Introduction

Aujourd’hui, avec la crise de la société, l’Ecole, de la maternelle à l’Université est mise à mal d’une façon particulièrement dangereuse. Cet important service public « coûte cher » et depuis la fin des 30 Glorieuses, les tentatives pour réduire son coût et son impact démocratique, n’ont pas manqué. La pédagogie est transformée en sciences de l’éducation dans les départements universitaires, les instituts de formation des maîtres sont supprimés.

Si bien que les enseignants consciencieux devant un public de plus en plus difficile, s’auto forment avec les publications des grands pédagogues. Voilà comment, au moment de créer une école différente grâce au ministre communiste de la formation professionnelle en 1981, j’ai rencontré Anton Makarenko, sur les conseils d’André Korzec. « Dédé » avait lui-même ouvert une école de type Makarenko au sortir du nazisme pour les orphelins des parents morts en camps de concentration.


Naissance et enfance

Makarenko est né prématurément le 1er mars 1888 dans un appartement loué par ses parents à la gare ferroviaire près du village de Belopolié en Ukraine qui fait partie de l’Empire russe (crée en 1721 par Pierre le Grand). Son père est charpentier dans les ateliers ferroviaires et sa mère, fille d’un petit fonctionnaire. Dès l’enfance, c’était un enfant très maladif qui, une fois adulte, s’enrhumait facilement . C’est pourquoi il a porté toute sa vie des chemises à col très haut. Anton Makarenko avait un frère cadet et 3 sœurs. En 1901, la famille a déménagé à Krioukov (aujourd’hui Krementchouk de l’oblast de Poltava en Ukraine). Les livres ont toujours été sa priorité et il les achetait même à crédit, ne pouvant pas acheter tout ce qui l’intéressait.

Etudes et 1° expériences professionnelles

En 1904, il est diplômé d’une école de 4 classes à Krementchouk puis poursuit une formation d’enseignant d’1 an, à l’École de cheminots, la plus renommée du pays.. Il devient ainsi un instituteur diplômé à 17 ans. Il commence à travailler à Kryukov dans une école de chemin de fer. Il entretient une relation intime avec la femme d’un prêtre dans l’hiver 1908-1909, il est donc banni de la maison paternelle et vit dans une chambre louée jusqu’à Pâques, où il est pardonné et retourne dans sa famille. Mais en 1911, il décide de vivre à nouveau seul et s’installe à la gare de Dolinskaïa pour enseigner.

En 1914-1917, il a étudié à l’Institut de formation des enseignants de Poltava, où il a obtenu une médaille d’or. En 1916, au moment de la 1° Guerre mondiale, il est réformé à cause de sa forte myopie. De 1917 à 1919, il a été chef de l’école des chemins de fer dans les ateliers de fabrication de wagons de Krioukov et a été acteur de la troupe de théâtre amateur Corso.

En 1919, il s’installe à Poltava où il étudie à l’Institut pédagogique. Il commence à écrire des poèmes satiriques et des nouvelles ce qui l’amène à entretenir une correspondance avecMaxime Gorki.

Un mot sur Maxime Gorki

Maxime Gorki est un écrivain russe né le 16 mars 1868 à Nijni Novgorod et mort le 18 juin 1936 à Moscou. Il est considéré comme un des fondateurs du réalisme socialiste en littérature et fut un homme engagé politiquement et intellectuellement aux côtés des révolutionnaires bolcheviques.

Enfant pauvre, autodidacte, formé par les difficultés et les errances de sa jeunesse, passé par le journalisme, il devient un écrivain célèbre dès ses débuts littéraires. Auteur de nouvelles pittoresques mettant en scène les misérables de la Russie profonde (1898), de pièces de théâtre  (Les Bas-fonds en 1902) ou de roman social (La Mère en 1907), il racontera aussi sa vie dans une trilogie autobiographique : Enfance (1914), En gagnant mon pain (1915-1916), Mes universités (1923).

