrer patte blanche  ne suffira. Les « juré, promis », même honnêtes, même par écrit, ne passent plus et sont l’objet de rejet. Tout sera jugé sur pièce. Etre patient, ouvert et tolérant envers ceux qui ont été trompés tant et tant de fois. Les gens mettent à l’épreuve  et savent distinguer la sincérité des engagements et des actes. Ils en ont l’expérience. Reconquérir la confiance sera long mais pas impossible.

Les hommes sont capables de reconnaître quand on est de leur côté. Ils attendent des preuves. Et ça se comprend. Même si c’est compliqué et difficile, il ne leur reste qu’à compter sur eux-mêmes pour sortir de cette impasse, par une compréhension réelle de la situation, des enjeux, des forces qui agissent. Sans quoi, on s’enferme dans les solutions individualistes  qui profitent avant tout aux mêmes…

Alger le 13 avril 2024 

Liès El Bachir