De l’indigénat. Anatomie d’un « monstre » juridique. Le droit colonial en Algérie et dans l’Empire français. Olivier Le Cour Grandmaison par Mohamed Bouhamidi.
Présomption permanente de culpabilité, punitions pour l’exemple, internement administratif, regroupement forcé ou expulsion de leurs terres des populations, jugement sans nécessité de preuve et sur simple conviction du juge, responsabilité collective, séquestre des biens et des terres sur simple décision administrative, incendie de village et meurtres de masse pour retard d’impôts, corvée collective, accès limité ou interdit aux eaux et aux forêts, état d’exception permanent, voilà quelque composantes des codes coloniaux dont le Code de l’indigénat, et celui des eaux et forêts, imposés au peuple algérien restent le modèle indépassé.
Quelques mesures, parmi les exceptions des codes coloniaux, appliquées en Nouvelle Calédonie ou en France même indiquent que les codes coloniaux de l’indigénat reposent sur des principes philosophiques qui dépassent le contexte historique propre à la période coloniale. En juin 1970, une notion clé du Code de l’indigénat, la responsabilité collective est incluse dans la loi Pleven dite « anticasseurs ». Ce principe se retrouve dans la loi Estrosi de mars 2010 sur la responsabilité collective des regroupements temporaires, comprenez des manifestations qu’auraient émaillé des violences. Le retour de l’internement administratif, prérogative féodale des administrateurs coloniaux est de nouveau autorisé en Nouvelle Calédonie, par une loi adoptée en janvier 1985 à l’initiative du gouvernement Fabius. La grande Bretagne l’utilisera contre les migrants, tout comme la France d’ailleurs. La responsabilité collective devient la règle dans la gestion des guerres que mènent les USA en Irak ou en Afghanistan.
Le Code de l’indigénat dans toutes ses composantes, responsabilité collective, internement administratif, séquestre des biens et des terres est appliqué dans toute son étendue et son horreur en Israël, sans que du point du droit on ne pointe que ces pratiques relèvent d’un droit particulier, d’un droit séparé atteint dans son principe d’unité : une même loi s’applique à tous.
Pourquoi donc cette dualité du droit contraire même à son principe ? Quelles raisons profondes que des lois d’exception survivent à leurs circonstances ?
Le Cour Grandmaison signale que les juristes qui ont produit et prolongé les dispositions des codes coloniaux les considèrent comme des « monstres » juridiques. Mais ils rappellent immédiatement que cette monstruosité est nécessaire et ne doit se juger que sur son efficacité, celle de maintenir la « présence française » dans ses possessions. Il serait utile de noter que cette notion de présence française est plus parlante pour les conjonctures actuelles que celle trop étroite de néocolonialisme.
Monstruosité car codes appliqués aux indigènes introduisent une spécialisation du ce droit et deux ordres juridiques sur un même territoire pour deux populations différentes. Cette spécialisation légalisée par la loi fondamentale de 1848, institue donc deux ordres d’humains ou deux ordres de l’humanité.
Ce droit d’exception imposé aux peuples colonisés n’est pas une exception extérieure à l’idée de droit qui soutient la Déclaration des droits de l’Homme du 26 aout 1789 qui est celle de l’universalité, un même droit pour tous. Cette exception est prévue pat la loi fondamentale elle-même, celle de 1848, qui stipule que ces droits [de l’homme] ne s’applique pas aux sujets administrés ou protégés de la France. « La loi ne doit pas être la même pour tous » voilà la formule de Le Cour Grandmaison qui résume l’esprit des codes d’indigénat. Les lois dans les colonies s ont donc soumises à une restriction de territoire et à la qualité des populations, entre colons et indigènes.
Les législateurs français, (puis les autres, israéliens, US, anglais) sont arrivés à percevoir la monstruosité de ces lois tout en les justifiant, sur la base d’une discrimination raciale. Les mœurs, la culture, la religion du sauvage ou du barbare sont pour ces législateurs autant d’obstacles qui leur interdisent de « comprendre la portée des principes » issus de la révolution française. Ils ont besoin d’un « bon tyran » qui supplée à leur manque de jugement. Cette même thèse se retrouvera sous la plume de Mannoni à propos de l’attente d’un guide blanc par les indigènes de Madagascar.
Plus profond encore, selon ces théoriciens des législations coloniales d’exception, l’application des principes universels butent sur la réalité d’une « existence de races différentes et hiérarchiquement situées les unes par rapports aux autres ». « Ces races inférieures » ne sauraient d’ailleurs utiliser les dispositions du droit de la métropole, elles qui ne comprennent que le chef dont la force est manifeste et se manifeste par la capacité à punir. C’est d’ailleurs pour cela que pour ces milieux, l’indépendance politique autant que les droits universels, sont hors de portée de ces indigènes. Ils ne sauraient que faire de l’une et des autres.
C’est bien pour cette raison que ces lois d’exception ont largement débordés de leur contexte colonial chronologique. Elles sont l’expression d’un ordre de l’idéologie qui englobe tout à la fois le colonialisme que l’esclavagisme : le racisme.
M.B