Très tôt, Gorki partage l’idéal des partis progressistes et se lie avec Lénine. Plusieurs fois emprisonné lors de la révolution de 1905, il quitte la Russie et voyage aux États-Unis pour collecter des fonds pour le mouvement bolchevique. À son retour en 1906, il doit s’exiler à Capri pour des raisons à la fois médicales et policières. Rentré en Russie à la suite d’une amnistie en 1913, Maxime Gorki est proche des révolutionnaires, mais formule des critiques dès novembre 1917 qui lui valent les menaces du pouvoir : inquiet et malade de la tuberculose, il se fixe de nouveau dans le sud de l’Italie en 1924.

Encouragé par Staline, il se réinstalle définitivement en URSS en 1932 : il devient un membre éminent de la nomenklatura soviétique et participe à la propagande du régime qui l’honore mais le surveille en même temps. Il meurt en juin 1936. Le régime lui organise des funérailles nationales et en fera l’écrivain soviétique par excellence.

Chef de la colonie pénitentiaire (1920-1928)

En 1920, au nom du département provincial de l’éducation de Poltava, Makarenko fonde une colonie de travail pour les jeunes délinquants dans le village de Kovaliovka. Cet établissement regroupe et héberge de jeunes délinquants et enfants sans protection dont le nombre ne cesse de grandir après la révolution russe.

En 1921, il la nomme  » colonie Gorki  » en reconnaissance pour l’écrivain qui s’intéresse à ses activités éducatives et pédagogiques et le soutient de toutes les manières possibles. Bien qu’établis dans un cadre paramilitaire, les principes fondateurs de cette structure prônent la liberté d’expression, le respect des valeurs et le respect d’autrui. L’autorité est confiée au conseil constitué de membres les plus respectés et c’est en assemblée générale qu’on prend les décisions importantes. Le travail agricole et artisanal assure l’autosuffisance de la communauté et crée les liens grâce à l’activité collective

En 1926, la colonie Gorki est transférée au monastère Kouriajski près de Kharkov. À l’âge de 39 ans, en 1927, il épouse Galina Salko qui travaille à la commission de la délinquance d’Ukraine. Au cours de l’été 1928, M. Gorki lui rend visite pour la 1° fois et séjourne pendant plusieurs jours dans la colonie. En 1928, Makarenko quitte son travail dans la colonie.

Commune de Dzerjinski 1927-1935)

Depuis octobre 1927, il était responsable de la commune portant le nom de Felix Dzerjinski et de son département pédagogique. Elle s’occupe des enfants coupables et abandonnées. En 1930, elle prend de l’ampleur : la faculté des travailleurs de l’Institut de construction de machines de Kharkov s’ouvre à elle. En 1932, c’est autour de l’usine d’outils électriques et enfin de l’usine de caméras de cinéma. En 1933, la municipalité a été la1° de l’URSS à être entièrement autosuffisante. Depuis 1934, une école secondaire s’ouvre sur le site.

En 1932, il publie ses 1° essais pédagogiques et, 2 ans après, participe à la direction de la Commission des communautés de travail d’Ukraine, puis il est admis à la société des écrivains.

En 1933, l’ancien Premier ministre français Édouard Herriot, ainsi que d’autres invités français visitent la commune de travail des enfants de Dzerjinski et en vante ses mérites.

« Les militants sociaux français se sont familiarisés en détail avec la structure administrative de la commune, la production et la vie des communards – anciens enfants des rues et jeunes délinquants. Les invités ont été impressionnés par la propreté et l’ordre qui règnent dans la commune et par l’abondance de fleurs et d’air frais. Herriot a eu une conversation détaillée avec M. Makarenko, assistant du chef de la commune. Il lui a demandé comment la direction de la commune a réussi à éduquer à la fois les enfants et les adolescents sans-abri avec des compétences criminelles professionnelles. M. Makarenko a expliqué en détail aux invités français que la pédagogie soviétique ne reconnaît pas la criminalité innée et que les principales méthodes pour influencer les enfants sont la discipline collective et le travail collectif. Après une visite du dortoir et de l’usine, la fanfare de la commune a donné un concert impromptu qui a attiré l’attention et les réactions enthousiastes des invités »

En raison de la prise de conscience dans les départements concernés de l’importance des produits fabriqués par les usines de la Commune pour l’industrie de la défense du pays (en lien avec la guerre imminente) et du désir d’augmenter sensiblement la production de ces produits, les responsables décident d’intégrer davantage de travailleurs adultes dans les usines. Makarenko est laissé au poste de pédagogue adjoint, puis il est transféré à Kiev.

