Douloureusement pour les Argentins, le néo-fascisme néolibéral applique son programme. Personne ne pourra dire que Milei s’est avancé masqué. Il avait annoncé son programme et il l’applique inexorablement. Il dérégule l’économie et privatise 11 entreprises publiques. Cela avec le soutien du bloc des droites à la Chambre des députés, son parti « libertarien » n’ayant pas de majorité (38 députés sur 257 au Congrès) . Il lui reste à passer ses propositions au Sénat mais il est fort à parier que la droite au Sénat va s’aligner sur l’extrême-droite de Milei.

La « thérapie de choc » et l’austérité promise sont bel et bien en place, entre dévaluation brutale du peso (+ de 50 %), libéralisation des prix et des loyers, fin des subventions aux transports, à l’énergie, gel des chantiers publics, privatisations massives dans toutes les activités du pays en particulier les entreprises publiques, la flexibilisation du droit du travail, le rétablissement de tranches d’impôt sur le revenu, que le gouvernement péroniste précédent avait supprimées, ainsi qu’une batterie d’avantages fiscaux pour le capital, un régime spécial et fiscalement très avantageux pour les grands investissements étrangers.

Rappelons qu’il a licencié 60.000 fonctionnaires, réduit l’accès aux allocations minimales de retraite et affaibli la protection du travail en autorisant des périodes de probation plus longues et  que les salariés ont perdu 1/5 de leur pouvoir d’achat avec pour résultat que 6 Argentins sur 10 sont tombés dans la pauvreté (contre 4 sur 10 avant son élection). Milei a même gelé l’aide publique à 38 000 soupes populaires.

Milei se vante (déjà) d’avoir rétabli « l’équilibre budgétaire ». Ce à quoi Cristina Kirchner, ancienne présidente péroniste de gauche, lui a répondu : « A quoi ça sert, si les gens crèvent de faim, perdent leur emploi et n’y arrivent pas en fin de mois ? » 

L’autoritarisme est renforcé.

Car le Congrès a accordé le feu vert pour que Milei puisse déclarer « l’urgence économique » pendant un an, c’est-à-dire l’approbation de pouvoirs permettant au président de dissoudre les agences d’État et d’éventuelles nouvelles et probables privatisations. N’est-il pas allé jusqu’à fermer du jour au lendemain par décret présidentiel l’agence de presse public Telam, la plus grande d’Amérique Latine, « Trop cher, trop kirchnériste », selon Milei. Dans sa ligne de mire encore, l’école et l’université, des « nids à marxistes », les hôpitaux publics aussi.

Notons que le FMI (fond monétaire international) a autorisé 4,7 milliards de dollars pour l’Argentine après les mesures de Milei. « La nouvelle administration prend des mesures audacieuses pour restaurer la stabilité macroéconomique et commencer à s’attaquer aux obstacles de longue date à la croissance », a déclaré la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva dénonçant par la même occasion les « politiques incohérentes du gouvernement précédent ». Un gouvernement de centre-gauche, ce qui pour le FMI est l’équivalent du bolchevisme. A part ça le FMI ne fait pas de politique, il n’est pas l’un des outils de la globalisation capitaliste néolibérale.

Face à ce déchaînement de violence et de brutalité, les syndicats et les gauches tentent d’organiser une riposte. Des centaines de milliers d’Argentin-e-s sont déjà descendu-e-s dans la rue. Le 9 mai est prévue une grève générale. Mais il reste que Javier Milei a été élu président avec 56% des voix et que le bloc des droites est majoritaire au Parlement, Congrès et Sénat. La tronçonneuse de Milei tranche à vif, fait souffrir et fait saigner. Sans que la gauche soit en mesure, pour le moment, de proposer autre chose qu’une résistance au tsunami néo-fasciste et néolibéral. La nécessité d’un vaste front sur des bases de gauche se heurte à l’histoire particulière du péronisme et de ses liens avec la CGT. Mais cette situation est en pleine mutation et la « normalisation » de la situation idéologique, avec l’effritement du péronisme, pourrait favoriser l’affirmation d’une gauche de gauche, rassembleuse et dotée d’un programme qui offre une véritable alternative à l’Argentine.

Pour nos compatriotes un avertissement : voilà ce qui arrive quand on confie les clefs de la maison à des néolibéraux, camouflés en candidats « anti-système », à des néo-fascistes, promettant tout et son contraire. On le savait à gauche depuis longtemps, au moins depuis Pinochet et Friedmann : le néolibéralisme et le néo-fascisme sont cul et chemise, au-delà des discours démagogiques et racistes, nationalistes et identitaires, réactionnaires et obscurantistes, technocratiques et post-humanistes, ils convergent dans le massacre des conquêtes sociales, des droits et des libertés démocratiques. Et pas besoin d’UE pour cela. Le capitalisme contemporain suffit. Le peuple argentin commence à le sentir dans sa chair.

Peut-être pourrons-nous l’éviter si l’on saisit et utilise les outils politiques et syndicaux à notre disposition. Pour les reconnaître, il suffit de voir sur quel arbre la bourgeoisie jette des pierres, sur qui elle lâche ses chiens. 

Pour nos jeunes amis: qu’est-ce que le Péronisme ?

Le mouvement commença le 17 octobre 1945, en Argentine. Une contestation massive de «descamisados», petit peuple des «sans-chemise», se rassemblait, devant le siège de la présidence à Buenos Aires. Les manifestants réclamèrent la libération du colonel et secrétaire au Travail, Juan Perón, emprisonné alors qu’il faisait de l’ombre au pouvoir militaire en place. Les ouvriers protestaient contre la fraude électorale et les abus du patronat. Ils ont vu en Juan Perón la figure d’un sauveur. Un an plus tard, le militaire était élu président. Il siégea à 3 reprises à la tête du pays (1946-1952, 1952-1955 et 1973-1974) Réélu pour la 3° fois en 1973, Juan Perón mourut un an plus tard, laissant derrière lui un pays profondément divisé, teinté de rouge par une dictature sanglante. Les juntes militaires se sont succédé entre 1976 et 1983 et ont fait près de 30.000 «desaparecidos» (disparus), des personnes arrêtées et tuées

Le péronisme fit entrer l’Argentine dans la modernité post-Seconde Guerre mondiale et répondait à la crainte que le pays tombe dans le communisme. Il emprunte aussi une dimension nationaliste, avec l’idée de conciliation entre les classes et la bourgeoisie active. La doctrine péroniste défend l’industrialisation face aux grands propriétaires terriens, le contrôle des exportations, un État fort et centralisé ainsi que la neutralité internationale et l’intégration politique et commerciale sud-américaine. Les problématiques de santé, d’éducation, et de justice sociale sont prédominantes. Le centre de gravité du péronisme victorieux hier était plutôt de centre-gauche, ce qu’incarne Cristina Kirchner,