Pablo Neruda : Les hauteurs de Macchu-Picchu – extrait

Pablo Neruda : Les hauteurs de Macchu-Picchu

Monte à mon côté, amour d’Amérique.

Embrasse avec moi les pierres secrètes.

L’argent torrentiel de l’Urubamba

répand le pollen vers sa coupe jaune.

Le vide vole, celui de la liane,

de la plante rocheuse, de la dure guirlande,

sur le silence de la caisse montagnarde.

Viens, infime vie, emprunte les ailes

de la terre, tandis que toi – cristal et froid,

air fouetté écartant des émeraudes combattues,

tu descends, eaux sauvage, de la neige.

Amour, amour, jusqu’à la nuit abrupte,

depuis le silex sonore des Andes

et vers l’aurore aux genoux rouges,

contemple l’héritier aveugle de la neige.

Ô Wikamayu ! cordes résonnantes,

lorsque tu brises tes tonnerres linéaires

en blanche mousse, telle une neige blessée,

ou lorsque ton roide ouragan,

qui chante et châtie, réveille le ciel,

quelles syllabes apportes-tu à une oreille

depuis peu extirpée à ton écume andine ?

Qui a emprisonné l’éclair du froid

et l’a laissé sur la hauteur chargé de chaînes,

réparti en larmes glaciales,

secoué en rapides épées,

frappant ses étamines aguerries,

transporté sur sa couche de soldat,

effrayé par sa fin rocheuse ?

(…)

Qui coupe donc ces paupières florales

sorties du sol pour regarder ?

Qui jette donc ces grappes mortes

descendues entre tes mains de cascade

pour égrener les graines de leur nuit

dans le charbon de la géologie ?

Qui précipité la branche des liens ?

Qui à nouveau enterre les adieux ?

Amour, amour, n’accède pas à la frontière,

n’adore pas non plus la tête submergée ;

laisse le temps atteindre sa stature

dans son salon de sources fracassées

et, entre l’eau rapide et les murailles,

recueille l’air du défilé,

les lames du vent, parallèles,

le canal aveugle des cordillères,

le dur salut de la rosée,

et monte, fleur à fleur, à travers l’épaisseur

en foulant le serpent tombé de la hauteur.

(..)

Viens à mon être, viens à mon aube,

jusqu’à ces solitudes couronnées.

Le royaume mort demeure vivant.

Et sur l’horloge, l’ombre sanguinaire

du condor passe comme un vaisseau noir.

Pablo Neruda

( Chant VIII, Les hauteurs de Macchu-Picchu, Le chant général)