En 1934, il devient membre de l’Union des écrivains soviétiques. Jusqu’en 1936, Makarenko dirige plusieurs colonies, en étant souvent en opposition avec le Commissariat de l’Instruction publique et commence ses œuvres ( Poème pédagogique.) Le 7 janvier 1939, la Commune de travail de Kharkov est transformée en complexe industriel.

Période de Kiev (département des colonies de travail)

Le 1er juillet 1935, il est transféré de la Commune à Kiev, au bureau central du NKVD de la République Socialiste Soviétique d’Ukraine, où il travaille comme chef adjoint du département des colonies de travail jusqu’en 1936. Il est certifié puis reçoit le grade de « sergent de la sécurité d’État ».

A cette époque, Makarenko développe un programme pour mineurs institutionnalisés ayant besoin d’une prise en charge sociale et d’une rééducation. Ils sont transférés de toutes les institutions ukrainiennes vers de nouveaux établissements qui appliquent la méthode dans la colonie Gorki et de la Commune de F. E. Dzerzhinsky. Il ne pas reçoit pas le soutien nécessaire de l’administration, et est inquiété par des arrestations qui concernent le personnel du département. C’est le cas de son supérieur immédiat Lev Solomonovich Akhmatov. Lors d’un interrogatoire, il déclare que Makarenko était son complice dans les activités trotskystes. Il s’en sort grâce à l’intervention du commissaire du peuple V.A. Balitsky qui lui est favorable. Ce dernier a ordonné de retirer le nom de Makarenko du protocole et lui permet d’échapper à l’incarcération. Cet événement accable le pédagogue qui est déjà sur-investi dans ses fonctions officielles : elles ne lui laissent plus le temps d’ écrire et ni celui de se consacrer à l’éducation. Makarenko songe à déménager à Moscou. A.M. Gorki et son secrétaire Kryuchkov agissent en tant que médiateurs pour faciliter son transfert.

En 1936, ses théories pédagogiques sont officiellement reconnues à la suite d’un changement complet des fonctionnaires du Commissariat de l’Instruction Publique avec qui il était en discordance. Cette reconnaissance le pousse définitivement à prendre la direction de la capitale.

A Moscou

En 1937, Makarenko arrive à Moscou où il a acheté un appartement dans la maison de Gorki, rue Lavrushinsky. Bien connu du public de la capitale, il est journaliste, enseigne sa pédagogie en conférence, à la radio et lors de réunions de parents.

Au début de l’année 1939, Makarenko travaille sur le scénario de « Drapeaux sur tours » en co-auteur avec Margarita Barskaya  mais la direction du Gorki Film Studio refuse de monter le film basé sur leur scénario car Barskaya est la maîtresse du journaliste en disgrâce Karl Radek. Par le décret du Présidium du Soviet suprême de l’URSS du 31 janvier 1939, il est décoré de l’Ordre du Drapeau rouge du Travail. Il publie Les drapeaux sur les tours et Problèmes d’éducation à l’école soviétique. La même année, il soumet son adhésion au parti bolchevique mais n’en sera jamais membre, décédant une année plus tard.

Décès

Le 1er avril 1939, Anton Makarenko meurt mort subitement d’une crise cardiaque, qui s’est produite à 10h30 sur le chemin de la Maison des Arts dans la voiture du train de banlieue n° 134 à la gare de Golitsyno. À 10 h 43, un médecin est arrivé et a déclaré son décès. Makarenko est enterré au cimetière Novodievitchi de Moscou. Les auteurs de la pierre tombale sont le sculpteur Vladimir Tsigal et l’architecte V. Kalinine.